Intervention de Julien Aubert

Réunion du 3 juillet 2013 à 10h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJulien Aubert, corapporteur :

Il en va des déchets radioactifs et du seuil de libération comme de l'impôt sur le revenu : une partie des contribuables doit-elle ne pas payer l'impôt et qu'advient-il du dernier décile, cette petite partie qui représente la majorité de l'impôt, c'est-à-dire de la radioactivité ? De quelles solutions disposons-nous pour ces déchets à haute activité ?

Notre déplacement en Suède nous a permis de nous rendre compte que nos voisins du nord considèrent le sujet de manière pragmatique et dépassionnée : les déchets sont là, ce sont nos déchets et il est de notre responsabilité de les gérer. Certains élus antinucléaires, que nous avons rencontrés, sont en faveur du stockage : les questions sont considérées de manière disjointe et il est clair, dans leur esprit, que rechercher des solutions de traitement des déchets ne vaut en aucune manière validation d'une politique énergétique.

La question du stockage des déchets HA est une question complexe. Les instances internationales, qu'il s'agisse de l'Agence internationale de l'énergie atomique ou de l'Agence de l'énergie nucléaire de l'OCDE, soutiennent la solution du stockage géologique profond comme seule solution sûre et pérenne. Plusieurs pays dotés d'une industrie nucléaire développée comme la Finlande ou la Suède ont également retenu cette option, d'autres États en sont encore à des réflexions préliminaires.

D'autres options existent-elles ? On pense à la solution de placer les déchets au fond des océans : cette solution a été utilisée entre 1946 et 1982, elle est aujourd'hui abandonnée du fait de l'impact désastreux sur l'environnement et de l'impossibilité d'assurer un quelconque suivi. Les attitudes des États vis-à-vis de la mer sont parfois ambiguës, les Suédois projetant par exemple de construire leur centre de stockage profond sous celle-ci et n'ignorant pas qu'à terme, les résidus risquent d'être captés et dilués par les eaux. Le rejet direct en mer est néanmoins interdit depuis 1993 et on n'imagine pas, à l'heure actuelle, de revenir sur cette interdiction.

Envoyer les déchets dans l'espace met en présence d'un problème économique, car le coût d'envoi à la tonne serait prohibitif.

Certaines organisations non gouvernementales défendent la solution de l'entreposage à long terme, en surface ou subsurface. Cette solution vise à ne pas engager les générations futures par des décisions malaisément réversibles et à maintenir la possibilité d'une surveillance directe des colis de déchets. Le problème est consubstantiel à la solution elle-même : il faudra assurer la surveillance, le suivi et l'entretien du site pendant des centaines et des milliers d'années, ce dont rien ne garantit la possibilité ou la certitude. Sur un plan plus philosophique, se trouve aussi posée la question de la relation des politiques publiques au temps : nous sommes en train de bâtir une réflexion sur un sujet plurimillénaire, qui échappe totalement au temps politique – voire à la conscience humaine.

Une dernière voie était constituée par les recherches sur la séparation-transmutation, c'est-à-dire la tentative de retirer des déchets les actinides mineurs, principaux contributeurs à la radiotoxicité. Les travaux tendent à montrer qu'il ne s'agit pas là d'une solution industriellement réaliste, à court et moyen termes, et que l'exploitation d'installations de séparation et de traitement des actinides mineurs serait par elle-même génératrice de nouveaux déchets, qu'il faudrait à leur tour traiter et enfouir. La question du stockage demeurerait donc posée.

Le législateur s'est saisi du sujet du stockage depuis vingt-cinq ans, dans le cadre de la loi Bataille de 1991, d'abord, puis dans celui de la loi Birraux de 2006. Cette dernière a fait du stockage géologique profond et réversible la solution de référence, dont le laboratoire du Bure et le projet Cigéo constituent les déclinaisons. Après qu'une série de travaux ont permis d'étudier la roche et les méthodes de creusement et de scellement, on imagine un système d'alvéoles en puits profond. La question du dimensionnement de l'installation se pose parallèlement au débat sur la transition énergétique : les simulations montrent qu'une prolongation de dix ans de la durée de vie des centrales ne se traduirait que par une augmentation de l'ordre de 6 % du volume des déchets à stocker dans Cigéo.

Un débat public sur Cigéo a été lancé, mais il rencontre de grandes difficultés du fait de la stratégie d'obstruction mise en oeuvre par les adversaires du projet. Cette situation devrait nous conduire à nous interroger – j'exprime ici un point de vue purement personnel – sur la manière dont nous conduisons nos débats : alors que ceux-ci visent à faire émerger un consensus acceptable, on constate qu'en définitive certains s'emploient à créer le blocage et à empêcher la diffusion de l'information. L'exemple suédois est, de ce point de vue, riche d'enseignements : le débat y a duré dix ans et non six mois, avec le souci de convaincre les habitants un par un en leur faisant visiter les installations, en allant les rencontrer à leur domicile et en invitant les salariés du site à assurer sa promotion auprès de leur entourage.

Il existe une série de questions en suspens intéressant le projet Cigéo. La première est celle de son coût et de son financement. Le chiffrage initial s'établissait aux alentours de 15 milliards d'euros, il a depuis été réévalué à 35 milliards d'euros. Cette progression s'explique par le coût des études préliminaires – avec des sujets techniques, comme les modalités de creusement des tunnels – mais aussi par la prise en compte de coûts d'exploitation et de charges pluri-décennaux, qui ont été revus à la hausse. Ramené au prix du kilowattheure payé par le consommateur, l'incidence n'est pas très significative ; sur les comptes et les provisions d'EDF, l'impact est en revanche de 4 milliards d'euros… ce qui explique les tensions parfois perceptibles entre l'ANDRA et ses financeurs. On a d'ailleurs le sentiment que le choix implicite de la France, c'est aujourd'hui « ceinture et bretelles », afin de couvrir tous les risques, avérés, potentiels et hautement improbables. Cette attitude est extrêmement responsable au regard des enjeux de sûreté, mais elle représente un coût financier considérable. En voulant isoler tous les déchets, en se refusant à introduire un seuil de libération, en traitant de la même manière le déchet HA exposant à un risque mortel et le gravats issus de démantèlement ou la tenue du visiteur occasionnel, on apporte des solutions identiques à des problèmes différents. En toute hypothèse, il appartiendra au nouveau ministre de l'écologie, à l'automne prochain, d'arrêter le cadre du chiffrage financier.

Se pose également la question de la réversibilité. Cette réversibilité était un concept essentiel porté par la loi de 2006. De quoi s'agit-il exactement ? On pourrait penser qu'il s'agit de récupérer les déchets nucléaires afin de pouvoir ensuite les retraiter. Ces déchets étant en réalité vitrifiés, la réversibilité doit plutôt s'entendre comme la possibilité de récupérer les colis pour les stocker ailleurs : elle s'apparente donc à une forme de flexibilité dans le processus, pendant un siècle – car ce sera plus difficile au-delà, pour des raisons de sûreté. Il y a donc une dimension politique de la réversibilité : les déchets nucléaires sont et seront invisibles aux populations et il est donc important qu'elles puissent être assurées que, dans certaines limites, il sera possible d'aller rechercher les colis si nécessaire. Là encore, la question du coût spécifique de la réversibilité mérite d'être posée, notamment au regard de la proposition de l'ANDRA d'organiser des clauses de rendez-vous décennales à partir du lancement de Cigéo.

Mon collègue Christophe Bouillon et moi-même sommes enfin sensibles au fait que Cigéo, implanté sur une petite partie du territoire, serait le récipiendaire d'un bien collectif de la Nation – ces déchets nucléaires, que nous avons tous collectivement produits et dont les désagréments en termes d'image, de nuisances ou de voisinage ne seront subis que localement. Ceux qui accepteront l'installation Cigéo sur leur sol et dans leur sous-sol rendront un service d'intérêt national. Nous proposons donc de réfléchir à la création d'une « Zone d'intérêt national » en MeuseHaute-Marne, qui serait bâtie sur le modèle des zones franches et ouvrirait droit à une série d'avantages – notamment, des avantages fiscaux. Le dispositif serait placé dans un cadre juridique extrêmement protégé sur le temps long et serait complété par un effort massif d'investissements d'avenir, de jeunesse et d'éducation.

Le rôle de l'ANDRA a été contesté par les producteurs de déchets et la question du chiffrage a tendu les relations entre les différents acteurs. Nous pensons que ce rôle doit être conforté et réaffirmé, car le stockage géologique profond concernera d'autres pays que la France à l'avenir – même si certains ont fait le choix du granite plutôt que de l'argile – et que le savoir-faire que l'ANDRA est en train de développer est susceptible d'être exporté et vendu. Il y aura là une forme de retour sur l'investissement consenti par notre pays au titre de Cigéo.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion