Intervention de Stéphane Saint-André

Séance en hémicycle du 9 juillet 2013 à 21h45
Instauration du 27 mai comme journée nationale de la résistance — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaStéphane Saint-André :

Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, René Char écrivait : « Résistance n'est qu'espérance. » En juin 1940, quand l'Allemagne s'imposait en vainqueur, que notre pays ressentait l'humiliation de la défaite et allait connaître l'envahissement et le joug de l'occupation, l'espérance que la France retrouve sa liberté, sa dignité et son intégrité était portée par les résistants de la première heure.

Animés d'une détermination sans faille, persuadés de la légitimité de leur combat, ils s'engagèrent au nom de cette haute et noble cause. Le plus souvent spontanée, modeste et éparse sur tout le territoire, cette première Résistance s'annonça décisive, car elle dressa les premiers obstacles à l'exploitation et à la résignation du peuple français.

Le phénomène eut une importance particulière dans le Nord et le Pas-de-Calais, région qui souffrit beaucoup du sentiment d'abandon, d'une lourde présence allemande, des difficultés de la vie quotidienne et des bombardements.

En effet, lorsqu'en mai 1940 l'Allemagne lance son offensive à l'ouest, après avoir envahi la Hollande et la Belgique, ses troupes, dont la redoutable division Totenkopf, commettent de terribles exactions sur les populations, notamment celles de Courrières et d'Oignies, pour ne citer qu'elles. L'armistice signé, le Nord et le Pas-de-Calais sont déclarés « zone interdite », coupés du reste de la France et placés sous la tutelle directe de la Wehrmacht, car cette région industrialisée présente un intérêt économique important pour l'occupant, décidé à remettre rapidement l'appareil de production en marche. Très vite, les mines retrouvent leur activité et, afin d'en accroître les rendements au détriment des mineurs, les journées de travail sont allongées et les pauses supprimées, tandis que les salaires sont bloqués.

C'est alors qu'un acte collectif, précurseur de la Résistance – certainement l'un des plus importants, mais aussi des plus mal connus – va se dérouler : le 24 mai 1941 débute la grande grève patriotique des mineurs. En cinq jours, partie du puits Dahomey, à Montigny-en-Gohelle, elle devient générale dans le Nord et le Pas-de-Calais, avec plus de 100 000 mineurs cessant le travail, sur un total de 143 000. Ces gueules noires, motivées initialement par des revendications sociales, font de cette grève un mouvement de résistance de grande ampleur pour affaiblir l'occupant nazi et déstabiliser son économie de guerre, en parvenant à dissimuler 500 000 tonnes de charbon.

Cette résistance ouvrière, perçue par la Wehrmacht comme un défi à son pouvoir, l'a amenée, par contrecoup, à exercer une répression féroce. Ainsi, ce sont deux cent cinquante gueules noires qui constituèrent le premier convoi de déportés français vers le camp de Sachsenhausen. D'autres le payèrent de leur vie, comme Émilienne Mopty qui, ayant pris la tête des femmes de mineurs, fut décapitée à la hache à Cologne, en 1943. Par sa dimension patriotique, cette grève a permis aux mineurs de rejoindre le grand mouvement de la Résistance, avec ici les maquisards, là les membres des réseaux clandestins, et tous les autres anonymes.

Mais quand, au fil des mois, la destruction de la nation française s'accentue, parce que le gouvernement de Vichy s'enfonce totalement dans la collaboration, lorsque l'oppression et l'exploitation du pays par l'occupant atteignent un degré insupportable, par le pillage, la famine organisée, le maintien dans les camps d'un million de prisonniers, la déportation d'ouvriers, l'emprisonnement et l'exécution des patriotes les plus valeureux, la Résistance veut devenir une force offensive d'ampleur nationale. Cependant, il faudra des mois pour que réticences et oppositions soient surmontées, au terme de multiples et dangereux contacts. Car la Résistance demeure longtemps plurielle. Chaque organisation a ses caractéristiques propres. Les conceptions du combat et les visions de la France libérée y sont différentes, parfois opposées.

Le processus de rapprochement s'accélère en 1943 et Jean Moulin y joue un rôle crucial. Préfet de sensibilité radicale, il est entré en contact avec la Résistance française après avoir entendu l'appel du général de Gaulle le 18 juin 1940. Devenu, en janvier 1942, le représentant du chef de la France libre auprès des mouvements de Résistance, il parvient finalement à les unifier, à Paris, en Conseil national de la Résistance, lors de la réunion historique du 27 mai 1943.

Malgré les sensibilités différentes réunies par lui autour de la table, à savoir huit représentants des mouvements de la Résistance, six représentants des principaux partis politiques de la IIIe République et deux représentants des syndicats les plus importants d'avant-guerre, c'est l'exigence d'unité qui l'emporte et qui rassemble, avec comme objectif la reconquête de l'indépendance nationale.

Ainsi, ce 27 mai, le CNR se fixe pour objectifs de coordonner l'action de la Résistance sous l'égide du général de Gaulle pour que la France parle d'une seule voix sur la scène internationale, mais aussi de préparer l'avenir. Ce qui conduit ses membres à adopter, le 15 mars 1944, un programme novateur pour préparer, comme le mentionnait sa première édition, « les jours heureux ». Il s'élabore autour d'un « plan d'action immédiate », appelant à l'engagement massif des Français, dans un combat incessant et multiforme contre l'oppresseur ; il expose ensuite les mesures à appliquer pour la libération du territoire, dessinant, dans les domaines politiques, sociaux et économiques, les traits d'une République nouvelle, profondément démocratisée autour d'un « ordre social plus juste ».

Les grandes réformes qui ont été accomplies au lendemain de la Seconde Guerre mondiale se sont inspirées de ce programme et nous en avons hérité aujourd'hui : un plan complet de sécurité sociale, le droit de vote des femmes, le droit au travail, les comités d'entreprise, les nationalisations, la modernisation de la presse, la garantie d'un niveau de salaire. Il nous appartient de les préserver, tout comme la défense des valeurs patriotiques, démocratiques et humanistes, la lutte contre le regain d'idéologies fascistes, et la défense de la paix. Autant de valeurs de la Résistance, inscrites dans le préambule de la Constitution, qui restent des valeurs modèles pour notre société actuelle, des valeurs auxquelles nous devons nous référer et que nous devons transmettre.

Notre devoir de mémoire est aussi de reconnaître les services rendus par cette « armée des ombres », que Joseph Kessel a célébrée dans son livre : « Jamais la France n'a fait guerre plus haute et plus belle que celle des caves où s'impriment ses journaux libres, des terrains nocturnes et des criques secrètes où elle reçoit ses amis libres et d'où partent ses enfants libres, des cellules de tortures où malgré les tenailles, les épingles rougies au feu et les os broyés, des Français meurent en hommes libres. »

À l'instar de Jean Moulin, sont morts en « hommes libres » 20 000 résistants des Forces françaises de l'intérieur tués au combat, 30 000 autres fusillés, et plus de 60 000 déportés dans les camps. L'exemple du courage et du civisme de ces combattants de la liberté est un élément fondateur de la mémoire nationale. Leur sacrifice, librement consenti, permit à la France de siéger à la table des vainqueurs le 8 mai 1945, et à l'Europe de se construire. Il est donc impératif que le message qu'ils nous ont légué soit conservé et transmis, et qu'il reste vivant : il y va des valeurs républicaines.

En instaurant une journée nationale de la Résistance chaque 27 mai, cette proposition de loi permettra de leur rendre un hommage solennel et elle sera l'occasion, auprès des jeunes générations, dans chaque collège de France, d'organiser des actions, de réfléchir aux valeurs de la Résistance et à l'action du Conseil national de la Résistance. Car l'esprit de la Résistance c'est aussi la confiance en l'avenir : c'est un message d'espoir qui est légué à la jeunesse.

Par conséquent, les députés du groupe radical, républicain démocrate et progressiste la voteront.

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