En effet !
Ce week-end, Pierre Dubois, universitaire en retraite et auteur de l'un des blogs les plus lus parmi ceux consacrés à l'enseignement supérieur écrivait à propos de la présente loi : « Les universités se désintéressent de cette loi inutile. »
Cela traduit parfaitement ce qui vient déjà de se passer avec ce texte, alors même qu'il n'est pas encore définitivement adopté ni promulgué : il nous conduit tout droit vers des universités ingouvernables. Nous avons eu l'occasion de le souligner à plusieurs reprises dans cet hémicycle. À chaque fois, on nous a rétorqué que ce ne serait pas le cas. Nous maintenons notre affirmation : les fameuses communautés d'universités et d'établissements seront particulièrement ingouvernables !
Si la loi LRU de 2007, l'opération Campus, le plan « Réussite en licence », les investissements d'avenir ont contribué à faire progresser notre enseignement supérieur et notre recherche par le développement de la gestion par projets et par une dynamique inédite, le présent projet de loi va marquer un coup d'arrêt à cette évolution positive.
Personne ne peut souhaiter une régression en matière d'enseignement supérieur et de recherche. Et pourtant, c'est hélas ! ce qui va arriver. En effet, là où il fallait aller plus loin dans l'autonomie, l'expérimentation, l'accélération du développement de filières d'excellence au sein de nos universités, vous nous proposez une régression.
Votre texte est marqué par une vision bureaucratique : là où les statuts juridiques venaient soutenir et accompagner les projets, vous préférez un modèle unique où le projet doit s'adapter à la structure plutôt que l'inverse. Tous les spécialistes de la théorie des organisations vous diront que c'est faire fausse route.
À une gouvernance resserrée et efficace de nos universités, vous préférez une dyarchie entre deux présidents et deux conseils. Celle-ci porte en germe des risques de blocages institutionnels au sein de nos universités. Nombreux sont désormais les universitaires qui le disent publiquement.
Là où nous avions développé des incitations positives, vous préconisez une vision uniforme et réductrice. Avec un modèle unique pour tous – toujours votre obsession pour l'unicité –, vous figez dangereusement le système, vous interdisez toute innovation organisationnelle.
Là où nous avions fait confiance aux acteurs et où nous les avions accompagnés dans leurs choix volontaires, vous allez leur imposer des coopérations fondées non plus sur leur volonté mais sur leur seule localisation géographique. Belle conception de la vision stratégique ! Comment des projets innovants pourront-ils naître et de réelles avancées être suscitées ?
Là où il conviendrait de procéder par la négociation, vous voulez imposer des quotas à l'entrée des filières de STS et d'IUT, ce qui créera inévitablement de la frustration parmi les bacheliers généraux évincés de ces filières.
Mais, au-delà de ces premiers constats, vous portez une lourde responsabilité pour les années à venir car, avec la méthode que vous avez employée au cours des derniers mois, vous avez finalement esquivé les vrais débats, ce qui est encore plus dommageable.
Votre projet ne dit rien sur les enjeux internationaux ni sur la compétition mondiale qui règne en matière de création et de diffusion des savoirs. Le texte passe totalement sous silence la question de la contribution de l'enseignement supérieur et de la recherche à la compétitivité de notre nation par rapport aux autres pays.
Votre loi reste une loi d'orientation, et nous n'avons aucune idée des moyens qui seront mobilisés au cours du quinquennat. Nous savons en revanche que, si l'on neutralise le compte d'affectation spéciale relatif aux pensions, le budget 2013 est déjà en recul par rapport à celui de 2012 pour l'enseignement supérieur et la recherche en France.
En outre, le budget 2014, pour ce que l'on en sait, sera du même ordre. Aussi, lorsque vous affirmez que l'enseignement supérieur et la recherche constituent les priorités du Gouvernement, peut-on s'interroger sur ce que seraient ces budgets s'ils n'étaient pas prioritaires !
De plus, vous avez totalement écarté la possibilité pour nos universités de bénéficier d'une autonomie renforcée, pourtant nécessaire dans le contexte international et pour leur permettre de développer des projets ambitieux.
De même, vous avez refusé d'aborder la question de l'avancement de la sélection d'un an en master, qui aurait assuré une véritable cohérence pédagogique au système licence-master-doctorat.
Comme vous pouvez le constater, vous avez mis les vrais sujets de côté.
Par ailleurs, vous supprimez l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur, l'AERES, devenue votre bouc émissaire. Alors que chacun sait que l'évaluation est un fantastique outil pour faire progresser un système, vous décidez purement et simplement de supprimer cette agence.
Créer un Haut Conseil qui évaluera les procédures d'évaluations n'est rien d'autre qu'une mise en abîme dangereuse, démagogique et totalement incompréhensible. Lors d'une récente réunion de l'EUA, European University Association, la France a été la risée des autres pays, qui ont tout d'abord pensé que la suppression de l'AERES était une farce, une blague lancée par leurs collègues français. Cela montre bien à quel point la difficulté est réelle !
Vous avez refusé la possibilité d'une approche différenciée concernant les droits d'inscription des étudiants étrangers. Vous affirmez ainsi implicitement que le contribuable français, alors que nos finances publiques sont en difficulté, devra payer la scolarité des étudiants étrangers : vision surprenante, au regard de l'état de nos finances publiques d'une part, et de celle de nos établissements d'enseignement supérieur d'autre part !
Vous avez rejeté les différentes possibilités d'expérimentation que nous avons proposées, comme par exemple la création de filières d'excellence ou la définition de prérequis pour entrer dans certaines filières.
Enfin, pour conclure, le grand absent de ce texte est tout simplement l'étudiant ! La France compte 2,5 millions de jeunes dans ses formations post-bac pour 60 millions d'habitants, alors que l'Allemagne, avec 80 millions d'habitants, en compte 1,7 million.
La question de l'insertion professionnelle, en raison du nombre important de jeunes présents dans notre enseignement supérieur, est essentielle. En négligeant aussi cette dimension, votre projet ignore les étudiants, les familles et l'intérêt général de la nation.
De même, quel dommage de constater que, par pur dogmatisme, vous avez décidé de supprimer les bourses au mérite, qui constituaient pourtant un fantastique levier pour les étudiants les plus méritants, ainsi récompensés par la nation ! Cela montre bien que votre vision, avant tout idéologique, ne prend pas en compte la défense de l'intérêt général.
Madame la ministre, votre texte est un fantastique retour en arrière. Pour toutes ces raisons, nous voterons – hélas ! – contre ce texte.