L'objet du projet de loi qu'au nom du Gouvernement je vous présente est de mettre en conformité avec la Constitution l'article L. 224-8 du code de l'action sociale et des familles.
Cet article prévoit les modalités de recours contre l'admission d'un enfant en qualité de pupille de l'État. Les dispositions visées ont été inscrites en 1984.
Ce projet de loi tire les conséquences d'une décision du Conseil constitutionnel. Suite à un litige dans lequel étaient impliqués des grands-parents qui n'avaient pas pu exercer leur droit de recours, le Conseil a été saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité. Le 27 juillet 2012, il a rendu sa décision et déclaré les dispositions de l'article L. 224-8 inconstitutionnelles : « Si le législateur a pu choisir de donner qualité pour agir à des personnes dont la liste n'est pas limitativement établie et qui ne sauraient, par conséquent, recevoir toutes individuellement la notification de l'arrêté en cause, il ne pouvait, sans priver de garanties légales le droit d'exercer un recours juridictionnel effectif, s'abstenir de définir les cas et conditions dans lesquels celles des personnes qui présentent un lien plus étroit avec l'enfant sont effectivement mises à même d'exercer ce recours ».
Le Conseil constitutionnel considère donc que les personnes les plus proches de l'enfant doivent être effectivement mises à même de s'opposer à l'arrêté, conformément à l'exigence du droit à un recours effectif consacré par l'article 16 de la Déclaration de 1789. Faute de notification de l'arrêté, l'exercice de ce droit est rendu impossible dans le délai imparti de trente jours.
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a fixé au 1er janvier 2014 l'effet de sa décision, à savoir l'abrogation de l'alinéa 1er de l'article L. 224-8.
Nous devons par conséquent adopter une nouvelle rédaction avant cette date, d'où le calendrier retenu pour présenter ce texte au Parlement.
Si nous ne légiférions pas pour trouver de nouvelles dispositions avant le 1er janvier 2014, les conséquences seraient graves. L'alinéa 1er est la base légale de l'arrêté d'admission et du recours contre lui. En son absence, toute admission de pupille de l'État pourrait être empêchée. Ces enfants seraient alors privés d'un statut destiné à assurer leur protection et tout projet d'adoption serait impossible à mettre en oeuvre pour eux.
L'examen auquel nous procédons ce soir est donc particulièrement important pour le millier d'enfants qui, comme chaque année, pourraient être admis en qualité de pupille en 2014.
Le projet de loi s'efforce de concilier le droit au recours effectif des proches de l'enfant et l'intérêt de l'enfant à ce que sa situation soit stabilisée le plus rapidement possible et dans le sens le plus conforme à sa protection.
Le présent texte précise tout d'abord le champ des personnes qui ont le droit de contester l'admission de l'enfant en qualité de pupille. Il s'agit des parents de l'enfant, en l'absence d'une déclaration judiciaire d'abandon ou d'un retrait total de l'autorité parentale, des membres de la famille de l'enfant, du père de naissance ou des membres de la famille de la mère ou du père de naissance lorsque l'enfant est né sous X, et de toute personne ayant assuré la garde de droit ou de fait de l'enfant.
Je sais que vous vous êtes interrogés, les uns et les autres, en commission, sur la possibilité, pour le père de naissance ou les membres de la famille de la mère ou du père de naissance, de contester l'admission en qualité de pupille de l'enfant quand il est né sous X et d'en demander la charge. Cette question a fait l'objet d'une réflexion lors de la préparation du projet.
Il s'agit en effet de situations particulièrement sensibles, tant sur le plan juridique qu'humain, dans lesquelles pourraient s'opposer le droit de la mère au secret de son identité et le droit du père de naissance et des membres de la famille de la mère et du père de naissance à élever l'enfant, sur le fondement du droit à la vie familiale.
Rappelons tout d'abord que ces personnes ne peuvent être informées de la naissance que par la mère de naissance elle-même puisque le secret professionnel auquel sont tenus les professionnels ayant accompagné la mère de naissance s'oppose à ce qu'ils informent des tiers.
Par ailleurs, par cette disposition, nous nous contentons d'inscrire explicitement dans la loi ce que la jurisprudence avait déjà rendu possible : aujourd'hui, l'accouchement sous X ne fait plus obstacle à l'établissement de la paternité et des juges ont également annulé des arrêtés d'admission en qualité de pupille à la demande de grands-mères qui avaient justifié d'un lien affectif avec l'enfant.
Précisons enfin que le juge décide souverainement s'il est dans l'intérêt de l'enfant d'être recueilli par la personne qui fait recours contre l'arrêté, par exemple sa grand-mère. Il examine les circonstances de fait et les éléments de preuve rapportés. C'est à lui ensuite de déterminer si la situation familiale permet que l'enfant soit pris en charge dans de bonnes conditions.
J'en viens au deuxième point de ce texte, qui est une nouveauté : la notification aux personnes les plus proches de l'enfant. Nous avons défini comme telles les personnes qui ont le droit de contester l'admission en qualité de pupille et qui ont manifesté un intérêt pour l'enfant.
Ces personnes devront recevoir une notification de l'arrêté. Elles disposeront alors d'un délai de trente jours à partir de la réception pour le contester. Celles qui ont le droit de contester mais qui n'ont pas reçu de notification ne peuvent se voir opposer ce délai. Une limite absolue est en revanche posée à l'exercice du recours : le placement de l'enfant en vue de l'adoption.
Enfin, par le biais d'un amendement adopté par votre commission, le projet de loi prévoit désormais, à l'article 1er bis, que lors du recueil de l'enfant par les services de l'aide sociale à l'enfance, les personnes qui remettent l'enfant soient informées des modalités de l'admission définitive comme pupille de l'État qui interviendra deux ou six mois plus tard. Je remercie Mme la rapporteure pour cet amendement en plein accord avec l'esprit du projet.
S'agissant du champ d'application géographique de cette loi, l'article 2 du projet prévoit qu'elle s'appliquera sur tout le territoire de la République sauf en Nouvelle Calédonie, car la compétence pour légiférer en matière de droit civil lui a été transférée le 1er juillet 2013.
L'article 3 fixe la date d'entrée en vigueur de la loi : afin de permettre aux conseils généraux d'anticiper la réforme et d'être en mesure de l'appliquer pleinement, l'entrée en vigueur est différée au 1er janvier 2014, date à laquelle la déclaration d'inconstitutionnalité prendra effet.
Ainsi, mesdames et messieurs les députés, le texte que nous vous présentons est guidé par la volonté de respecter nos principes constitutionnels et de répondre aux exigences du Conseil constitutionnel.
La procédure accélérée selon laquelle nous l'examinons est aussi dictée par l'intérêt des enfants qui doivent pouvoir continuer à obtenir ce statut protecteur qu'est le statut de pupille de l'État. Lors de l'examen du texte en commission, les commissaires aux affaires sociales l'ont adopté à l'unanimité. Je vous invite donc aujourd'hui, mesdames et messieurs les députés, à adopter ce texte sur tous les bancs.