Dans son discours de politique générale, le Premier ministre avait promis un projet de loi sur l'audiovisuel avant la fin de l'année. Lors de votre audition par notre Commission le 11 juillet 2012, madame la ministre, vous aviez fixé les cinq axes de cette réforme : modification du mode de désignation des membres du CSA pour les rendre plus indépendants de l'exécutif ; nomination des présidents de l'audiovisuel public par cette nouvelle instance ; consolidation du financement de l'audiovisuel public ; réforme de l'audiovisuel extérieur de la France (AEF) – l'annonce de l'arrêt définitif de la fusion des rédactions de Radio France internationale (RFI) et de France 24 ayant alors entraîné, le 12 juillet, la démission de M. Alain de Pouzilhac, président-directeur général de l'AEF – ; rapprochement, enfin, des rédactions de France 2 et de France 3, avec le maintien de leurs identités respectives et la mise en commun de certains moyens pour éviter les doublons. Pour l'heure, seuls deux volets sur cinq ont été présentés – mais l'année n'est pas terminée…
Le projet de loi qui nous est soumis trace sa petite route sans gêner personne ; d'ailleurs, il ne trouve guère d'écho dans les médias. Cette normalité doit cependant nous alerter. Le texte améliore le système existant de façon mécanique. L'exemple le plus frappant, de ce point de vue, est la création d'un poste de rapporteur permanent auprès du CSA. Le bien-fondé de cette mesure apparaît de façon claire, et peut-être trop claire : il s'agit d'améliorer la transparence et de sanctuariser les espaces de pouvoir au sein du CSA, comme pour la nomination des responsables des sociétés audiovisuelles publiques. Mais en matière culturelle, on sait ce qu'il faut penser de la sanctuarisation… En l'occurrence, un petit espace de liberté est incontestablement gagné. Mais est-ce vraiment le plus important ?
Au-delà des intentions convenues sur l'indépendance, qui rappellent le monopole du coeur, il fallait introduire du sang neuf. Pour la composition du CSA, le pouvoir de l'exécutif sera notamment limité par l'exigence d'un accord aux trois cinquièmes des commissions parlementaires compétentes. Il faut s'en féliciter, mais vous ne changez rien à l'identité même du pouvoir concerné. Pourquoi ne pas associer à la procédure de nomination d'autres acteurs, qui ont une part majeure dans la vie culturelle et audiovisuelle, comme les sociétés d'auteurs, à commencer par la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), la Société civile des auteurs multimédia (SCAM) ou la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM) ?
La nomination des présidents des sociétés publiques a évidemment quelque chose d'un peu hypocrite : quand tous les pouvoirs sont entre les mêmes mains, le choix sera toujours celui du pouvoir en place – nonobstant les alternances –, dont les responsables desdites sociétés ont toujours été proches : le projet de loi n'y changera rien. Comment le CSA pourrait-il nommer des responsables dont l'État, qui a la tutelle budgétaire sur ce secteur, ne veut pas ?
Vos promesses de campagne, indifférentes aux réalités, vous contraignent aujourd'hui au mensonge et à l'hypocrisie : hypocrisie avec le limogeage du président du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), remplacé par une ancienne de la « promotion Voltaire » de l'École nationale d'administration à qui l'on ne connaît pas de compétences particulières pour ce poste ; hypocrisie encore, avec la nomination, par le Président de la République, de l'ancien directeur de cabinet de M. Lionel Jospin à la présidence du CSA, alors qu'il n'a aucune expérience reconnue dans l'audiovisuel. N'y a-t-il pas un hiatus entre ces pratiques et les mesures que vous défendez aujourd'hui ? Au fond, le projet de loi ne change pas les pratiques mais, à la faveur d'une configuration politique qui vous est favorable, il entretient l'illusion.
Nous regrettons l'absence de deux sujets majeurs. Le premier est le rapprochement entre le CSA et l'ARCEP, auquel vous dites réfléchir : espérons que l'on y verra plus clair avant la fin de l'année. Le second est la réforme du mode de financement de l'audiovisuel public, qui nous paraît essentielle.
Vos déclarations en trompe-l'oeil ne sauraient masquer que le lien entre l'audiovisuel et le pouvoir n'est en aucun cas rompu : vous perpétuez ainsi la tradition de vos prédécesseurs, notamment socialistes… On ne peut que déplorer votre manque d'audace, car l'indépendance de l'audiovisuel est la garantie d'une démocratie moderne.