Monsieur le président, mes chers collègues, j'ai été très honoré d'avoir été le rapporteur de cette mission d'information sur les immigrés âgés, créée le 20 novembre 2012 par la Conférence des présidents, à la suite de la visite que le Président Bartolone a effectuée, en compagnie de plusieurs collègues députés, dans un foyer Adoma, ex-SONACOTRA, de Bobigny.
Je veux tout de suite remercier Denis Jacquat dont la présidence a permis à la mission de travailler dans de très bonnes conditions, de façon consensuelle et apaisée. Je tiens également à remercier les membres de la mission qui ont régulièrement participé aux auditions comme aux visites de terrain. Si nos travaux se sont aussi bien déroulés, c'est aussi grâce à votre investissement et à votre participation régulière.
Nous avions fait le choix, au cours de notre réunion constitutive du 16 janvier dernier, de nous intéresser à la situation des immigrés des pays tiers à l'Union européenne âgés de plus de cinquante-cinq ans. Ne pas restreindre le champ de nos travaux aux personnes de plus de soixante-cinq ans et examiner la situation des immigrés au cours des années qui précèdent l'âge de départ en retraite était en effet le moyen de cerner les problèmes qui alimentent, en amont, les difficultés qui surviennent ensuite, notamment en raison des conditions de fin du parcours professionnel.
Les immigrés des pays tiers âgés de plus de cinquante-cinq ans représentent aujourd'hui plus de 800 000 personnes, les plus de soixante-cinq ans représentant près de 350 000 personnes, dont 205 000 hommes et 145 000 femmes. Deux tiers des plus de soixante-cinq ans viennent d'un pays du Maghreb – 127 000 Algériens, 65 000 Marocains et 37 000 Tunisiens. 140 000 de ces immigrés de plus de soixante-cinq ans ont acquis la nationalité française.
Parce que la question du vieillissement des immigrés âgés, prise dans son acception la plus large, n'avait jamais fait l'objet d'une mission d'information en tant que telle, il nous est apparu utile de procéder à de nombreuses auditions et de nous déplacer, autant que le temps nous l'a permis, sur le terrain. Aussi avons-nous entendu plus d'une centaine de personnes venant d'horizons très divers : représentants d'administrations nationales et locales, de caisses de sécurité sociale, professeurs et chercheurs, acteurs associatifs, gestionnaires de foyers de travailleurs migrants, médecins et travailleurs sociaux sont venus à l'Assemblée nationale et ont répondu à nos questions.
Nous avons aussi entendu les principaux ministres intéressés par le sujet : le ministre de l'intérieur, la ministre des affaires sociales et de la santé, la ministre de l'égalité des territoires et du logement, la ministre de la culture et de la communication, la ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l'autonomie, et, enfin, le ministre délégué chargé de la ville. Ces auditions ont été l'occasion de faire connaître aux ministres les différentes propositions formulées devant nous, en même temps qu'elles nous ont permis de prendre connaissance des sujets qu'ils considèrent comme prioritaires.
Ouvertes à la presse et parfois au public, ces auditions ont été suivies par les personnes engagées auprès des immigrés et des personnes âgées défavorisées. Certaines d'entre elles ont même été diffusées dans des « cafés sociaux » et ont donc pu être regardées par des immigrés âgés. De nombreux intervenants sont spontanément entrés en contact avec plusieurs membres de la mission : ils nous ont fréquemment soumis des contributions ou de la documentation de qualité, qui ont permis d'enrichir le rapport. Il ne m'est pas possible de tous les remercier mais je tiens à vous dire que j'ai pu mesurer les attentes que nos travaux ont fait naître. Nous ne devons pas décevoir ces attentes.
Nous avons par ailleurs effectué plusieurs déplacements, en région parisienne, dans le Rhône, dans le Gard, en Moselle, ainsi qu'en Algérie et au Maroc. Ces visites de terrain, d'un grand intérêt, ont été l'occasion de se rendre en foyer de travailleurs migrants (FTM) et de rencontrer des immigrés âgés, hommes et femmes, ainsi que de nombreux responsables associatifs intervenant auprès de ces personnes. Ces déplacements ont aussi permis d'échanger avec les responsables des services déconcentrés de l'État et des collectivités territoriales qui participent à l'élaboration et à la mise en oeuvre des politiques publiques destinées aux immigrés âgés. Je me réjouis qu'à l'occasion de notre déplacement en Algérie et au Maroc, nous ayons pu discuter avec les autorités publiques et les acteurs sociaux des deux principaux pays d'origine des immigrés issus des pays tiers.
Avant de vous présenter les principales propositions que je formule dans le but d'améliorer la situation des immigrés âgés, je voudrais vous faire part de quelques constats – qui font l'objet d'un consensus au sein de notre mission.
Le premier d'entre eux est que la présence en France des immigrés des pays tiers, venus y travailler à partir des années 1950 dans les secteurs du bâtiment et des travaux publics (BTP), des industries de transformation, notamment automobile, ou comme saisonniers agricoles, a longtemps été considérée comme temporaire. Alors même que la France tentait d'attirer des travailleurs et des familles d'immigrés européens, une place à part était souvent réservée aux immigrés venus du Maghreb et d'Afrique subsaharienne. La perception d'une installation temporaire a motivé la mise en place de politiques de logement et d'action sociale tendant à maintenir ces immigrés à l'écart de la société. Dans les entreprises, cette vision a contribué à les cantonner aux emplois les moins qualifiés et les plus pénibles. Ces immigrés ont connu des carrières hachées et subi plus que les autres travailleurs des épisodes de chômage. Le « mythe du retour » a longtemps fragilisé le séjour en France des immigrés aujourd'hui âgés.
Néanmoins, leurs droits ont été progressivement renforcés, notamment grâce aux luttes sociales dont ils furent les acteurs. Le droit de mener une vie familiale normale, et donc d'être rejoint par sa famille dans le pays d'accueil, leur a notamment été reconnu. Ce n'est toutefois que depuis la fin des années 1990 que l'égalité est la règle pour l'accès à l'ensemble des droits sociaux, sans condition liée à la nationalité.
Au total, la contradiction, trop longtemps entretenue, entre un « enracinement » en France et des politiques fondées sur le diagnostic erroné d'une présence temporaire a constitué la caractéristique principale de cette histoire migratoire singulière. Aujourd'hui, il apparaît qu'une part significative de ces immigrés vieillit dans des conditions difficiles, voire indignes.
Tout d'abord, leurs ressources sont bien souvent inférieures à celles de la population non immigrée. Le montant moyen des pensions des retraités nés à l'étranger résidant en France s'élevait, en 2012, à environ 700 euros par mois quand le montant moyen des pensions versées par le régime général pour une carrière complète s'élevait à un peu plus de 1 000 euros par mois. Autre indicateur, le montant moyen des pensions versées par le régime général en Algérie ou au Maroc à des personnes qui y sont nées se situe autour de 300 euros par mois. Dernier exemple : parmi les 422 000 bénéficiaires de l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) relevant du régime général en 2012, 162 000, soit près de 40 %, étaient nés à l'étranger. Parmi ceux-ci, 60 % étaient originaires d'un pays du Maghreb.
Ensuite, il est apparu que les populations immigrées âgées souffrent d'un « mal-logement » manifeste. Je vais revenir sur la question bien particulière des personnes habitant en foyer de travailleurs migrants. Je veux néanmoins préciser que la majorité des immigrés âgés vit dans l'habitat diffus, et parfois dans des conditions insatisfaisantes. À cet égard, d'après un recensement de 2009, si deux tiers des ménages français occupent des logements de bonne qualité, cette proportion n'est que de 45 % pour les immigrés des pays tiers.
Souvent, les populations immigrées vivent en quartiers « politique de la ville ». Ainsi, les immigrés et descendants d'immigrés représentent plus de la moitié de la population des zones urbaines sensibles (ZUS).
30 000 personnes immigrées âgées vivent en habitat privé indigne, qui correspond à des « locaux ou installations utilisés aux fins d'habitation et impropres par nature à cet usage, ainsi [qu'à des] logements dont l'état, ou celui du bâtiment dans lequel ils sont situés, expose les occupants à des risques manifestes pouvant porter atteinte à leur sécurité physique ou à leur santé ».
Si 78 % des personnes âgées non immigrées sont propriétaires de leur logement, cela n'est le cas que de 55 % des immigrés âgés de plus de cinquante-cinq ans et de 37 % des immigrés âgés originaires des pays tiers.
De nombreuses personnes entendues par la mission ont souligné que, généralement, les populations immigrées âgées accèdent insuffisamment à leurs droits. À cet égard, il me semble utile de réfuter d'emblée l'idée trop largement répandue selon laquelle les immigrés constitueraient une charge excessive sur les comptes sociaux. Loin d'abuser de leurs droits, ils en sont en effet trop souvent éloignés. De nombreux acteurs associatifs ont souligné l'importance du défaut d'information en la matière et des cas d'abandon de demandes en cours de procédure.
En outre, les immigrés âgés rencontrent de nombreux problèmes sanitaires et d'accès aux soins. D'après les résultats de l'Enquête santé et protection sociale (ESPS) conduite en 2000-2002, les étrangers seraient de façon générale en moins bonne santé que les Français. Une autre étude, réalisée par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) a récemment mis en évidence la surmortalité élevée, à Paris, des étrangers entre soixante et soixante-dix ans, en particulier des femmes d'origine subsaharienne ainsi que des hommes originaires d'Afrique du Nord. Ces problèmes de santé tiennent notamment à la pénibilité des conditions de travail de nombreux migrants aujourd'hui âgés. Certains d'entre eux paient à présent le prix de leur exposition, des années durant, au plomb, à l'amiante, aux solvants chlorés, à la silice ou encore aux poussières de bois et aux pesticides.
L'isolement social rend plus difficile l'accès aux informations sur les ressources médicales disponibles ou sur les filières de soins : par exemple, les femmes immigrées maghrébines semblent sous-représentées dans le dépistage des cancers. La communication entre le patient et le médecin peut également être rendue malaisée par une maîtrise insuffisante de la langue ou les différences de représentations culturelles des maladies et des soins.
Ces problèmes d'accès aux soins traduisent les difficultés d'insertion au plan local mais aussi la précarité financière de ce public : la faiblesse des ressources explique que les immigrés âgés soient environ quatre fois plus nombreux que le reste de la population à bénéficier de la couverture maladie universelle (CMU) et cinq fois plus nombreux à bénéficier de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C).
Nos travaux nous ont permis de mettre le doigt sur une réalité pas toujours bien connue : les femmes immigrées âgées, dont 145 000 sont originaires d'États tiers à l'Union européenne et ont plus de soixante-cinq ans, connaissent des situations de grande précarité et d'isolement. Ces difficultés s'expliquent d'abord par la modicité de leurs ressources, résultat de carrières professionnelles très heurtées. Elles bénéficient par ailleurs généralement de modestes pensions de réversion, conséquence de la faiblesse des pensions de retraite perçues par leur mari. Je veux également rappeler que 67 % des bénéficiaires de l'ASPA versée à des personnes ne percevant aucune pension de retraite contributive sont des femmes.
Par ailleurs, les femmes connaissent parfois des difficultés d'intégration supérieures à celles rencontrées par les hommes, dans la mesure où elles n'ont souvent pas pu bénéficier d'une insertion professionnelle et n'ont donc pas toujours pu tisser de liens en dehors de la cellule familiale.
La population immigrée vieillissante souffre, dans l'ensemble, d'une intégration imparfaite dans la société. Cette situation s'explique d'abord, à mon sens, par le traitement réservé aux populations immigrées au moment de leur arrivée en France, notamment par leur mise à l'écart du reste de la société. Ensuite, la barrière de la langue constitue un obstacle à une pleine intégration en même temps qu'elle participe de la difficulté à accéder à l'ensemble des droits. Enfin, le sentiment d'être l'objet de discriminations est nettement plus fort chez les populations non européennes, même si l'impression d'être traité différemment en raison de son origine concerne, à des degrés variables, tous les immigrés.
Nos travaux ont fait une place importante à la situation des immigrés âgés vivant en foyer, dont 35 000 ont plus de soixante-cinq ans. Ces derniers, souvent appelés chibanis même si ce terme recouvre une réalité plus large, cumulent souvent les difficultés que je viens d'évoquer. Nous en avons rencontrés, notamment à Gennevilliers, Colombes ou Vaulx-en-Velin. À chaque fois, nous avons pu mesurer à quel point leurs conditions de logement étaient précaires. Aujourd'hui souvent retraités, ils vieillissent dans des chambres de 7,5 mètres carrés – parfois un peu plus –, peu confortables et pas toujours autonomes. Nombre d'entre eux sont souffrants, voire handicapés. Ces foyers connaissent de surcroît des problèmes préoccupants d'entretien, de sécurité et, pour certains d'entre eux, de suroccupation.
Nous avons pris la mesure de la solitude de ces hommes, « célibatairisés » selon l'expression consacrée, qui souffrent en silence d'un isolement encore plus marqué que le reste des immigrés âgés, à tel point que le sociologue Omar Samaoli, que nous avons entendu, les a qualifiés de « marginaux de l'immigration ». Leur situation spécifique appelle des réponses fortes, sur lesquelles je vais revenir.
Il est bien évidemment regrettable que la transformation des foyers en résidences sociales, décidée dès 1997 puis plusieurs fois prorogée, ait pris un tel retard. Quelques chiffres suffisent pour s'en convaincre : d'une part, alors qu'entre 1997 et 2001, 326 foyers devaient être transformés, seuls 111 l'ont effectivement été ; d'autre part, sur les 680 foyers recensés en 1997, seuls 47 % ont, à ce jour, fait l'objet d'une transformation. C'est dire l'urgente nécessité de reprendre et d'accélérer le plan de traitement.
Au total, nous devons reconnaître que nombre d'immigrés des pays tiers ne vieillissent pas bien dans notre pays. Nous avons le devoir de leur garantir les conditions d'une vieillesse digne en France, dans leur pays d'origine pour ceux qui souhaitent y résider à titre principal, ou entre les deux pour ceux qui pratiquent la « navette » – et ils sont nombreux. Pour y parvenir, j'ai choisi d'orienter notre action autour de quatre axes principaux, que je vais vous présenter maintenant.
En premier lieu, je souhaite que nous oeuvrions en faveur d'une meilleure intégration. Celle-ci passe avant tout par la reconnaissance du rôle des populations immigrées dans l'histoire nationale. Il est manifeste que cette histoire est mal connue, parfois même des enfants et petits-enfants des immigrés désormais âgés. Reconnaître ce chapitre du récit national me semble être une marque de reconnaissance indispensable envers les immigrés âgés et le préalable à toute politique publique efficace. J'ajoute qu'il me paraît malaisé de vouloir favoriser l'intégration des plus jeunes sans reconnaître aux anciens la place qui est la leur dans notre société. C'est pourquoi nous devons montrer à tous ceux qui ne reconnaissent pas la France comme leur pays, alors qu'ils y sont pourtant souvent nés, que leurs parents et grands-parents sont des membres à part entière de la communauté nationale, parce qu'ils ont participé à la reconstruction du pays et qu'ils continuent à y jouer un rôle social.
La valorisation de la mémoire de l'histoire de l'immigration, que j'appelle de mes voeux, a récemment trouvé un point d'ancrage dans la Cité nationale de l'histoire de l'immigration (CNHI), créée en 2006. Au regard du rôle de la CNHI dans la transmission de l'histoire de l'immigration, il me paraît important de conforter, pour les années à venir, les crédits qui lui sont accordés. Il me semble par ailleurs que la valorisation de l'histoire de l'immigration passe par l'identification de « lieux de mémoire », correspondant par exemple aux anciens lieux de travail des populations immigrées, ou à l'utilisation, lors des opérations de rénovation urbaine, d'une fraction de la ressource mobilisée pour le recueil, l'exposition et la conservation de la mémoire des quartiers concernés. Je me félicite que ces projets aient été accueillis favorablement tant par la ministre de la culture et de la communication que par le ministre délégué à la ville – lesquels ont d'ailleurs déjà parfois intégré certaines de nos préconisations dans le travail de leur ministère.
Enfin, il est fondamental de disposer d'un bon outil statistique pour connaître les réalités quantitatives et mieux apprécier les difficultés rencontrées par les immigrés en général et par les immigrés âgés en particulier. Nous avons proposé de faire évoluer le Haut Conseil à l'intégration (HCI) dans cette direction. Il semble que le Gouvernement y réfléchisse. Pour l'instant, le travail du HCI a été suspendu et nous appelons de nos voeux, soit sa continuation sous d'autres formes, soit sa transformation en institut plus adapté au recueil et au travail sur les statistiques. C'est le sens de la proposition que nous formulons dans le rapport.
Nous devons par ailleurs assurer les conditions d'une meilleure intégration à l'échelle nationale. Il serait pertinent d'aménager le cadre juridique du regroupement familial afin d'en faire bénéficier les familles des immigrés âgés les plus isolés, dans le cadre d'une procédure dérogatoire. Bien entendu, il ne s'agirait pas de modifier de fond en comble les règles encadrant le regroupement familial, mais de mieux prendre en compte des situations d'isolement inacceptables.
Je pense aussi que nous pourrions faciliter l'acquisition de la nationalité française des ascendants de Français présents sur le territoire depuis vingt-cinq ans au moins, accélérer le traitement des demandes de naturalisation formulées par les personnes de plus de soixante ans et résidant en France depuis dix ans au moins, et envisager de mettre en place, dans les préfectures, des guichets réservés aux demandeurs âgés, « très démunis face à la complexité des procédures administratives » selon les termes employés par le ministre de l'intérieur devant la mission. La question de l'accueil en préfecture est très importante, et nous souhaitons que le Gouvernement fasse des propositions en s'appuyant sur nos préconisations et sur celles formulées par notre collègue Matthias Fekl dans le rapport sur la sécurisation des parcours des ressortissants étrangers en France, remis au Premier ministre en mai dernier.
Nous devons également favoriser l'intégration des populations immigrées à l'échelon local. Dans cette perspective, il me semble qu'il conviendrait de mieux articuler aux actions des caisses de sécurité sociale et des collectivités territoriales les programmes régionaux et départementaux d'intégration des populations immigrées (PRIPI-PDI). En effet, ces outils de cadrage déconcentrés des actions financées par le budget de l'État ont modestement pris en compte la situation des immigrés âgés depuis trois ans. Ces programmes permettent de mobiliser des crédits européens destinés à l'intégration des personnes immigrées âgées, crédits dont la pérennité n'est pas garantie au-delà de 2013. Il faut donc que la France obtienne le maintien de ces financements, qui concernent un domaine dans lequel elle peut être exemplaire en Europe : en s'assumant comme société d'immigration, elle trace l'avenir pour toute l'Union. En retour, l'Union doit contribuer à cette tâche.
En deuxième lieu, il est de notre devoir de garantir aux immigrés âgés des conditions de logement adaptées. C'est un point extrêmement important de notre rapport et nos préconisations en la matière sont nombreuses. Nous devons à la fois adapter le bâti au vieillissement et à la dépendance de cette population, et garantir un accès à des services – notamment à domicile – assurant le « bien vieillir ».
Il est temps d'en finir avec cette anomalie que constitue le vieillissement en foyer de travailleurs migrants. Je souhaite par conséquent que le plan de traitement des foyers de travailleurs migrants (PTFTM) dont j'ai rappelé l'état d'avancement, soit mené à son terme. Tous les foyers, soit environ 340 – dont 200 ne font l'objet d'aucun projet à ce jour – doivent à présent être transformés en résidences sociales, à commencer par ceux d'entre eux qui logent une part significative d'immigrés retraités et qui sont le plus éloignés des normes de logement modernes et adaptées au vieillissement. J'attire votre attention sur cette proposition que nous demandons à Adoma et aux autres bailleurs de reprendre. Il n'est pas possible que le plan de traitement concerne en priorité des foyers dans lesquels il n'y aurait qu'une faible part d'immigré âgé. Il faut reconsidérer la question et faire de l'accueil des immigrés âgés un paramètre fondamental du plan de traitement. Nous devons également prendre garde que les opérations de transformation ne se traduisent pas par la disparition des espaces collectifs au sein des établissements, essentiels au maintien des liens sociaux, ainsi que l'a rappelé la ministre de l'égalité des territoires et du logement.
De même, il apparaît nécessaire de repenser les règlements intérieurs des foyers et des résidences sociales – conformément à ce nous appelons, au sein de la mission, une charte nationale des bonnes pratiques – en raison de leur rigueur excessive et de rappeler le principe fondamental du droit au respect de la vie privée dans les espaces privatifs. Toutes les mesures qui, dans les règlements intérieurs, contreviendraient à ces principes, doivent être supprimées.
Nous devons également mieux insérer dans la ville les structures accueillant des immigrés âgés, notamment en invitant les communes à soutenir les actions menées par les gestionnaires de foyers de travailleurs migrants et de résidences sociales à destination de leurs résidents et en s'appuyant, de manière générale, sur ces initiatives pour améliorer l'accès aux droits et aux services sociaux des personnes immigrées résidant à proximité de ces structures. Nous souhaitons enfin que l'on rappelle aux bailleurs sociaux que les immigrés résidant en foyer ont le droit, comme tous les résidents d'une commune, d'accéder à un logement social. Jusqu'à présent, ils en sont exclus, ce qui constitue une discrimination.
En troisième lieu, nous devons faire bénéficier les immigrés des droits sociaux ouverts aux personnes âgées. C'est un volet essentiel de notre rapport. Comme je l'ai rappelé, ce public souffre d'un accès insuffisant aux droits, aux soins et, plus généralement, aux services publics de droit commun – ce qui infirme les idées reçues selon lesquelles les personnes immigrées seraient de grandes consommatrices de droits.
Cette action d'inclusion sociale suppose de mobiliser les caisses de sécurité sociale comme les responsables locaux des politiques d'accompagnement du vieillissement et leurs partenaires associatifs. La participation des immigrés âgés eux-mêmes à la définition des dispositifs qui les concernent constituerait une garantie d'efficacité.
Il faut tout d'abord garantir l'accès des immigrés âgés à leurs droits.
La première étape consiste à éviter les ruptures de droits lors du passage à la retraite. Pour y parvenir, sans doute conviendrait-il de généraliser les « rendez-vous des droits » organisés par certaines caisses de sécurité sociale et de faire figurer l'accès des immigrés âgés aux droits comme une priorité dans les conventions d'objectifs et de gestion (COG) liant les caisses de sécurité sociale à leur autorité de tutelle. Je me félicite à cet égard que la lutte contre le non-recours aux droits soit désormais une priorité du Gouvernement.
Ensuite, il faut mieux insérer les immigrés âgés dans les schémas gérontologiques. La prise en compte des personnes âgées immigrées par les conseils généraux est aujourd'hui inégale : certains schémas gérontologiques ne définissent aucune action à l'égard des populations immigrées âgées, alors même qu'elles sont nombreuses dans les départements concernés.
Il apparaît aussi nécessaire de sécuriser les partenariats des pouvoirs publics avec les acteurs associatifs, tant ces derniers disposent d'une bonne connaissance des populations immigrées et des difficultés auxquelles elles sont confrontées. Je souhaite donc que des partenariats soient mis en place entre les associations d'aide aux immigrés âgés et les caisses de sécurité sociale, mais aussi que les subventions publiques à destination des associations soient inscrites dans un cadre pluriannuel afin que ces dernières puissent agir de façon pérenne. Je sais que dans le cadre de l'action menée par le ministre en charge de la politique de la ville, cette proposition a déjà reçu un écho favorable.
Il me semble que nous devrions donner aux immigrés âgés la possibilité de participer au « développement social local », qui vise à définir les politiques locales par la base et à inciter les bénéficiaires à en devenir les acteurs. Cela rejoint la volonté du ministre délégué à la ville, selon lequel le rôle social des personnes âgées dans les quartiers relevant de la politique de la ville doit être valorisé.
Il faut aussi garantir l'accès des immigrés âgés à la prévention sanitaire et aux soins. Dans cette perspective, l'accompagnement social vers les soins doit être renforcé à travers la mise en place de financements dédiés aux centres de santé sur la base de projets locaux. En outre, l'accès à la CMU-C et à l'assurance complémentaire santé (ACS) doit être facilité. Par exemple, le seuil de la condition de ressources ouvrant le droit à la CMU-C pourrait être relevé.
Il convient également d'inscrire le vieillissement des immigrés dans les actions menées contre les maladies neurodégénératives. Aussi apparaît-il nécessaire de fixer dans le prochain plan Alzheimer des objectifs de dépistage précoce des maladies neurodégéneratives des personnes âgées originaires des États tiers à l'Union européenne et de définir les référentiels adaptés.
Je suis convaincu qu'il faut faire de l'accès aux soins à domicile, qui se fonde sur la complémentarité entre action professionnelle et action non professionnelle, le plus souvent issue du cercle familial, une priorité. Je propose que soit engagée une concertation avec les fédérations d'associations de soins et de services à domicile afin de diffuser les meilleures pratiques pour faciliter le maintien à domicile des personnes âgées immigrées et défavorisées.
En quatrième et dernier lieu, il nous revient de permettre aux immigrés âgés de choisir librement le lieu de leur résidence une fois à la retraite.
Tout d'abord, il me paraît fondamental d'écarter le soupçon de fraude qui pèse trop souvent sur les immigrés vivant dans l'aller-retour. Je souhaite que les contrôles opérés par les organismes de sécurité sociale soient plus respectueux des droits et des personnes, que la formation des agents de contrôle des caisses de sécurité sociale soit améliorée, que les obligations des caisses, notamment en matière de notification et de motivation des décisions, et de délais, soient rappelées à tous les acteurs concernés, ou encore que les règles de recouvrement des sommes versées indûment soit homogénéisées.
Je souhaite aussi que la condition d'antériorité de résidence permettant aux étrangers non communautaires de bénéficier de l'ASPA soit ramenée de dix ans à cinq ans.
Par ailleurs, je considère que le Gouvernement doit publier sans tarder les décrets d'application des articles 58 et 59 de la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale, dite « loi DALO », qui créent une « aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d'origine » (ARFS). Ce sujet a fortement interpellé les membres de la mission.
Cette aide à la réinsertion familiale et sociale devait permettre à un étranger extracommunautaire, vivant seul, âgé de plus de soixante-cinq ans, résidant en France depuis quinze ans au moins et logeant dans un foyer de travailleurs migrants, de percevoir une aide sociale dans son pays d'origine s'il décidait d'y résider durablement. Il était prévu que son montant serait équivalent à celui de l'ASPA à laquelle il aurait droit s'il restait dans notre pays.
Il se trouve qu'aucun décret d'application n'a été pris au cours des six années passées. Pourtant, cette aide serait utile au petit nombre de personnes en grande difficulté qui vieillissent en foyer et qui semblent « prisonnières » de leur situation. L'étude d'impact estimait à 17 000 personnes le nombre des bénéficiaires potentiels de cette aide. On peut considérer que depuis, il faudrait y ajouter quelques milliers de personnes qui ont désormais plus de soixante-cinq ans. En tout état de cause, vous l'avez bien compris, cela représenterait une fraction peu importante au regard de l'ensemble des immigrés âgés des pays tiers vivant dans notre pays.
À la lumière des nombreux témoignages que nous avons recueillis, il semble que l'articulation avec le droit de l'Union européenne ne constitue pas la raison principale de la carence du pouvoir réglementaire en la matière. Il est en effet possible de faire bénéficier de l'ARFS le public ciblé par cette aide : il suffit de publier les décrets d'application. Je me félicite que la ministre des affaires sociales et de la santé ait demandé à ses services de réfléchir aux moyens de parvenir à une solution à court terme.
Il semble également indispensable d'aménager le cadre juridique de la carte de séjour portant la mention « retraité » afin de garantir à ses titulaires le bénéfice des prestations sociales en France, et notamment des prestations d'assurance maladie, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Il est en effet choquant que des retraités ayant travaillé plusieurs décennies dans notre pays, y ayant cotisé et dont les pensions de retraite continuent de faire l'objet de prélèvements ne puissent bénéficier, lors de leurs séjours en France, que de soins inopinés.