C'est une démarche qui me semble naturelle, même si, en théorie, le Gouvernement est en mesure de légiférer sans échanger de nouveau avec les parlementaires.
Les différentes mesures de ce projet d'ordonnance s'inspirent du rapport « Construction et droit au recours : pour un meilleur équilibre » que M. le président Labetoulle m'a remis le 25 avril dernier.
Sur l'intérêt à agir, tout d'abord, l'article 1er contient les dispositions permettant de codifier l'intérêt à agir pour les personnes physiques ou morales autres que les associations contre les autorisations délivrées en application du code de l'urbanisme, et ce afin de donner une plus grande lisibilité à ces règles et de préciser le droit applicable à la recevabilité des recours.
L'intérêt à agir de ces personnes s'appréciera à la date d'affichage en mairie de la demande d'autorisation pour les autorisations de construire : il s'agit d'empêcher la constitution d'un intérêt à agir « artificiel », par la voie d'acquisition ou de location in extremis d'immeubles se situant dans la commune ou dans le voisinage de la construction projetée, et ce uniquement à des fins dilatoires ou de négociation pécuniaire. Aujourd'hui, l'intérêt à agir peut être constitué par le simple fait, pour un Brestois par exemple, d'envisager d'habiter à proximité de l'immeuble faisant l'objet d'un permis de construire à Marseille !
L'article 2 concerne les pouvoirs du juge administratif en matière d'urbanisme
Il s'agit d'abord de lui ouvrir la possibilité d'annuler partiellement une autorisation de construire, alors que, jusqu'à présent, il ne pouvait que prononcer une annulation totale ou une validation totale. Ainsi, pour un permis concernant trois constructions sur un même terrain et faisant l'objet d'une contestation portant sur une des constructions, il deviendra possible, si le juge le décide, de continuer à mettre en oeuvre les deux autres constructions sans attendre l'issue du recours.
Le juge aura également la possibilité de fixer le délai dans lequel le titulaire du permis pourra en demander la régularisation.
Il s'agit aussi d'autoriser le juge à surseoir à statuer sur l'annulation d'un permis de construire ou d'aménager lorsqu'il constate que la régularisation est possible par un permis modificatif. Aujourd'hui, je le rappelle, la seule réponse à une annulation est le dépôt d'un nouveau permis, et la seule décision que peut prendre le juge est l'annulation complète. Cette disposition permettra donc d'éviter, dans certains cas, les délais afférents au dépôt d'un permis classique.
Il s'agit aussi et surtout d'autoriser le juge administratif, dans le cadre d'un contentieux contre un permis de construire ou d'aménager, à condamner sous certaines conditions les personnes physiques ou morales, autres que les associations environnementales agréées, à des dommages et intérêts si leur recours est abusif. Il ne sera ainsi plus nécessaire à celui qui s'estime lésé par un recours de présenter une requête distincte devant le juge civil pour demander des dommages et intérêts.
L'article 3 tend à encadrer le régime des transactions par lesquelles il est mis fin à l'instance.
Dans le contentieux de l'urbanisme, il est parfois mis fin à l'instance par le désistement du requérant moyennant une contrepartie financière, laquelle n'est actuellement ni encadrée ni plafonnée, ou l'octroi d'avantages en nature – offrir un appartement, par exemple –, ou encore la modification du projet. Certains parlementaires auraient souhaité interdire de telles transactions. Il me semble pourtant logique de laisser une marge de négociation qui permet de « mettre de l'huile dans les rouages », par exemple pour un voisin contrarié de voir un immeuble se construire à côté de chez lui. Mais il faut moraliser cette pratique et mettre en place des dispositifs pour s'opposer aux transactions qui sont l'aboutissement d'un processus de chantage, voire de racket, sachant que l'utilisation des procédures actuelles peut provoquer jusqu'à six ans de retard dans la validation d'un permis. Dans un territoire de notre pays, on a constaté des transactions montant jusqu'à 500 000 euros en échange du retrait d'une demande d'annulation !
Il est donc prévu de rendre obligatoire l'enregistrement auprès de l'administration des impôts des transactions qui aboutissent à un désistement de la personne qui a engagé un recours. Cette identification du bénéficiaire, proposée par la commission Labetoulle, aura pour effet de freiner la multiplication des recours et de moraliser ceux-ci.
La question du raccourcissement des délais de traitement des contentieux d'urbanisme, qui est de nature réglementaire et non législative, fera l'objet d'un décret en Conseil d'État qui sera examiné en même temps que l'ordonnance afin de donner toute sa portée au dispositif.
Ce décret introduit la possibilité d'une « cristallisation des moyens » : le juge pourra fixer, au cas par cas, une date au-delà de laquelle de nouveaux motifs d'annulation du permis ne pourront plus être invoqués. Certaines procédures de mauvaise foi visent en effet à soulever les uns après les autres les motifs d'annulation afin d'allonger les délais.
Enfin, pour accélérer le traitement des recours portant sur des opérations de construction de taille importante et pour éviter l'engorgement des tribunaux administratifs, le transfert aux cours administratives d'appel d'une partie des litiges a du sens au regard de l'intérêt public, qui s'attache à la réalisation rapide de ces projets.
Ainsi, dans la trentaine d'agglomérations de plus de 50 000 habitants soumises à la taxe sur les logements vacants – c'est-à-dire dans les zones que vous avez retenues plusieurs fois déjà comme étant les plus tendues en la matière –, les cours administratives d'appel se verront transférer la compétence pour traiter les recours portant les projets de construction d'une surface de logements supérieure à 1 500 mètres carrés. Il s'agit d'accélérer le traitement des recours et, le cas échéant, la levée des blocages.
Ce projet d'ordonnance correspond précisément à ce que je vous avais présenté dans le cadre du projet de loi d'habilitation. La cristallisation des moyens constitue une innovation, tandis que les autres mesures visent à moraliser les transactions et à accélérer les procédures.