Intervention de Émilienne Poumirol

Séance en hémicycle du 9 juillet 2013 à 21h45
Instauration du 27 mai comme journée nationale de la résistance — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉmilienne Poumirol, rapporteure de la commission de la défense nationale et des forces armées :

Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission de la défense, mes chers collègues, voilà déjà plus de trente ans que le Parlement tentait pour la première fois d'instituer une journée nationale de la Résistance.

Dès 1979, en effet, une initiative avait été prise en ce sens par M. le député Philippe Séguin. Depuis, de nombreuses propositions de loi, amendements ou questions écrites ont été présentés, sans jamais parvenir jusqu'au stade ultime.

Aujourd'hui, alors que nous venons de célébrer le soixante-dixième anniversaire de la création du Conseil national de la Résistance, nous devons – M. le ministre délégué l'a rappelé tout à l'heure – à M. Jean-Jacques Mirassou, sénateur de Haute-Garonne, la paternité de cette nouvelle initiative, adoptée le 28 mars dernier au Sénat dans un climat de très large consensus, par 346 voix contre deux.

Pourquoi instituer une journée nationale de la Résistance, alors que plusieurs rendez-vous du calendrier commémoratif sont aujourd'hui liés au souvenir de la Seconde Guerre mondiale ? Tout simplement parce que, aujourd'hui, aucun de ces rendez-vous ne permet d'en restituer tout le message.

Bien sûr, l'appel du 18 juin, par exemple, constitue un événement fondateur, mais il symbolise avant tout la naissance de la Résistance extérieure. Il constitue un appel aux forces combattantes à rallier l'Angleterre, mais non à préparer le retour d'un gouvernement légitime.

De la même façon, d'autres dates ont pu servir à rendre hommage à ceux qui ont dit non, mais toujours sur une base éphémère ou précaire.

Aussi, afin que l'hommage rendu à la Résistance ne soit pas soumis aux aléas des dates anniversaires ou des circonstances politiques, il importe de l'inscrire dans la loi comme un événement en soi : c'est ce que fait cette proposition dans son article 1er.

Une fois le principe de cette journée posé, l'article 2 précise que cette journée ne sera ni fériée ni chômée et qu'elle aura lieu le 27 mai. Que s'est-il passé le 27 mai 1943 ?

Pour la première fois, se sont réunis, sous la présidence de Jean Moulin, les représentants de toutes les tendances politiques, de deux syndicats ouvriers et des différents mouvements de résistance, Nord et Sud. Lors de cette réunion, seront adoptées à l'unanimité la répudiation de « la dictature de Vichy, ses hommes, ses symboles, ses prolongements » et la reconnaissance d'un gouvernement provisoire confié au général de Gaulle.

C'est ainsi que la Résistance intérieure et la Résistance extérieure s'unirent pour la première fois. Le 27 mai, la France devint une nation alliée et prit sa place de grande puissance dans la guerre. Elle ne fut plus uniquement une résistance extérieure – la France libre –, elle devint une France combattante et souveraine. Il y avait désormais pour elle une chaise à la table des vainqueurs, siège encore aujourd'hui matérialisé au Conseil de sécurité de l'ONU. Rester dans le jeu des nations, éviter une annexion – n'oublions pas le projet de Roosevelt de faire administrer la France libérée par un gouvernement militaire allié – : ce fut aussi l'enjeu de l'union.

Selon les mots de Jean Moulin, le 27 mai constitue « la première réunion d'une assemblée représentative de la France depuis la trahison de l'Assemblée nationale, le 10 juillet 1940 ». Bien sûr, le Conseil national de la Résistance n'était pas monochrome, il réunissait des tendances de gauche comme de droite, et sa mise en place demanda des mois. Mais toutes ces tendances se sont accordées sur l'essentiel : l'urgence de l'union, sous peine de tout perdre. Le général de Gaulle avait fait du maintien de l'unité de la Résistance le but premier du Conseil.

Cette unification de la Résistance a évité à la France les déchirements, trop souvent observés, des lendemains de guerre, comme ce fut le cas en Grèce ou en Yougoslavie, où l'obstination de chaque vainqueur ne permit pas de reconstruire un projet pour tous.

Cette réunion de la rue du Four préparait donc la suite. La suite, ce fut le fameux programme du Conseil national de la Résistance, adopté à l'unanimité le 15 mars 1944. Ce furent les bases philosophiques, les lignes politiques à tracer pour la reconstruction : quel modèle de société voulions-nous ensuite, puisque le précédent avait échoué, et que la Résistance se battait contre un autre modèle ? « Pendant cette nuit de l'occupation, il y avait des hommes qui réfléchissaient à ce qu'allait être le jour d'après » a résumé le chef de l'État lors de son allocution le 27 mai dernier au lycée Buffon, à Paris.

L'oeuvre du CNR tient donc aussi très largement au programme d'action qu'il établit et aux grandes réformes de l'après-guerre qu'il imagine. Il n'est plus question, comme en 1918, de « retour à la normale » mais bien de l'instauration d'un « ordre social plus juste » : prééminence des droits humains, droit à l'emploi, liberté syndicale, sécurité sociale, égalité d'accès à l'enseignement et à la culture.

Ces éléments sont aujourd'hui encore au sommet de notre ordonnancement juridique. Ils font partie du bloc de constitutionnalité, et chacun d'entre nous, législateurs, doit s'y conformer.

Cette proposition de loi veut rendre hommage à ces deux messages forts de la Résistance, l'union pour le salut et l'affirmation de la dimension fraternelle et égalitaire de notre République. C'est en ce sens qu'un très large accord existe pour fixer la journée nationale de la Résistance au 27 mai, comme le fait l'article 2. Je rappelle qu'aucune des personnes auditionnées n'a mis en doute la légitimité de cette date ou suggéré une date alternative.

Cette loi ne participe pas à l'inflation commémorative de ces dernières années, inflation liée à l'émergence d'intérêts « catégoriels » en matière de mémoire, comme l'a constaté le rapport Kaspi. Elle prétend au contraire unifier la mémoire de la Résistance en mettant en place des pratiques commémoratives communes.

Elle ne vise pas non plus à faire dire à l'histoire ce qu'elle n'est pas, à imposer un prisme. Cette proposition de loi ne crée pas d'interprétation, elle ne dit pas l'histoire, la vérité historique, elle est tout simplement une loi du souvenir, une loi pour ne pas oublier.

Elle ne prétend pas non plus graver dans le marbre la nature de l'hommage. Elle laisse au contraire une grande liberté dans l'organisation de cette journée ; il appartiendra au Gouvernement de définir chaque année la façon dont il conçoit cette journée. Les lieux de mémoire ne manquent pas. Alors que beaucoup regrettent une certaine désaffection du public pour les commémorations, le choix original du Président François Hollande d'échanger, cette année, avec des lycéens est peut-être un exemple à suivre.

Mais plus que l'organisation d'une cérémonie nationale, cette proposition de loi vise, dans son article 3, à associer les établissements scolaires au souvenir de la Résistance.

La Résistance est abordée à trois reprises dans les programmes scolaires, en troisième, en première et en terminale. Il ne s'agit pas d'ajouter un nouveau chapitre à ces programmes, mais d'inviter les enseignants de ces classes à se servir de cette journée pour évoquer avec leurs élèves la Résistance et ses valeurs.

À l'heure où les grands témoins de cette période se font de plus en plus rares, il est important de conserver, dans les établissements scolaires, une initiative forte consacrée à la Résistance. En effet, il n'existe pas de relais social de cette mémoire, dans le sens où il n'existe pas de « communauté » résistante. C'est pourquoi il importe de combler cette absence de relais communautaire par un relais éducatif. Cela est d'autant plus nécessaire que cette période historique fait l'objet d'un rétrécissement croissant dans les manuels scolaires.

Il y a donc une véritable urgence à développer un volet pédagogique et trangénérationnel, afin non seulement d'assurer un relais de la mémoire, un pont culturel entre les générations, mais aussi et surtout de permettre à cet événement de signifier encore quelque chose d'exemplaire dans les esprits des jeunes générations.

Pour toutes ces raisons, l'article 3 de la proposition de loi traite du rôle dévolu à l'éducation nationale dans cette journée anniversaire. C'est même, pourrait-on dire, l'aspect essentiel du texte.

Il reviendra aux enseignants de choisir les initiatives qu'ils jugent les plus adaptées à cette transmission. On peut imaginer qu'ils organisent des visites de lieux de mémoire ou de musées, montent une pièce de théâtre, projettent un film ou encore publient un journal. Pour cela, ils recevront naturellement le soutien du ministère de la défense et des différentes associations et fondations de la Résistance, à l'image de la Fondation de la Résistance, qui organise chaque année avec un franc succès le concours national de la Résistance et de la déportation.

Le 27 mai dernier, le Président Hollande a rappelé qu'il est des moments dans notre histoire « où nous devons nous rassembler sur ce qui est l'essentiel, sur ce qui fait que nous sommes une nation, que nous avons des valeurs – c'est ce qu'a fait le Conseil national de la Résistance ».

Ce message d'unité, de rassemblement autour de valeurs partagées sera entendu, je l'espère, par la très grande majorité d'entre vous.

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