Intervention de Jean-Pierre Jouyet

Réunion du 3 juillet 2013 à 11h15
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Jean-Pierre Jouyet, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations :

Vous l'aurez compris, l'année 2012 a été pour notre groupe une année de transformation. Le président du conseil de surveillance a insisté sur les mauvaises opérations qui ont pesé sur nos résultats. Néanmoins, il y a eu aussi de bonnes choses.

Les fonds d'épargne ont atteint un niveau d'activité inégalé, avec 24 milliards d'euros de prêts. Nos directions régionales se sont mobilisées pour financer les projets d'équipement territoriaux, et nos filiales ont fait preuve d'un dynamisme certain pour continuer à se développer. Je pense à Icade, qui, grâce à son rapprochement avec Silic, dont la Cour d'appel de Paris a confirmé la validité, a vocation à devenir la première foncière de bureaux de France, mais aussi à CNP Assurances, qui a su engager un processus de diversification de ses produits pour améliorer son potentiel de croissance et qui est le premier élément de résultat récurrent de la Caisse, ou encore à la Société nationale immobilière, qui a connu un bon niveau d'activité.

Permettez-moi maintenant de revenir sur deux points évoqués par le président de la commission de surveillance.

Il s'agit en premier lieu des prêts à la SFIL, pour lesquels nous disposons d'une enveloppe de 12,5 milliards d'euros, dont 11 milliards ont été prêtés. Ils correspondent à des refinancements de son stock actuel de créances. Ces prêts doivent être amortis en proportion de la réduction de ce stock. Leur encours doit donc se réduire progressivement, pour peu que les textes législatifs soient adoptés en conséquence à l'automne.

J'en viens à la réforme de l'épargne réglementée envisagée par le Gouvernement. Comme l'a rappelé le président Henri Emmanuelli, celle-ci porterait à la fois sur les éléments du coût des ressources, avec la baisse du commissionnement des banques, et sur la question de la centralisation. Ceci s'inscrit dans une cohérence d'ensemble, puisqu'un relèvement des plafonds du livret A et du LDD a déjà été opéré et que les volumes des prêts ont été décidés pour les années à venir, au bénéfice du logement social et des collectivités locales, mais aussi de bpifrance, au profit de qui un prêt de 10 milliards d'euros des fonds d'épargne pourrait être mobilisé. D'autres emplois pourraient bien sûr être décidés par le Gouvernement, mais nous devons veiller au calendrier, afin que le hiatus entre l'augmentation de la collecte et le versement nécessairement plus lent – comme l'a rappelé le président de la commission de surveillance – des prêts supplémentaires puisse être comblé. C'est ce décalage dans le temps entre les ressources et les emplois que le projet vise à combler. Du point de vue de la Caisse, une telle réforme est envisageable si elle répond à deux critères : ne pas obérer la capacité future de prêts du fonds d'épargne, qui doit rester un outil facilement mobilisable pour apporter des financements, notamment à long terme, en soutien aux priorités identifiées par les pouvoirs publics, et répondre à l'intérêt financier des fonds d'épargne dont la Caisse a la charge. Nous pourrions être favorables, pour des montants significatifs qui ont été évoqués par le président de la commission de surveillance, à une réforme qui comporterait une baisse du commissionnement versé aux banques, un retour de liquidités qui s'adosserait non seulement au livret A et au LDD, mais aussi au livret d'épargne populaire – LEP – et une garantie forte de retour de liquidités vers la Caisse qui prennent en compte l'ensemble des prêts du fonds d'épargne, et pas seulement ceux du logement social, qui restent protégés depuis la loi de modernisation de l'économie. Il faut savoir qu'il s'agit d'un mécanisme de contournement ou de retournement : il y a de facto une baisse du taux de centralisation, qui passerait de 65 % à 59 %.

Notre modèle économique est aujourd'hui sous contrainte. La Caisse reste solide, mais nous sommes désormais moins riches, et nous ne pouvons plus tout faire.

Notre structure de bilan s'est déformée depuis quelques années. D'une part, le poids de nos participations stratégiques s'accroît significativement, équivalent à 75 % de nos fonds propres sociaux en 2007, à 100 % en 2009, et qui pourraient en représenter 130 % en 2017 ; les participations stratégiques de la Caisse constituent un facteur de rigidité de notre gestion qui pèse sur nos résultats. D'autre part, nous sommes conduits à nous endetter et à faire davantage appel aux marchés financiers. C'est notamment le cas avec la mise en place de prêts à la SFIL pour un montant maximum de 12,5 milliards.

Aujourd'hui, les besoins en fonds propres générés par notre activité sont juste couverts par notre capital économique. Le modèle économique de la Caisse est donc contraint. Il n'est plus possible d'envisager des opérations structurantes très coûteuses en capital, car cela aurait des incidences sur le niveau de solvabilité de la Caisse – je pense par exemple à des opérations semblables à celle menée au profit de La Poste.

Certes, nous restons l'une des institutions financières les plus appréciées au monde. Nous jouissons d'un fort capital de confiance, d'une véritable expertise humaine et d'une gestion de portefeuille qui nous permet de maintenir de bons résultats. C'est en effet la gestion de portefeuille qui contribue le plus aujourd'hui, avec les résultats de certaines filiales, dont la CNP, à nos bons résultats. On comprend donc que ceux-ci seront plus volatils à l'avenir.

C'est dans ce cadre que nous esquissons de nouvelles orientations stratégiques. La Caisse doit être plus concentrée et plus sélective, et opérer un retour marqué à ses fondamentaux dans un cadre modernisé, à la lumière du débat sur les propositions de réduction des dépenses de l'État. Même si la Caisse n'est pas l'État, elle ne saurait s'affranchir du climat actuel : elle doit donc se moderniser et faire des économies de fonctionnement. Elle doit également dégager des priorités sectorielles, en accompagnement des politiques publiques.

La Caisse des dépôts demeurera bien sûr, aux côtés de bpifrance, un acteur important du financement des entreprises. Elle le demeurera aussi à travers son activité d'investisseur institutionnel, et à travers sa capacité à élaborer des dispositifs de place. Nous allons ainsi lancer prochainement le fonds obligataire à destination des petites et moyennes entreprises et des entreprises de taille intermédiaire.

Le groupe sera plus que jamais un partenaire privilégié des collectivités locales pour accompagner leur développement économique en tant que prêteur, investisseur, opérateur, mais aussi apporteur de solutions d'ingénierie. J'ai eu l'occasion d'en parler avec un certain nombre d'entre vous lors de mes déplacements dans les régions, et je sais que nous sommes attendus sur ce point sur le terrain.

La Caisse doit être reconnue en la matière, tant par la force de frappe de ses expertises que par celle de ses capacités d'investissement. Elle doit être bien davantage qu'un investisseur institutionnel ou une holding financière, et revendiquer son insertion concrète dans l'économie.

Compte tenu du retrait de Dexia, le centre de gravité du groupe a basculé vers le financement des collectivités, à travers la mise en place d'une enveloppe de 20 milliards sur fonds d'épargne, entre 2013 et 2017. Je ne reviens pas sur les procédures complexes décrites par le président Henri Emmanuelli. Nous avons également noué un partenariat avec La Banque postale pour des prêts de court et de moyen terme, et signé un accord avec la BEI pour cofinancer des projets d'investissements prioritaires dans les domaines de l'énergie, du haut débit, de la transition énergétique ou des transports urbains, qui témoignent de notre engagement au plus près des territoires.

Je souhaite également que nous revenions à nos fondamentaux, à savoir nos activités de mandataire et de dépositaire, porteuses de relais de croissance, qu'il s'agisse de nouveaux dépôts, de fiducie ou – comme la Cour des comptes nous y invite – de la gestion des comptes bancaires inactifs et des contrats d'assurance-vie en déshérence, qui représentent près de 4 milliards d'euros. Dans le cadre de la réflexion sur la réforme des retraites, nous pouvons être plus présents sur la gestion d'un certain nombre de régimes, notamment ceux des salariés dont la carrière a été marquée par la pénibilité. Nous devons inventorier les populations, les identifier. Bref, nous sommes à la disposition du Parlement et du Gouvernement. Nous essayons de moderniser à la fois la gestion de nos mandats et celle de nos dépôts. Sur ce point, j'ai bien noté, monsieur le Rapporteur général, que vous engagiez une réflexion en vue du dépôt d'une proposition de loi.

En ce qui concerne les fonds d'épargne, je vous ai dit l'essentiel. La mission du fonds d'épargne a été renforcée – et cela fait des envieux. Nous serons néanmoins attentifs à ce que les intérêts de ce fonds ne soient pas remis en cause.

Quelques mots à présent sur les priorités sectorielles de notre plan stratégique, étant entendu que je ne serai pas exhaustif. La transition énergétique et environnementale sera un axe important de développement, notamment en matière de rénovation énergétique des logements et de promotion des énergies renouvelables. Elle est l'un des axes essentiels de politiques publiques sur lesquels le groupe est en mesure de mobiliser l'ensemble de ses expertises et de ses entités.

Notre groupe se positionnera également sur la question du numérique, que ce soit sur le développement des réseaux d'infrastructures ou la consignation des données numériques. Le développement des réseaux énergétiques ou numériques est appelé à consolider notre effort en matière d'infrastructures.

Le groupe réaffirmera son rôle d'entraînement et de mobilisation dans la modernisation des politiques du logement. Il en va ainsi du développement des logements intermédiaires avec des co-investisseurs. Il en va de même des solutions innovantes appelées à répondre aux enjeux d'autonomie et de vieillissement de la population en matière d'habitat.

Enfin, en s'appuyant sur ses réseaux internationaux, la Caisse entend être le pivot d'une politique publique destinée à attirer les fonds souverains sur des projets français. Dans la situation difficile que traversent l'Europe et notre pays, les investisseurs souverains représentent une importante capacité de financement. Nous avons déjà conclu avec le Qatar un projet de fonds de 300 millions d'euros. D'autres suivront si la commission de surveillance l'autorise. Nous le souhaitons, car c'est l'un des axes de développement futurs de la Caisse.

Nous serons également très attentifs, monsieur le président Emmanuelli, à ce que le statut européen des banques publiques de développement et leurs spécificités ne soient pas remis en cause.

Encore une fois, nous sommes à un tournant. Nous devons engager la transformation de la Caisse, et adapter son modèle économique et ses modes d'intervention pour dégager de nouvelles marges de manoeuvre.

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