Intervention de Amiral Édouard Guillaud

Réunion du 6 juin 2013 à 9h00
Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Amiral Édouard Guillaud, chef d'état-major des armées :

Pour le militaire que je suis, les programmes d'armement en coopération n'étant qu'un moyen et non une fin en soi, j'aborderai ici la coopération sous un angle général. Je rappellerai en outre à titre liminaire que contrairement à une opinion assez répandue, si les militaires ont toute leur importance au coeur de ce dispositif, la Direction générale de l'armement (DGA) est la première concernée.

La DGA et les forces armées doivent aujourd'hui composer avec les effets d'une crise économique durable, qui nous impose plus que jamais d'optimiser la conduite de nos programmes d'armement. Les industriels de la défense sont eux-mêmes confrontés à des difficultés très lourdes, mais dont les enjeux sont d'une autre nature et parfois contradictoires.

La coopération internationale est présentée comme incontournable, essentiellement en raison des avantages économiques qu'elle présente en termes de partage des coûts. Dans le secteur spécifique des programmes d'armement, à la croisée d'enjeux stratégiques, politiques, opérationnels, économiques et industriels, cette coopération doit être repensée à la lumière des contraintes économiques et financières actuelles, des exigences de nos partenaires et de concepts rénovés tels que le partage et la mutualisation capacitaire. Il y va en effet de la place de la France dans le monde, de sa souveraineté, du succès opérationnel de ses armées, et de la prospérité – voire de la survie – de ses industries.

Afin de cerner cet enjeu dans sa globalité, j'aborderai six points. D'ordre général, les trois premiers viseront à préciser quelles sont les principales caractéristiques des programmes d'armement, quelles opportunités nous sont offertes par les coopérations et quelles en sont les conditions de succès. D'ordre plus pratique, les trois points suivants auront pour objet d'expliciter les domaines dans lesquels il convient de coopérer, avec qui et comment. J'ai pour ma part acquis près de trente ans d'expérience en la matière puisque c'est en 1984 que je fus envoyé pour la première fois à Hambourg en Allemagne comme représentant de la marine française au sein d'un programme de coopération.

Quelles sont, en premier lieu, les cinq caractéristiques des programmes d'armement ?

Ces derniers répondent, tout d'abord, à un besoin exprimé par les armées et relèvent à ce titre du domaine régalien – celles-ci n'étant qu'un instrument au service de l'État.

Deuxième caractéristique : ces programmes sont par nature spécifiques. Car même s'ils s'appuient de plus en plus sur des technologies duales, leur finalité est militaire : c'est celle du combat et de son environnement – c'est-à-dire principalement la maintenance, la logistique et la simulation. Ce besoin implique des savoir-faire et des processus particuliers, mis en oeuvre à la fois par des services étatiques et par l'industrie de défense.

Troisième caractéristique : ils recouvrent une grande diversité de matériels, allant de la puce électronique jusqu'au porte-avions à propulsion nucléaire, c'est-à-dire du composant d'un système au système de systèmes. Ils peuvent de fait mobiliser plusieurs centaines d'entreprises, et parfois même plusieurs milliers.

Quatrième caractéristique : ils s'inscrivent aujourd'hui dans le temps long, du fait de leur complexité – et donc leur coût – ainsi que de leur modularité – et donc de leur potentiel d'évolution. De fait, il s'écoule généralement plusieurs décennies depuis les premières esquisses d'un programme jusqu'à son démantèlement. Ainsi, par exemple, la première fiche programme de l'A-400, dont le premier exemplaire rejoindra bientôt notre armée de l'air, fut rédigée en 1984, soit il y a près de trente ans. De même, le premier vol du démonstrateur du Rafale date de 1986. Le premier avion de ce type a été admis au service opérationnel en 2000 dans un standard incomplet ; le premier standard complet, dit « F3 », n'est arrivé qu'en 2008. Et nous utiliserons cet avion au moins jusqu'à 2035 ou 2040.

Cinquième caractéristique : ces programmes sont dès l'origine appréhendés par le ministère de la défense de manière globale, c'est-à-dire en termes de développement, d'utilisation, de soutien et d'environnement. Dans ce contexte, nos ressources humaines constituent donc un élément central de l'équation puisqu'il nous est nécessaire d'anticiper et de décliner nos besoins en termes de recrutement, de formation et d'entraînement – s'agissant en particulier du volet de simulation dont l'importance va croissant.

Quelles sont, en second lieu, les opportunités offertes par ces coopérations ? Tout programme d'armement est destiné à satisfaire un besoin opérationnel, et donc à respecter un certain nombre d'exigences définies en termes de performances, de coûts et de délais – triptyque infernal bien connu de tous ceux qui, comme moi, ont été officier de programme. La question de l'adéquation des programmes à nos besoins opérationnels est d'autant plus prégnante que, dans cette période de construction de la loi de programmation militaire, nos ressources sont comptées.

Au regard de telles exigences, la conduite de programmes en coopération nous offre trois opportunités.

La première, celle de partager les coûts non seulement de conception, de développement et d'industrialisation, mais aussi, éventuellement, ceux d'utilisation et de soutien. Il s'agit en effet de disposer à plusieurs d'une capacité que l'on ne peut développer seul en raison des masses financières que cela implique et, quelquefois, des accès technologiques concernés.

Les bienfaits attendus de la coopération doivent toutefois faire l'objet de l'analyse la plus fine possible, de telle sorte que la complexité de la conduite à plusieurs d'une opération d'armement n'engendre ni surcoûts, ni perte de performance, ni retard prohibitif. Le programme Joint Strike Fighter (JSF) d'avions dits de cinquième génération que mènent les Américains est un exemple particulièrement parlant de ce genre de dérives, puisque tant son coût d'acquisition que les coûts totaux du programme ont doublé.

Vous n'êtes pas sans ignorer la loi en vertu de laquelle l'écart entre le coût global d'un programme en coopération et celui d'un programme national s'obtient en calculant la racine carrée du nombre de partenaires impliqués : ainsi, lorsqu'un programme en coopération associe deux partenaires, son coût est multiplié par 1,4. Dès lors que ce coût est également réparti entre eux, chacun n'aura à payer que 0,7 fois ce coût, soit une économie de 30 %. En présence de trois partenaires, ce coût sera multiplié par 1,7. Chacun n'aura donc à financer que 0,6 fois ce coût, soit une économie de 40 %. Il faut bien entendu que la répartition soit équitable, ce qui n'est pas toujours le cas : c'est un enjeu fondamental pour des pays comme le nôtre – qui sont souvent moteurs.

Deuxième opportunité : ces coopérations favorisent le renforcement des liens entre États partenaires. Le secteur de la défense étant régalien par nature, la coopération en ce domaine correspond donc à l'expression d'une forte volonté politique de rapprochement – a fortiori dans la durée – dont les conséquences sont particulièrement intéressantes, qu'elles se traduisent par la convergence des doctrines d'emploi et des savoir-faire opérationnels ou par la structuration des industries de défense.

Dernière opportunité, enfin : ces coopérations facilitent l'interopérabilité opérationnelle et logistique, ce qui peut ouvrir plus aisément la voie à des mutualisations ou à des partages capacitaires dans les domaines des opérations, de la formation, de l'entraînement ou du soutien. L'A-400 devrait d'ailleurs nous en fournir un bon exemple. Si l'interopérabilité est pour nous primordiale, c'est que nous ne sommes pas les États-Unis et qu'il nous est par conséquent difficile de tout faire tout seuls partout. La nécessité de coopérer s'illustre d'ailleurs aujourd'hui au Mali.

Quelles sont, en troisième lieu, les conditions de succès de ces programmes ? Leur conduite nécessite trois prérequis que j'exposerai en allant du plus complexe au plus simple à obtenir.

Il faut, d'abord, – et c'est le plus compliqué – définir un montage industriel satisfaisant les différentes parties en présence, montage dont la donnée d'entrée doit être la compétence et non le work sharing politique. Les risques ici encourus sont essentiellement d'ordre technique et économique, compte tenu de la nécessité de garantir un juste retour des investissements. Ils sont aussi d'ordre industriel, le but étant d'optimiser les savoir-faire nationaux – voire de réacquérir des savoir-faire perdus comme dans le cas de l'A-400. Dans tous les cas, le nombre de partenaires impliqués dans le programme constitue un facteur déterminant, tant de ses chances de succès que de sa complexité – que je souhaite bien évidemment limiter autant que possible.

Il faut ensuite une forte volonté politique, et donc un engagement identique de tous les États parties sur toute la durée de vie du programme. Cet engagement se décline en trois volets principaux : l'entretien de la confiance entre les États partenaires, le soutien des industriels et l'implication des armées.

Il faut, enfin, – c'est le plus facile à obtenir, contrairement à ce que beaucoup croient – s'entendre sur le besoin opérationnel, et donc sur les spécifications de la capacité à développer – en termes de coûts, de délais et de performances. Une telle exigence réduit ainsi les risques technologiques et opérationnels – la non-satisfaction du besoin – à condition qu'il y ait préalablement convergence de vue sur les doctrines d'emploi. Il en existe bien entendu des contre-exemples célèbres comme celui du pétrolier ravitailleur tel que vu par la Marine française d'une part, et la Marine britannique d'autre part. Mais cette situation résulte davantage d'une histoire multiséculaire que de la mise en oeuvre de doctrines divergentes.

En quatrième lieu, dans quels domaines faut-il ou peut-on coopérer ? La coopération est aujourd'hui envisageable dans tous les domaines, à l'exception de certaines « niches » touchant les fondements de notre souveraineté opérationnelle – en particulier dans le domaine de la dissuasion – ou technologique, celles que l'on qualifie du point de vue industriel de « capacités du premier cercle ». Notre coopération avec les Britanniques relève néanmoins davantage de ce premier cercle que celle que nous entretenons avec d'autres pays.

La coopération est plus aisée s'agissant des capacités du deuxième cercle, c'est-à-dire celles que l'on envisage de développer dans un cadre européen, voire de celles du troisième cercle, qui sont ouvertes au marché mondial – même s'il existe des coopérations dans le domaine de la dissuasion nucléaire pour certains équipements de la force de frappe et de l'environnement des forces, ainsi que dans certains domaines réservés comme la simulation laser mégajoule et la simulation à l'aide de machines à rayon X. Il reste que dans ces domaines, le nombre de partenaires possibles se compte sur les doigts de la main, tant la coopération est difficile.

Compte tenu du coût des programmes d'armement modernes et de la multinationalisation croissante des industriels du secteur, la coopération reste une voie à privilégier – sous les réserves précédemment décrites – lorsqu'elle ne s'impose pas de fait. Elle doit en tout cas être systématiquement recherchée pour toutes les capacités nécessaires mais inaccessibles au niveau national pour des raisons de coût ou de savoir-faire technologique ou industriel que d'autres maîtrisent déjà. Parmi celles-ci, les capacités garantissant notre autonomie stratégique ou celles nous permettant de jouer en coalition un rôle conforme à l'ambition que nous avons définie dans le Livre blanc constituent la première priorité. À court terme, les moyens de renseignement stratégique comme les futurs satellites d'observation Musis, successeurs d'Helios, et les capacités d'entrée en premier comme les missiles de croisière de type SCALP, ou leur équivalent britannique Storm Shadow, et les missiles air-air à moyenne et longue portée Météor en sont des exemples.

À cet égard, ce sont évidemment les programmes « à effet majeur » – aussi bien en termes militaires qu'en termes de masses financières et de capacité technologique et industrielle à mobiliser – qui sont les plus délicats. Pour autant, environ 30 % de nos investissements, hors dissuasion, sont réalisés en coopération : outre l'A-400, on citera notamment les hélicoptères Tigre et NH-90, les frégates multi-missions (FREMM) et le missile Météor. De plus, les composants de ces programmes sont propices aux coopérations : c'est le cas, entre autres, de l'électronique, des communications ou encore des armements embarqués.

Cependant, le fait qu'ils soient aussi les plus emblématiques du savoir-faire industriel national complique – voire interdit – certains montages industriels multinationaux. Le domaine de l'aviation de combat en est un exemple éloquent puisque l'on recense sur le même créneau trois chasseurs européens ne relevant néanmoins pas de la même catégorie : le Rafale, l'Eurofighter Typhoon, et le Gripen américano-suédois.

D'autres programmes se prêtent difficilement aux coopérations, pour des raisons de confidentialité – les sous-marins nucléaires lanceurs d'engin (SNLE) – ou d'ambitions peu partagées – le porte-avions. Par ailleurs, les États ne disposant pas de l'industrie de défense nécessaire privilégient l'achat sur étagère – où qu'elle se situe, et pas seulement en Europe – ou en seconde main : il est certain que pour les Danois, par exemple – qui sont pourtant de grands combattants et qui nous aident systématiquement dans nos opérations –, il est absolument équivalent d'acheter un armement à Londres, Paris ou Washington.

En cinquième lieu, avec qui coopérer ? Pour répondre à cette question, quatre critères me semblent devoir être pris en compte.

Premièrement, le partenariat doit être gagnant. Les gains attendus peuvent porter sur le programme lui-même, mais il n'est pas forcément nécessaire que chaque programme pris individuellement soit gagnant. Il importe en revanche que la coopération avec un pays soit gagnante dans sa globalité – cela permet de gagner sur d'autres secteurs tels que le commerce, l'industrie ou les investissements. C'est bien là la vision que nous essayons de partager avec les Britanniques : trouver un équilibre global sur un ensemble de programmes –anti-navire léger (ANL), rénovation du SCALP-Storm Shadow et système de lutte anti-mines futur (SLaMF) –, ensemble auquel on peut d'ailleurs ajouter notre coopération en matière de simulation nucléaire, ce n'est pas faire du 50-50 dans tous les domaines.

Deuxièmement, coopérer crée une interdépendance qui doit être assumée. Le choix des partenaires doit donc intégrer l'histoire de la relation bilatérale dans son ensemble et ses perspectives à court, moyen et long termes, compte tenu de l'évolution prévisible des grands équilibres internationaux – qui sont aujourd'hui plus instables et plus évolutifs. D'où l'intérêt et l'importance de la mise à jour régulière de l'état du monde et des ambitions d'un pays dans le cadre de nos livres blancs successifs.

Troisièmement, la coopération doit être opportuniste, et pas forcément exclusive. Il s'agit en effet de choisir nos partenaires avec pragmatisme, en fonction des domaines où cette coopération sera gagnante. Leur volonté de coopérer, leur fiabilité à l'horizon envisagé et leur potentiel réel ou raisonnablement prévisible sont des critères primordiaux.

Enfin, du point de vue opérationnel, la perspective d'une coopération programmatique est d'autant plus robuste qu'elle nous associe à un allié historique ou à un véritable partenaire stratégique, avec lequel nous conduisons des opérations ou des exercices conjoints, ou avec lequel nous sommes liés par des accords de défense et de coopération. La nature de ces coopérations opérationnelles oriente de plus celle des coopérations programmatiques, comme l'illustrent l'ouverture sur Weimar et la tentative de rapprochement avec la Pologne.

Dans ce cadre, l'espace européen et, plus généralement, l'espace transatlantique constituent un vivier privilégié, d'autant plus qu'ils sont dotés d'organisations aptes à structurer les coopérations : l'Agence européenne de défense (AED) pour l'Union européenne et le Commandement de la transformation (SACT) pour l'OTAN, basé à Norfolk et commandé par un Français. Il convient cependant de se garder de tout angélisme : dans chaque domaine de coopération retenu, y compris dans nos opérations militaires, seuls comptent les alliés qui veulent et qui peuvent.

Nos partenaires et clients arabes, asiatiques, sud-américains, maghrébins et africains offrent également des perspectives contrastées, qu'il convient systématiquement d'étudier au cas par cas. Seuls les plus riches d'entre eux rentrent dans les critères d'une coopération stricto sensu. Toutefois, le cheminement allant de l'acquisition d'armements au transfert de technologies puis aux développements conjoints correspond à une forte volonté – et à une réalité –, en particulier pour les pays émergents, et notamment pour le Brésil. Le cas du contrat Rafale pour l'Inde, avec production sur place, est à cet égard symptomatique. En tout état de cause, le rôle du soutien à l'export est déterminant, au moins à moyen terme.

Quelles doivent être les modalités de ces coopérations ? L'industrie de défense mondiale est aujourd'hui marquée par plusieurs tendances : la longévité des programmes d'armement, l'augmentation sensible de leurs coûts de développement et de possession et la rationalisation des industriels du secteur entraînent une forte tension sur le marché qui est de plus en plus concurrentiel. Les Américains ne pouvant plus vivre uniquement sur leur marché, cela amplifie le phénomène dans des proportions considérables. Ainsi MBDA avait-il quasiment signé un contrat de plus de 2 milliards de dollars avec Oman en janvier, qui a ensuite été attribué à Raytheon à la suite d'un voyage du secrétaire d'État américain John Kerry. C'est là la grande agressivité commerciale des Américains : ce ne sont plus les acheteurs qui vont chez les Américains ; ce sont les Américains qui vont chercher les clients.

Comme, par ailleurs, les pays occidentaux connaissent une nette contraction de leurs budgets de défense, cela se traduit par une réduction des cibles et un étalement, voire un abandon des programmes. Pour certains, les renoncements capacitaires induits sont assumés. C'est le cas de la plupart de nos partenaires européens, qui misent sur l'OTAN pour assurer leur défense.

Ailleurs dans le monde, et en particulier dans les pays émergents, le secteur de la défense est au contraire en expansion – seuls les États européens diminuent leurs budgets de défense. On y constate ainsi une montée en puissance militaire ouvrant les perspectives du marché, un développement du tissu industriel – notamment en Afrique du Sud, État en passe de devenir un grand exportateur – et une prise de compétence dans les technologies de pointe, avec une forte volonté de s'appuyer sur des transferts de technologie.

Un tel essor exacerbe la concurrence, puisque de plus en plus de produits sont disponibles à meilleur coût – songez notamment aux « offres chinoises » sur le marché des avions de combat et des drones. D'un point de vue militaire, les risques s'en trouvent augmentés par la fourniture de capacités plus nombreuses, plus diversifiées et de meilleure qualité. En contrepartie s'accroît également le niveau d'exigence de nos clients, qui disposent parfois ou qui pourraient disposer d'un matériel français plus performant que le nôtre : Mirage 2000-9 émirien et versions du Rafale export.

Cette conjoncture risquant d'être durable, nous devrons nous y faire. Plus que jamais, les coopérations doivent donc être utiles et rentables. Il y va des capacités militaires nécessaires à nos armées comme de la survie de certaines entreprises du secteur de la défense. Dans ce contexte, notre approche des coopérations doit être renouvelée.

Les perspectives de mutualisation et de partage capacitaires, qu'elles soient portées par SACT ou par l'AED, qu'elles se nomment « Smart Defence » ou « Pooling and Sharing », sont une opportunité à saisir, mais il ne s'agit là ni de l'alpha ni de l'oméga, encore moins de la panacée. Sans doute conviendrait-il de favoriser la convergence des besoins ainsi que la rationalisation des capacités dans un cadre multinational – et ce, pour tous les volets d'une capacité. En tout état de cause, l'intérêt d'un partage ou d'une mutualisation se mesure à l'aune de la garantie d'accès à la capacité qu'elle offre en temps, en nombre et en qualité requis, sans restriction d'utilisation imposée par le partenaire autre que celles ne faisant pas obstacle à votre besoin politique.

Les spécifications doivent donc obéir, encore plus que pour les programmes nationaux, au principe de réalisme, et être fondées sur le juste besoin capacitaire et le recours à des technologies maîtrisées, ce qui relève non pas d'une question militaire, mais d'un problème d'ingénieurs. Ces derniers adorent faire de la recherche et du développement alors que nous préférons avoir un matériel simple et rustique. Si nous laissons faire les ingénieurs, nous aurons des choses formidables, mais en trop petit nombre et trop tard. L'immaturité technologique conduit à des dérives préjudiciables, qui peuvent aller jusqu'à remettre en cause l'avenir même d'un programme, comme l'illustrent les difficultés rencontrées dans le passé avec l'A-400 ainsi que les problèmes actuellement posés par le JSF – la Chambre des représentants américaine ayant failli avant-hier remettre en question le financement d'une partie de ce programme.

Le retour industriel calculé sur un seul programme ne doit plus constituer une clef d'entrée systématique, comme ce fut trop longtemps le cas. De ce point de vue, les règles de l'Organisation conjointe de coopération en matière d'armement (OCCAr) permettent désormais d'envisager un retour sur plusieurs programmes sur une base pluriannuelle. Les industriels choisis doivent l'être en fonction de leur maîtrise effective des technologies mobilisées et non pas du désir de l'industriel ou de l'État d'acquérir cette autonomie pour ensuite devenir un concurrent – comme on l'a notamment constaté en Italie.

Les « grandes multinationales de la coopération » sont séduisantes mais hasardeuses, comme nous le rappellent les cas de l'A400 ou du NH90, programme de l'OTAN comprenant vingt-quatre versions pour dix-sept pays.

Dans ces conditions, il me semble préférable d'adopter une politique des « petits pas » qui soit pragmatique et progressive, à partir de projets bilatéraux ouverts, potentiellement inclusifs, ou bien de projets multilatéraux fondés sur une forte convergence du besoin et de l'agenda, éventuellement élargis à d'autres nations, une fois les modes de gouvernance consolidés. Dans l'affaire de la frégate Horizon, nous avons commencé par coopérer avec les Britanniques. Nous avons voulu faire entrer trop tôt les Italiens si bien que les Britanniques se sont retirés, ce qui nous a donc fait perdre du temps. La chronologie et l'instanciation des décisions sont par conséquent très importantes.

En conclusion, si la coopération me paraît intéressante – en tant que chef militaire –, c'est d'abord, parce qu'elle facilite l'interopérabilité. À l'heure des opérations interarmées, internationales et combinées, cette dernière est en effet une clef du succès, tant le fait de disposer de matériels communs, ou à tout le moins compatibles, conditionne la synergie en matière de doctrine et de procédures. Ma deuxième raison est d'ordre économique. Ce n'est pas le coût unitaire du matériel qui compte ; ce sont les investissements dans la conception et le développement, qu'aucun pays ne peut plus assumer seul, sauf sur de tout petits éléments. À cet égard, la coopération favorise l'accès aux matériels de forte capacité nécessaires à la diversité de nos missions et au rôle d'entraînement que nous entendons jouer sur la scène internationale.

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