Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous devons aujourd'hui remplir un vide juridique pour des enfants nés dans un vide familial et qui constituent à eux tous la plus grande famille de la République, celle des pupilles de l'État. Il faut donc d'abord savoir quelles sont les personnes et les situations que recouvre ce statut. Un pupille de l'État est un enfant dont l'autorité parentale est exercée par le préfet du département. Il s'agit des enfants sans filiation, des enfants remis par leurs parents à l'aide sociale à l'enfance en vue d'une adoption, des orphelins pour lesquels aucune tutelle n'a pu être organisée et des enfants dont les parents se sont vus retirer l'autorité parentale ou qui font l'objet d'une déclaration judiciaire d'abandon.
Selon l'observatoire national de l'enfance en danger, la France comptait à la fin de l'année 2011 2 345 pupilles de l'État, inégalement répartis sur le territoire. 1 007 nouveaux enfants ont obtenu le statut de pupille, 1 065 en sont sortis et 22 747 agréments sont en cours de validité. Lors de leur admission comme pupilles, les enfants ont en moyenne entre quatre et cinq ans, leur âge variant d'un mois pour les enfants sans filiation à dix ans et demi pour les orphelins.
Les pupilles sont donc des enfants qui n'ont pas ou plus de famille susceptible d'en assumer la charge et qui ont particulièrement besoin d'être protégés. L'accès au statut de pupille de l'État, qui permet l'adoption d'un enfant, suppose un arrêté du président du conseil général susceptible de faire l'objet d'un recours devant le tribunal de grande instance dans un délai de trente jours par les parents, en l'absence d'une déclaration judiciaire d'abandon ou d'un retrait total de l'autorité parentale, les alliés de l'enfant et toute personne justifiant d'un lien avec celui-ci et qui demande à en assurer la charge.
La Cour de cassation, dans un arrêt du 9 avril 2013, était précisément saisie d'une question relative au délai de recours applicable à l'article L. 224-8 du code des affaires sociales et familiales. En l'espèce, un enfant né le 7 avril 2009 sans filiation paternelle établie fut placé de façon provisoire à sa naissance par décision de l'autorité judiciaire. À la suite du décès de la mère le 20 octobre 2009, un procès-verbal de recueil de l'enfant par l'aide sociale à l'enfance fut rédigé le 30 novembre 2009 afin qu'il soit admis en qualité de pupille de l'État. Le président du conseil général l'admet par arrêté du même jour puis par arrêté du 1er décembre 2009. Sur le fondement dudit code, la grand-mère maternelle de l'enfant demande au TGI l'annulation de l'arrêté d'admission de son petit-fils en qualité de pupille de l'État et sa désignation en qualité de gardien de l'enfant. Après avoir été jugée recevable mais rejetée en première instance, sa demande fut déclarée irrecevable en appel en raison du caractère tardif du recours, le délai de trente jours courant à compter de la date de l'entrée en vigueur de l'arrêté, soit le 1er décembre 2009.
La grand-mère joint alors à son pourvoi en cassation une question prioritaire de constitutionnalité dont le Conseil constitutionnel est saisi par la première chambre civile de la Cour de cassation le 6 juin 2012. Les Sages déclarent alors l'alinéa 1er de l'article L. 224-8 du code des affaires sociales et familiales contraire à la Constitution sur le fondement de la méconnaissance du droit des personnes intéressées par l'exercice d'un recours effectif devant une juridiction. En effet, le législateur donne qualité pour agir à des personnes dont la liste n'est pas limitativement établie et qui ne sauraient par conséquent recevoir toutes individuellement la notification de l'arrêté. Mais il ne pouvait s'abstenir de définir les cas et conditions dans lesquels les personnes présentant un lien plus étroit avec l'enfant sont effectivement à même d'exercer un recours sans priver de garanties légales le droit d'exercer un recours juridictionnel effectif.
Cependant, sur le fondement de l'article 62 de la Constitution, le Conseil constitutionnel a fixé la date de l'abrogation du premier alinéa de l'article L. 224-8 du code des affaires sociales et familiales au 1er janvier 2014, ce qui en a reporté les effets aux arrêtés d'admission en qualité de pupille de l'État postérieurs au 1er janvier 2014. Ainsi, la décision du Conseil constitutionnel est favorable à la grand-mère de l'enfant devenu pupille de l'État mais ne peut s'appliquer en l'espèce en raison de l'effet différé de ladite décision. Celle-ci n'a rien de théorique : par un arrêt du 16 avril 2013, la Cour de cassation a annulé pour de tels motifs un arrêté du président du conseil général des Hauts-de-Seine prononçant l'admission d'un enfant comme pupille de l'État.
Le projet de loi relatif à l'arrêté d'admission en qualité de pupille de l'État qui nous est présenté aujourd'hui vise à éviter de tomber dans un vide juridique au 1er janvier 2014. Il redéfinit les cas et modalités de recours contre un tel arrêté devant le tribunal de grande instance. L'exercice est délicat car, comme l'indique l'exposé des motifs, le projet de loi « recherche un équilibre entre les droits des proches à pouvoir exercer un recours et l'intérêt de l'enfant de voir son statut clarifié dans les meilleurs délais ». Malgré un tel rééquilibrage, l'intérêt de l'enfant semble toutefois continuer de l'emporter. L'exposé des motifs ne manque pas en effet de relever que « l'admission en qualité de pupille de l'État est en général, sauf pour les enfants recueillis par le service de l'aide sociale à l'enfance à la naissance, l'aboutissement d'un parcours de prise en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance consécutif au délitement des liens familiaux et à l'absence de proches en capacité de se substituer aux parents pour prendre en charge l'enfant ».
Outre les parents naturels – en l'absence d'une déclaration judiciaire d'abandon ou d'un retrait total de l'autorité parentale –, le projet de loi précise les personnes auxquelles est ouvert le recours.
Il fait ensuite une distinction – réaliste, mais qui pourrait se révéler juridiquement fragile – entre le périmètre des personnes autorisées à agir contre l'arrêté et celui des personnes auxquelles l'arrêté est notifié. Faute de connaître l'existence des personnes concernées, la notification sera en effet limitée aux parents naturels et aux personnes « qui ont manifesté un intérêt pour l'enfant auprès du service de l'aide sociale à l'enfance avant la date de l'arrêté d'admission ».
Mesdames et messieurs les députés, dans un pays comme le nôtre, pays des droits de l'homme, pays de la protection de l'enfance, du droit à la dignité, du droit à la famille, pays où chacun peut et doit réclamer le droit d'être secouru, assisté, aidé, on ne peut envisager le silence du droit qui protège, du droit qui libère, comme le disait Lacordaire.
Au-delà de cet agencement technique, le texte qui nous est proposé a, au fond, un objet unique : ne pas gâcher des destins qui s'engagent, d'emblée, sous des auspices peu favorables. Ce texte, qui évoque le libre épanouissement des enfants, suppose qu'ils trouvent en une famille le premier des repères, le lieu où ils peuvent se construire en tant qu'individus autonomes. Ceci correspond au principe de subsidiarité qui veut qu'autant que possible, une responsabilité soit assurée par l'échelon de base. Il en découle que, dans une société libre, les parents, quels qu'ils soient, sont et demeurent la référence des enfants ; à ce titre, ils ont le devoir et la responsabilité de pourvoir à leur éducation selon les principes qui sont les leurs.
Ce texte évoque encore le rôle du législateur à l'égard de l'enfant, ce qu'écrivait le doyen Jean Carbonnier au sujet de « l'intérêt de l'enfant » : « C'est la notion magique ! Rien de plus fuyant, de plus propre à favoriser l'arbitraire judiciaire. Il est des philosophes pour opiner que l'intérêt n'est pas objectivement saisissable, et il faudrait que le juge décide de l'intérêt d'autrui ! L'enfance est noble, plastique, et n'a, du reste, de signification que comme préparation à l'âge adulte : de ce qui est semé dans l'enfant à ce qui lèvera dans l'homme. »
Voilà pourquoi, bien entendu, le groupe UDI votera pour ce projet de loi.