Cette mission d'information a été effectivement été créée le 18 juillet 2012 et a travaillé pendant plusieurs mois sur ce sujet complexe, à l'intersection de dimensions techniques, économiques et sociétales, avec le souci d'éviter les postures idéologiques. Ce souci était d'autant plus nécessaire que notre rapport est présenté dans un contexte complexe, alors que le débat sur la transition énergétique est engagé et que celui sur Cigéo traverse des turbulences.
On entend parfois que les déchets nucléaires seraient le « talon d'Achille » de la filière électronucléaire. Il est vrai que les Français, interrogés sur l'acceptabilité du nucléaire, mettent au premier rang de leurs préoccupations la sûreté des réacteurs et le devenir des déchets. Nous héritons des déchets de nos prédécesseurs et continuons nous-mêmes à en produire. Nous ne pouvons en revanche laisser aux générations futures le soin de les gérer : ces déchets existent, ce ne sont pas des déchets comme les autres et nous devons les prendre en charge.
Le législateur a donc précocement posé un certain nombre de principes et de règles du jeu, qui doivent permettre d'aborder aujourd'hui le sujet dans les meilleures conditions possibles, au regard notamment d'une exigence de sûreté qui n'est pas négociable.
La première question est celle de la définition et de la caractérisation de ces déchets. Ces déchets sont, d'une part, classés en fonction de leur niveau de rayonnement, de la très faible activité à la haute activité. Ils peuvent l'être, d'autre part, en fonction de leur période de demi-vie. Le croisement de ces principes de caractérisation permet de définir les filières de gestion de ces déchets, à savoir : les déchets à vie très courte, issus des applications médicales de la radioactivité ; les déchets à très faible activité ou TFA, qui sont des déchets inertes de type béton ou gravats ; les déchets à faible-moyenne activité et à vie courte ou FMA-VC, qui sont des déchets issus de l'exploitation et de la maintenance, comme des vêtements, outils, gants, filtres, etc. ; les déchets à faible activité et à vie longue ou FA-VL, comme les déchets de graphite issus de la filière UNGG, les déchets radifères, les colis de bitumes, certains résidus de l'usine Comurhex à Malvési, etc. ; les déchets à moyenne activité et à vie longue ou MA-VL, comme les déchets de structure des installations nucléaires ou les gaines de combustible, etc. ; les déchets à haute activité ou HA, qui comprennent les colis de déchets vitrifiés issus des combustibles, contenant les produits de fission et les actinides mineurs. Chaque déchet a donc sa filière, selon le principe « séparer et confiner, plutôt que diluer et disperser ».
Un rôle important est dévolu à l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) qui, à partir de son inventaire triennal, doit évaluer le volume de ces déchets, en identifier l'origine et mettre en place les filières de gestion. Concrètement, les principaux volumes concernent les déchets de faible activité à vie courte et les moins conséquents, les déchets de haute activité. Afin de situer les ordres de grandeur, les stocks étaient de 360 000 mètres-cubes de déchets TFA en 2010 (27 % du total), 830 000 m3 de déchets FMA-VC (63 %), 87 000 m3 de déchets FA-VL (7 %), 40 000 m3 de déchets MA-VL (3 %) et 2 700 m3 de déchets HA. La radiotoxicité se concentre essentiellement dans les déchets HA : ceux-ci représentent en effet 0,2 % du volume total des déchets, mais totalisent 96 % de leur radioactivité. Ces déchets stockés font, pour la plupart d'entre eux, l'objet d'un traitement sous forme d'un compactage etou d'une vitrification.
Dans le cadre d'une réflexion prospective, l'ANDRA a étudié l'impact sur le stock et la composition des déchets de deux scénarios contrastés à échéance 2020-2030, en fonction du choix qui serait fait de poursuivre ou au contraire de cesser le traitement du combustible usé. Si ce traitement des combustibles et matières est interrompu, l'impact sur la quantité de déchets à stocker sera direct et substantiel – à travers notamment le dimensionnement d'une installation comme Cigéo.
Dans l'écosystème de la gestion des déchets nucléaires, le rôle de l'ANDRA apparait essentiel et ses moyens et son indépendance doivent être garantis, vis-à-vis notamment des producteurs de déchets. Il faut également mentionner le rôle de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, expert technique de l'ASN, du Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire et de certains partenaires comme les commissions locales d'information.
La représentation nationale elle-même s'est investie très tôt sur ces sujets, à travers notamment la loi de 1991, dite « loi Bataille », qui définissait une série d'orientations et d'axes de recherche (séparation-transmutation, entreposage de long terme en subsurface et stockage géologique), et la loi de 2006, dite « loi Birraux », qui a fait du stockage géologique profond et réversible la solution de référence. Le Parlement aura de nouvelles occasions de revenir sur le sujet, dans le cadre du débat sur la transition énergétique – qui inclura un volet « déchets » – ou dans celui d'une loi à venir en 2015, qui aura à préciser les conditions de cette réversibilité.
Nous nous sommes également posé la question du seuil de libération. La France a fait le choix de n'en introduire aucun, ce qui aboutit à considérer que l'ensemble des déchets radioactifs, quel que soit leur niveau de radioactivité ou de radiotoxicité (à de très rares exceptions près), devaient faire l'objet d'une prise en charge en stockages séparés. Certains pays ont fait d'autres choix, introduisant donc un « seuil de libération » en-deçà duquel des matières très faiblement radioactives étaient autorisées à faire l'objet de traitements et de recyclages dans des filières conventionnelles. Nous estimons opportun de poser la question de l'introduction, en France, d'un seuil de libération conditionnelle, c'est-à-dire d'autoriser le traitement et le recyclage de certains déchets radioactifs – comme des aciers ou des métaux rares issus du démantèlement d'une installation – dans le cadre de cycles fermés, impérativement circonscrits à la seule filière nucléaire. Il y a là une question essentielle, au regard du volume des déchets, de sa croissance attendue et de cette ressource rare qu'est une capacité de stockage disponible.