Notre Commission est aujourd'hui saisie, en deuxième lecture, du projet de loi relatif aux attributions du garde des Sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en oeuvre de l'action publique. Ce texte, adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 4 juin 2013, puis par le Sénat le 4 juillet dernier, a pour objectif d'éliminer tout soupçon affectant l'indépendance de la justice tout entière du fait de la subordination statutaire des magistrats du parquet au garde des Sceaux.
La fin du soupçon passe, d'une part, par la restitution au garde des Sceaux de la responsabilité de conduire et d'animer la politique pénale, et, d'autre part, par le renforcement de l'indépendance du parquet, lequel se voit garantir, notamment avec la suppression des instructions du ministre de la Justice dans des affaires individuelles, le plein exercice de l'action publique.
À l'issue de ce premier examen par les deux chambres, je constate et, dans le même temps, ne peux que regretter que d'importantes divergences de vues subsistent entre l'Assemblée nationale et le Sénat.
Ainsi l'article 1er, article central du texte puisqu'il visait initialement à prohiber sans exception toute instruction du ministre de la Justice dans des affaires individuelles, a été privé par le Sénat d'une grande partie de sa portée.
De la même manière, si le Sénat a souscrit au dispositif proposé par l'Assemblée nationale d'une information annuelle du Parlement sur la conduite de la politique pénale, il n'a pas fait siennes les modalités d'information – introduites par notre Commission – des magistrats du siège et du parquet, au niveau de chaque cour d'appel et de chaque tribunal de grande instance, sur l'application de cette politique.
Les deux assemblées ne sont pas davantage parvenues à s'accorder sur la publicité des instructions générales adressées par le garde des Sceaux. Enfin, le rappel du principe d'impartialité dans l'exercice de l'action publique a fait l'objet d'appréciations divergentes.
Notre Commission est donc saisie, en deuxième lecture, d'un texte qui s'éloigne dans une trop large mesure de celui que l'Assemblée nationale a adopté en première lecture.
En conséquence, je me propose de vous présenter brièvement les amendements que je défendrai au cours de la discussion afin de rétablir et de conserver l'esprit – à défaut de la lettre – de nos travaux en première lecture.
En premier lieu, je rappelle que l'ambition originelle du texte est de prohiber toute instruction du garde des Sceaux à l'occasion d'une affaire individuelle.
Cette prohibition sans exception des instructions individuelles a une valeur symbolique très forte : elle marque la volonté du législateur de garantir, en toutes circonstances, l'impartialité des décisions des magistrats du parquet et de lever tout soupçon quant à une éventuelle motivation politique des interventions du ministre de la Justice.
J'entends dire ici et là que les instructions individuelles seraient en nombre infime et qu'il n'y aurait donc pas lieu de les prohiber. Mais le principe même de l'instruction individuelle constitue une immixtion directe du pouvoir exécutif dans une procédure juridictionnelle et porte atteinte à la séparation des pouvoirs.
Dans le respect de l'engagement n° 53 du futur président de la République – « J'interdirai les interventions du Gouvernement dans les dossiers individuels » –, la présente réforme porte l'ambition de graver, dans le marbre de la loi, l'interdiction des instructions individuelles, interdiction à laquelle l'actuelle garde des Sceaux s'est astreinte en pratique depuis sa prise de fonction en mai 2012.
Dès cette date en effet, Christiane Taubira, soucieuse d'assurer l'indépendance de l'institution judiciaire, a décidé non seulement de renouer avec la pratique de ses prédécesseurs sous le gouvernement de Lionel Jospin – pratique dont je signale qu'elle fut, hélas, abandonnée par les gouvernements suivants –, mais également de l'inscrire expressément dans la loi. Tel doit être l'objet du présent projet de loi, si l'on veut en faire une avancée majeure dans le fonctionnement indépendant et impartial de notre justice.
En supprimant l'interdiction de toute instruction du garde des Sceaux dans des affaires individuelles, le Sénat a privé le texte d'une grande partie de sa portée. Nous ne pouvons en aucune manière nous en satisfaire. Je vous proposerai donc, à l'article 1er, de rétablir cette prohibition.
Le deuxième axe du texte est d'organiser, dans un souci de transparence, l'information des magistrats et, plus largement, des citoyens sur la conduite et l'application de la politique pénale sur l'ensemble de notre territoire.
En première lecture, par cohérence avec l'information annuelle du Parlement au niveau national, notre Commission, sur ma proposition, avait estimé nécessaire d'organiser, au niveau local, l'information annuelle de l'ensemble des magistrats des cours d'appel et des tribunaux de grande instance sur l'application, dans leur ressort, de la politique pénale.
Estimant que ces modalités d'information au niveau local ne relevaient pas du domaine législatif mais de la partie réglementaire du code de l'organisation judiciaire, le Sénat a supprimé ces dispositions, invitant par la même occasion le Gouvernement à les mettre en oeuvre par voie réglementaire.
Afin de conserver le principe d'une information annuelle des magistrats au niveau de chaque cour d'appel et de chaque tribunal de grande instance sur la politique pénale conduite dans leur ressort, tout en répondant aux préoccupations légitimes exprimées par les sénateurs, je vous inviterai à adopter un amendement ne faisant peser sur les procureurs généraux qu'une obligation de résultat : informer, au moins une fois par an, les magistrats du siège et du parquet de l'application de la politique pénale. Il ne s'agit en aucune manière d'une obligation de moyens, dans la mesure où le présent projet de loi ne précisera pas les modalités de mise en oeuvre de cette information, renvoyant implicitement le soin de les définir au pouvoir réglementaire.
Mais la connaissance de la politique pénale ne peut pas, à mon sens, être réservée à la seule représentation nationale et aux seuls magistrats, elle doit aussi s'ouvrir à tous les justiciables.
Je considère en effet que la fin du soupçon, qui est l'objectif de ce texte, exige que chaque citoyen puisse avoir connaissance des choix de politique pénale arrêtés par le ministre de la Justice, choix qui seront désormais débattus chaque année au Parlement.
C'est dans ce souci de transparence – souci qui a constamment guidé nos travaux – que notre Commission a, sur ma proposition, inscrit en première lecture, dans la lettre même du code de procédure pénale, le principe de la publicité des instructions générales de politique pénale adressées par le garde des Sceaux.
Le Sénat n'a pas souhaité retenir cette publicité. Loin d'y être hostiles par principe, la garde des Sceaux et le rapporteur du Sénat ont tous deux estimé que les instructions générales devaient pouvoir être rendues publiques, sauf si l'intérêt général s'y opposait.
Conscient des préoccupations exprimées sur la nécessité d'encadrer les règles de publicité des circulaires de politique pénale, je vous proposerai de réaffirmer ce principe de publicité tout en veillant à l'encadrer : la publicité des instructions générales pourra ainsi être écartée dès lors qu'elle porte atteinte à la sûreté de l'État, à la sécurité publique ou au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou des investigations préliminaires à de telles procédures.
Le troisième point sur lequel il est nécessaire d'améliorer le texte est la reconnaissance, dans le code de procédure pénale, de l'exigence d'impartialité dans l'exercice de l'action publique par le parquet.
En première lecture, dans le prolongement de la prohibition de toute instruction individuelle, notre Assemblée, après en avoir longtemps débattu, avait estimé nécessaire que ce principe soit rappelé à l'article 31 du code de procédure pénale.
Alors qu'en commission des Lois du Sénat, le rapporteur Jean-Pierre Michel s'était montré favorable à l'inscription du principe d'impartialité des magistrats du parquet et avait consacré, à l'article 31 du code de procédure pénale, la référence à l'intérêt général qui doit animer le parquet dans l'exercice de ses fonctions, le Sénat est revenu en séance publique sur la consécration de ces deux principes et a supprimé, en conséquence, l'article 1er bis du texte.
Or, le rappel législatif de cette exigence d'impartialité constitue le signe d'une première convergence indispensable entre les approches constitutionnelle et conventionnelle concernant le rôle et le statut du « parquet à la française », qu'il ne s'agit nullement de remettre en cause mais bien de conforter.
Par cohérence avec le rétablissement, à l'article 1er, de la prohibition de toute instruction individuelle, je vous proposerai d'adopter un amendement rétablissant l'article 1er bis et réaffirmant cette exigence d'impartialité sur laquelle doivent se fonder l'exercice de l'action publique et l'application de la loi par les magistrats du ministère public.
Dans le respect de l'organisation hiérarchique, fruit de notre histoire judiciaire et caractéristique du « parquet à la française », je suis personnellement convaincu qu'il existe, pour reprendre les termes employés par la Cour européenne des droits de l'homme, un intérêt général consistant à « maintenir la confiance des citoyens dans l'indépendance et la neutralité politique des autorités de poursuite d'un État ». Telle est l'ambition que je poursuis en voulant rappeler l'exigence d'impartialité qui s'impose à l'exercice de l'action publique par les magistrats du parquet.
Je vous demanderai, naturellement, d'adopter en deuxième lecture ce projet de loi, dans le respect de l'économie générale des amendements que je viens de présenter et qui avaient recueilli une large approbation en première lecture dans l'hémicycle.