Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 25 septembre 2012 à 17h00
Commission des affaires européennes

Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé des affaires européennes :

Mesdames les Présidentes, je vous remercie de me permettre de présenter dès aujourd'hui le « paquet européen » que le Gouvernement soumettra prochainement à la représentation nationale.

En effet, le débat que nous aurons dans quelques jours dans l'hémicycle ne portera pas exclusivement sur le TSCG, mais sur l'ensemble des orientations que le Gouvernement entend faire prévaloir en matière de politique européenne. Cela comprend le pacte de croissance adopté lors du Conseil européen des 28 et 29 juin derniers, le pacte de stabilité budgétaire inclus dans le traité, la taxe sur les transactions financières, la supervision bancaire et la poursuite de la réflexion sur la mise en place d'une union bancaire européenne, qui comprendrait également un dispositif de résolution des crises bancaires et un autre de garantie des dépôts. Je profiterai de cette audition pour apporter des informations aussi précises que possible sur la mise en oeuvre des décisions prises lors du dernier Conseil européen et sur les dispositions prévues par le TSCG.

Commençons par le pacte de croissance. Il s'agit d'un plan de 120 milliards d'euros comprenant plusieurs enveloppes : 55 milliards d'euros de fonds structurels à répartir entre les États membres ; une recapitalisation de la Banque européenne d'investissement (BEI) à hauteur de 10 milliards d'euros, qui devrait permettre d'accorder pour 60 milliards d'euros de prêts visant à financer des projets structurants dans les territoires, notamment en matière de développement durable ; le lancement d'une phase pilote pour l'émission d'une première génération d'« obligations de projets ». Le plan permet également 120 milliards d'investissements privés complémentaires.

Le conseil d'administration de la BEI s'est réuni le 24 juillet pour prendre la décision de recapitalisation ; celle-ci doit être présentée aux gouverneurs avant la fin de l'année, de manière à permettre le déblocage en une seule tranche des 10 milliards d'euros afin que les 60 milliards de prêts puissent être accordés sans tarder. La France participera à cette recapitalisation à hauteur de 1,6 milliard d'euros, qui seront inscrits dans la prochaine loi de finances afin de témoigner de notre volonté d'aller vite.

Que devrions-nous obtenir en retour ? En moyenne, la France a bénéficié au cours des dernières années de 8 % des concours financiers de la BEI – contre 7 % pour le Royaume-Uni et 13 % pour l'Allemagne. Ce sont donc quelque 5 milliards d'euros qui devraient être rapidement mobilisés dans ce cadre. Ces financements bénéficieront à des projets actuellement en attente ou à de nouveaux projets, sur lesquels nous travaillons avec les départements ministériels concernés, le Commissariat général à l'investissement, la DATAR et les régions. À la demande du Premier ministre, j'ai entamé une tournée afin d'examiner région par région les projets éligibles ; je pense, par exemple, à l'achèvement des travaux du nouveau CHU d'Amiens, au projet de canal Seine-Nord-Europe ou aux opérations d'équipement numérique de la Haute-Savoie. Je vous incite à signaler les projets susceptibles de faire l'objet d'un financement ; les secrétaires généraux pour les affaires régionales ont déjà été sollicités par lettre du Premier ministre et ma tournée me permettra d'étudier les modalités de mise en oeuvre.

S'agissant des obligations de projets, un règlement a été adopté dès le mois de juillet afin de permettre leur mise en place rapide. La Commission européenne a décidé d'apporter 230 millions d'euros en garantie pour la levée de 4,5 milliards ; sur cette enveloppe de 230 millions d'euros, 200 millions iront au secteur des transports, 10 millions au secteur de l'énergie et 20 millions aux technologies de l'information et de la communication.

Nous avons demandé aux secrétaires généraux pour les affaires régionales de dresser le bilan des fonds structurels inutilisés, donc disponibles. Une première enveloppe porterait sur quelque 2 milliards d'euros ; l'objectif est de les mobiliser le plus rapidement possible.

Le pacte de croissance n'est que la première étape d'un dispositif plus vaste, qui comprend notamment les perspectives financières de l'Union pour 2014-2020. Le Conseil affaires générales qui s'est tenu hier a permis d'engager la discussion avec nos partenaires. Notre objectif est de faire en sorte qu'on ne touche pas au volume des aides directes de la politique agricole commune et que la politique de cohésion soit menée avec lisibilité, c'est-à-dire que les régions qui ont connu une évolution de leur PIB comparable se voient allouer des crédits dans des conditions similaires. Nous souhaitons également que le budget de l'Union soit doté de ressources propres ; c'est pourquoi nous nous employons à obtenir les dernières signatures nécessaires pour mettre en place la taxe sur les transactions financières suivant la procédure de coopération renforcée.

Cette négociation sur les perspectives financières sera difficile, car nous souhaitons prolonger l'ambition de croissance portée par le traité ; il faudra approfondir la relation avec nos partenaires si l'on veut réorienter les budgets et les politiques de l'Union dans cette direction.

J'en viens à la remise en ordre du système bancaire. Le dernier Conseil européen a décidé la mise en oeuvre de la supervision bancaire, première étape d'un dispositif qui comporte deux autres volets : la résolution au niveau européen des crises bancaires et la garantie des dépôts. L'objectif est que l'Union européenne dispose d'une véritable union bancaire, lui permettant de contrôler l'activité des banques afin que les errements du passé ne puissent plus se reproduire.

Le débat – difficile – porte sur le périmètre de ce contrôle. La France, qui a sur ce sujet la même position que la Commission, considère que la Banque centrale européenne doit être le superviseur et que sa surveillance ne doit pas s'exercer uniquement sur les banques systémiques, mais sur la totalité des plus de 6 000 banques de la zone euro. La Commission européenne est chargée d'élaborer les dispositions législatives, qui seront ensuite débattues dans le cadre du trilogue avant que soit arrêté définitivement le périmètre de la supervision. Je précise que si cette supervision peut être mise en oeuvre dans le cadre des traités existants, les deux autres volets de l'union bancaire supposent un inventaire juridique préalable. Les travaux conduits par Herman Van Rompuy visent précisément à examiner ce qu'il serait possible de faire dans le cadre des traités existants et ce qu'il faudrait faire si l'on décidait de les modifier.

Troisième point, la solidarité financière et monétaire. Le dernier Conseil européen a précisé les modalités d'intervention du Fonds européen de stabilité financière (FESF) et du Mécanisme européen de stabilité : le FESF et le MES pourront intervenir sur le marché secondaire des dettes souveraines et le MES aura la possibilité de recapitaliser directement les banques ; cela évitera aux États membres d'avoir à faire appel aux marchés et de devoir répercuter sur les peuples les taux prohibitifs qu'on leur impose, ruinant ainsi leurs efforts de réduction des déficits. Il serait contradictoire de vouloir accélérer la sortie de l'Europe de la crise et éviter l'austérité aux peuples tout en refusant l'utilisation des mécanismes de mutualisation et en déclenchant une crise dont l'Europe n'a nul besoin ; je rappelle que, si nous nous sommes abstenus lors du vote sur la création du MES, c'est parce que nous étions opposés au lien établi dans le texte entre le MES et le traité de discipline budgétaire. Une autre disposition, très importante pour les banques espagnoles, prévoit l'abandon par le MES de la séniorité.

Pour que ce mécanisme de solidarité s'applique, le Conseil européen a décidé que la supervision bancaire devait être mise en oeuvre préalablement. Nous souhaiterions donc que ce soit fait rapidement.

Prenant acte des décisions du Conseil européen, la BCE a précisé les conditions de son intervention. M. Draghi a déclaré que la BCE interviendra sur le marché de la dette publique pour acquérir des titres à maturité courte, sans limites, mais à condition que les pays bénéficiaires aient préalablement accepté le principe d'un programme. Il existe donc désormais un mécanisme permettant à la BCE d'intervenir aussi longtemps qu'elle le jugera nécessaire pour empêcher les spéculateurs de gagner. Grâce à cette simple déclaration, la spéculation est déjà très contingentée.

La BCE sort-elle de son rôle en intervenant de la sorte ? Je rappelle que le mandat de la BCE est double : il s'agit d'assurer la stabilité des prix et le sauvetage de la monnaie. Or, lorsqu'un pays est attaqué dans des proportions significatives, c'est la monnaie unique dans son intégrité qui s'en trouve fragilisée. La BCE intervient donc, non en vertu d'un quelconque accord de solidarité avec un pays, mais au titre de son mandat de défenseur de la monnaie unique.

Nous souhaitons aller plus loin encore. Pour cela, il convient de réaliser l'inventaire de ce qu'il est possible de faire dans le cadre des traités existants, car il est possible qu'une plus grande solidarité nécessite leur modification. Nous avons déclaré que nous étions prêts à faire un saut politique si celui-ci était justifié par une volonté de solidarité supplémentaire entre les États – ce que le Président de la République a appelé « l'intégration solidaire ». C'est pourquoi nous avons accepté de participer aux travaux du ministre allemand Guido Westerwelle et que nous allons présenter à Herman Van Rompuy une feuille de route, qui sera la contribution de notre pays à l'Union politique et monétaire.

J'en viens pour finir au traité lui-même. Dans le cadre que je viens de présenter, il ne représente plus l'horizon indépassable de la politique européenne. Nos prédécesseurs auraient souhaité qu'il fût inscrit dans la Constitution ; ils considéraient que la discipline budgétaire était la pierre angulaire de l'Union européenne. Cela ne correspond pas à notre approche.

Nous estimons que le traité n'a pas vocation à être inscrit dans la Constitution parce que l'ensemble des dispositions à caractère budgétaire auxquelles il fait référence sont déjà en vigueur et qu'il ne prévoit pas de transfert de souveraineté ; le Parlement continuera à exercer la plénitude de ses pouvoirs budgétaires. Nous considérons en outre que la politique budgétaire ne relève pas des textes qui régissent les rapports entre les pouvoirs publics, mais des prérogatives classiques du Parlement. Le Conseil constitutionnel nous a donné raison sur ce point : en conséquence, le débat est clos.

Les dispositions du traité et la discipline budgétaire ne doivent pas être les aspects prédominants de la politique de l'Union européenne. Notre conviction est que, si la discipline budgétaire est nécessaire – le budget que nous allons présenter témoigne d'ailleurs de notre volonté en la matière –, elle ne suffit pas ; il faut aussi accroître la solidarité, remettre en ordre la finance, impulser de la croissance.

Je voudrais maintenant préciser quelques points sur le contenu du traité.

Premièrement, celui-ci n'impose pas de passer de 3 % de déficit maastrichtien à 0,5 % de déficit structurel. Les règles de Maastricht demeurent : le déficit maastrichtien correspond au déficit des comptes publics, c'est-à-dire à la différence entre les dépenses et les recettes de l'État, alors que le déficit structurel tient compte également des dépenses mobilisées par les États en vue de faire face à des chocs conjoncturels. Cela signifie que l'objectif de déficit structurel permettra aux États contractants de mener des politiques budgétaires contracycliques. En revanche, le respect du principe de 0,5 % dans la durée garantira le maintien de l'objectif de 3 %.

Deuxièmement, il n'y aura pas d'effet cumulatif de la réduction des déficits et de la réduction de la dette. Le traité donne bien l'obligation aux États contractants de réduire de un vingtième par an la part de leur dette supérieure à 60 %, mais dans un délai de trois ans après la sortie d'une procédure de déficit excessif.

Troisièmement, le traité ne remet pas en cause les pouvoirs budgétaires du Parlement et ne prévoit pas de procédure disciplinaire nouvelle. Le mécanisme permettant à la Commission d'intervenir dans le budget des États résulte du « Six Pack », déjà entré en vigueur ; et, dans le cadre du semestre européen, le précédent gouvernement a présenté ses orientations budgétaires pluriannuelles à la Commission, qui a exprimé ses recommandations quelques semaines après la nomination du nouveau gouvernement.

Enfin, il est erroné de dire que le juge sera comptable des équilibres budgétaires des États ou qu'il s'agit de l'amorce d'un gouvernement des juges : le traité prévoit en effet une saisine de la Cour de justice de l'Union européenne, non pas si les États ne respectent pas les règles budgétaires, mais dans le cas où ils n'auraient pas transposé le contenu du traité en droit national.

On peut être pour ou contre ce traité. Pour ma part, je pense qu'il fallait, non pas en faire la pierre angulaire de l'Union européenne, mais l'inclure dans un ensemble plus large, en utilisant certaines de ses dispositions pour favoriser une lecture keynésienne si des chocs conjoncturels le justifient. D'ailleurs, certains pays ont demandé que l'article 3, paragraphe 3, prévoie que les États contractants puissent se délier des obligations du traité en cas de circonstances exceptionnelles.

Je souhaite que ce débat ait lieu et qu'il soit conduit avec la plus grande rigueur. Je suis donc à votre disposition pour répondre à vos questions le plus précisément possible, et sans esprit de polémique.

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