Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du 2 juillet 2013 à 17h00
Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Jean-Yves le Drian, ministre de la Défense :

Merci Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, vous avez déjà reçu ceux qu'on appelle « les grands subordonnés », qui vous ont donné beaucoup d'informations. Je voudrais me limiter à quelques propos d'ordre politique et général, quitte à répondre ensuite à des questions plus précises. Cinq raisons me paraissent justifier la nécessité de poursuivre des programmes d'armement en coopération et singulièrement au niveau européen.

La première raison, vous l'avez évoquée, Monsieur le président, est une raison financière. Puisqu'il n'est pas possible de dépenser plus, il faut dépenser mieux alors que les défis sécuritaires sont toujours plus grands. La coopération en matière d'armement permet d'utiliser au mieux les investissements consentis par les États au profit de la défense, à travers la mutualisation, le partage de nos capacités de défense, dans le respect de nos souverainetés respectives. Dans le contexte actuel de crise et de contrainte budgétaire, l'enjeu est d'éviter les réflexes de repli sur soi et de voir dans l'Union européenne des possibilités d'optimisation.

Le deuxième point, tout aussi important et parfois sous-estimé, tient à la nouvelle stratégie des États-Unis qui implique un repositionnement au profit de la zone Asie-Pacifique. De plus, le budget de la défense américain est et sera soumis à des contraintes budgétaires très significatives, de l'ordre de mille milliards de dollars pour les dix prochaines années, soit une baisse de cent millions de dollars par an en moyenne. Ces réductions vont inciter les industries de défense américaines à être d'autant plus agressives sur les marchés mondiaux, et notamment européens. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous n'avons pas souhaité, et nous ne sommes pas les seuls, que la défense soit concernée par les négociations commerciales à venir avec les États-Unis : le sujet, initialement inclus, en a été retiré.

Troisième point, il nous faut éviter les ruptures technologiques, maintenir les emplois et les compétences. Face à des technologies de plus en plus sophistiquées, il est de plus en plus difficile, pour les nations européennes, d'atteindre seules des volumes de commandes permettant de maintenir des bases industrielles de défenses nationales. Il importe que la coopération permette de répondre à cette nouvelle donne, technologique, financière et industrielle et d'assurer les efforts de recherche et d'innovation indispensables.

Quatrième raison, l'exportation. Quand on produit un équipement en commun, on est beaucoup plus convaincant à l'export, c'est un argument commercial de poids, de même que l'utilisation en commun d'un équipement, par plusieurs États. Exemple très significatif, mais on pourrait en citer d'autres, l'hélicoptère NH 90, produit par cinq pays européens, a pu être vendu dans neuf autres pays. Le Tigre, produit par la France, l'Allemagne et l'Espagne seulement, vient de trouver une capacité à l'exportation en Australie, et ce n'est sans doute qu'un début.

Cinquième raison, sur le plan opérationnel, la coopération en matière d'armement permet de fabriquer le ciment d'une véritable Europe de la défense, grâce à une réelle interopérabilité entre nos forces, à une capacité à conduire en commun des actions plus efficaces. C'est vrai dans le domaine de la formation, avec le centre du Luc dans le sud de la France, où l'Allemagne et la France forment en commun des pilotes d'hélicoptère Tigre. Cette interopérabilité dans les usages est un atout, alors que la brigade franco-allemande se déploie difficilement, la communication tactique entre les éléments n'étant pas interopérable. La coopération capacitaire est un facteur d'interopérabilité. Les actions menées avec les Britanniques ont permis de le constater : l'exercice maritime Corsica Lion a démontré que des progrès restaient nécessaires.

Pour tirer pleinement profit des avantages des programmes de coopération, le cadre institutionnel existe. La création de l'OCCAr en 1998 a marqué un tournant important. Elle permet la mise en commun de moyens support et l'établissement d'un référentiel commun pour conduire des programmes. L'OCCAr a un caractère explicitement européen, par l'importance donnée à la consolidation de la base industrielle et technologique de défense européenne. C'est un acquis que je considère comme inestimable. Les six pays acteurs de l'OCCAr, France, Espagne, Italie, Allemagne, Belgique et Royaume-Uni - la Pologne n'en fait pas encore partie, mais s'interroge sur une adhésion - sont ceux dont l'industrie de défense est la plus développée. L'OCCAr a déjà conduit beaucoup de programmes, est ouvert à des participations au cas par cas et présente de nombreux avantages. Ses coûts d'intervention sont faibles (de l'ordre de 2 %), alors que ceux de l'Agence d'acquisition de l'OTAN s'élèvent à 9 %. De plus, il n'intègre pas le juste retour industriel sur un seul programme, mais cherche à assurer un équilibre sur l'ensemble des programmes, dans une conception plus large.

L'Agence européenne de défense (AED), de création plus récente, a une mission différente : elle doit faire converger l'expression de besoins opérationnels, en amont de l'OCCAr. La signature récente d'un arrangement administratif entre l'Agence et l'OCCAr a créé une dynamique qui permet la bonne coordination entre les deux organisations : à l'Agence, l'expression et la maturation du besoin opérationnel jusqu'à la décision de conduire un programme commun ; à l'OCCAr ensuite de conduire ce programme. Nous avons donc aujourd'hui tous les outils nécessaires pour mener des programmes en coopération.

Que peut-il se produire à l'avenir ? Comment concevoir la coopération pour le futur ? Nous avons les outils. Il faut agir avec volontarisme et pragmatisme. Une coopération dans le domaine de l'armement ne peut naître de rien. Elle doit reposer sur des convergences concrètes entre partenaires, s'agissant des besoins opérationnels comme du calendrier : à défaut, on perd du temps, de l'argent et les programmes peuvent même échouer, particulièrement en ces temps de contraintes budgétaires.

L'OCCAr et l'AED restent le meilleur outil institutionnel. Mais pour chaque projet, nous devons pouvoir retenir le cadre de coopération le plus adapté. À long terme, nous devons éviter les concurrences intra-européennes, qui nous pénalisent à l'exportation, je pense notamment aux avions de chasse. Le prochain avion de combat, avec ou sans pilote – et sans doute les deux – le prochain char, devront être européens. Nous devons déjà nous inscrire dans cette perspective, à défaut, les autres pays achèteront la nouvelle génération d'avions de chasse américains. En matière de coopération, les sujets les plus forts sont liés à l'aviation. Les domaines terrestre et naval ne sont pas encore au rendez-vous, à part notre coopération avec l'Italie pour les frégates, ce qui ouvre de vastes champs de coopération européenne à bâtir.

Des coopérations sont possibles ou en gestation, soit dans le cadre de l'OCCAr, soit dans le cadre de discussions avec nos partenaires. Dans le cadre de l'AED, je pense au ravitaillement en vol, à la surveillance maritime (avoir des images instantanées sur l'ensemble des flottes, comme le prévoit le programme Marsur constituerait une grande avancée), à la gestion militaire du ciel unique européen (trop souvent oubliée, ce dont l'Allemagne a été victime, pour l'achat de drones), au spatial et à la succession de satellites Hélios, ou à la question des drones.

Nous avons trois préoccupations, du fait des avancées insuffisantes en matière de coopération, à l'exception de nos actions avec les Britanniques. Il s'agit d'abord des drones tactiques, qui ont fait l'objet de discussions et d'un accord de bon emploi, pour Watchkeeper, avec les Britanniques ; ensuite, de la définition par Dassault et BAE d'un modèle expérimental pour le futur drone de combat européen, et du démonstrateur NEURON ; enfin, des drones d'observation MALE : en attendant cette nouvelle génération, nous devons utiliser provisoirement un drone américain.

Il y a donc là toute une série de perspectives potentielles de nouveaux programmes à entreprendre en commun, ce qui suppose à la fois pragmatisme et volonté. C'est aussi un moyen d'avancer vers l'Europe de la défense. Le Conseil européen qui va se consacrer aux questions de défense à la fin de l'année 2013 sera le premier organisé depuis 2003. Il serait bien inspiré d'aborder la coopération en matière d'industries de défense. C'est aussi un bon moyen d'agir sur les exportations. Il y a, je pense, une perception de cette nécessité de la part des acteurs. Il faut maintenant concrétiser cette coopération, même si les intérêts sont parfois divergents, car les résultats sont généralement à la hauteur des espérances, à l'instar de l'A 400 M qui est une vraie réussite.

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