Oui, il était urgent de rompre avec une logique mise en place par la droite, dangereuse pour le développement des connaissances et de la pensée scientifique.
Malheureusement, votre loi ne donne pas de signes clairs de rupture avec la logique de la loi LRU, au grand dam de la communauté des universitaires, des chercheurs qui manifestent leur mécontentement. Ils sont aujourd'hui rejoints par les étudiants qui, avec leur principal syndicat, expriment leur inquiétude quant à l'évolution de ce texte.
Un mécontentement justifié quant au rôle assigné par l'article 4 à l'université et à la recherche : la compétitivité de l'économie. En fondant cette loi sur le « pacte national pour la croissance, la compétitivité et l'emploi », vous persistez dans votre volonté de substituer à l'essor économique, social, culturel, industriel le concept de compétitivité, dernier avatar du néolibéralisme.
Quelle ambition pour l'université et la recherche ? Quelle ambition pour le devenir intellectuel des générations futures ? Nous ne trouvons toujours pas de réponse à ces questions dans ce qui nous est proposé. Le diktat de la compétitivité, tel que l'entendent les marchés financiers, ne peut constituer l'horizon vers lequel tout projet devrait tendre.
Ce chemin a montré son inefficacité en France comme en Europe : il mène à la récession, au chômage de masse.
Pour contribuer à la croissance, au bien-être des individus, au développement durable, la recherche et l'université ont besoin de moyens, de temps, de coopérations autant à l'intérieur de l'hexagone qu'à l'extérieur.
La marche forcée vers la mise en place de grands complexes universitaires, mettant en concurrence régions ou métropoles ne correspond ni aux aspirations, ni à la pratique scientifique du monde universitaire et de la recherche. Et l'article 12 ter n'est pas là pour nous rassurer, puisqu'il confie à la région la « définition du schéma régional de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation », précisant en outre que cette même région « fixe les objectifs des programmes pluriannuels en matière de recherche et détermine les investissements qui y concourent ».
Une telle mise en concurrence présage de la disparition à terme d'un certain nombre d'universités de proximité, ce qui posera problème à de nombreux étudiants. N'est-ce pas ainsi qu'il faut comprendre le glissement vers des diplômes de groupements d'universités en lien avec l'acte III de la décentralisation ? Et celui entre habilitation et accréditation, avec la création des communautés d'établissements et la possibilité pour les établissements privés de délivrer des diplômes nationaux ?
Avec le nouvel article 42 bis, il nous est en effet proposé d'inclure dans le code de l'éducation un statut spécifique pour les établissements d'enseignement supérieur privés non lucratifs créés par des associations ou des fondations reconnues d'utilité publique ou des syndicats professionnels dont l'existence n'aurait comme seule contrainte que la durée d'un contrat pluriannuel. Qu'advient-il alors de la valeur nationale des diplômes, de l'égalité républicaine entre les étudiants ?
Plus globalement, nous restons toujours sur notre faim sur les mesures annoncées mais non présentes dans la loi pour assurer l'accueil et la réussite de plus en plus d'étudiants, ce qui était pourtant l'objectif affiché par Mme la ministre.
Nous regrettons que nos propositions visant cet objectif n'aient été prises en compte. Nous restons perplexes sur les moyens réels visant à une meilleure réussite des bacheliers professionnels et technologiques.
Nous sommes toujours dans l'ignorance du contenu de ce que sera la réforme du cycle de licence, qui, on le sait, est la pierre angulaire de la poursuite ou non des cursus universitaires pour le plus grand nombre.
Enfin, non seulement rien n'est préconisé pour traiter à la source ce qui ronge la réussite étudiante – les inégalités sociales –, mais le dernier texte issu de la CMP risque d'aggraver encore la situation.
Nous n'avons toujours pas d'allocation d'autonomie, toujours pas de prérecrutement pour les futurs enseignants. Et en dépit de vos engagements en première lecture, madame la ministre, il est proposé avec cette dernière mouture de fragiliser notre système des oeuvres universitaires avec la modification de l'article 38, après l'alinéa 13. En effet, « L'établissement d'enseignement supérieur chargé d'organiser la coordination territoriale dans les conditions fixées par l'article L. 718-3 élabore avec le réseau des oeuvres universitaires et scolaires un projet d'amélioration de la qualité de la vie étudiante et de promotion sociale sur le territoire […]°».
C'est un coup dur pour le Centre national des oeuvres universitaires et scolaires, qui, depuis 1955, a en charge la cohérence et le pilotage du réseau des oeuvres universitaires sur tout le territoire national. Comment ne pas évoquer les menaces pesant actuellement sur la cité universitaire Jean-Zay d'Antony, « largué » par le CROUS et abandonné à une collectivité départementale plus soucieuse d'affaires immobilières que de logements étudiants ?
Concernant la recherche, nos préoccupations initiales demeurent malheureusement intactes. Sur le transfert, nous ne partageons pas l'encadrement des relations entre le monde scientifique et l'entreprise comme devant être l'objectif des missions de l'enseignement supérieur et de la recherche, ainsi que les articles 55 et 55 bis le laissent supposer. Nous demeurons inquiets sur le devenir de la recherche fondamentale et sur celui de la recherche en sciences humaines et sociales ; 550 chercheurs viennent de lancer un manifeste intitulé Champ libre aux sciences sociales. Il faut les entendre !
Je partage l'exigence des scientifiques, acquis de longue date aux coopérations de toute nature, et qui refusent de se soumettre à des exigences ou à des injonctions extérieures à la logique scientifique.
Nous déplorons que l'AERES – Agence pour l'évaluation de la recherche scientifique – n'ait disparu que dans sa dénomination, et que le crédit d'impôt recherche n'ait même pas été écorné au profit des laboratoires publics.
Sur la gouvernance, enfin, si je continue de me féliciter de l'instauration de la parité dans les structures, je reste perplexe sur la création du conseil académique
C'est pourquoi, madame la ministre, chers collègues, les députés du Front de gauche ne pourront pas voter cette loi, alors qu'ils avaient voté celle relative à la refondation de l'école. Nous espérons que les étudiants, chercheurs et universitaires seront un jour mieux écoutés !