Intervention de Daniel Verwaerde

Réunion du 6 juin 2013 à 10h00
Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Daniel Verwaerde, directeur des applications militaires du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives, CEA :

Je vous remercie pour votre invitation qui me permettra de vous présenter le programme de coopération Teutatès-Epure, que la France a engagé avec le Royaume-Uni.

Cette coopération a démarré en 2007 suite à une volonté politique très forte de la part des deux États, même si les motivations ne sont pas les mêmes de chaque côté de la Manche, comme l'ont fait apparaître les discours prononcés à Lancaster House, à Londres, le 2 novembre 2010. Pour le Président de la République française, elle traduisait une volonté de construction européenne, tandis que les Britanniques n'y voyaient plus l'intérêt que peut représenter une coopération bilatérale.

Cela dit, deux motivations étaient communes à nos deux pays : le besoin d'outils de simulation des armes nucléaires, après la ratification quasi-simultanée par la France et le Royaume-Uni du traité d'interdiction complète des essais nucléaires, et l'impérieuse nécessité de réaliser des économies budgétaires. En effet, la France et le Royaume-Uni partagent depuis plusieurs décennies la même perception des menaces potentielles qui pèsent sur leurs intérêts vitaux et ont une approche similaire des traités de désarmement et, d'une manière plus générale, de tous les traités susceptibles d'améliorer la sécurité.

Comment est né ce projet de coopération ? Sous l'impulsion du Premier ministre britannique Gordon Brown et du Président de la République Nicolas Sarkozy, le Chief Scientific Adviser du Ministry of Défence britannique, en charge de ces programmes nucléaires, et moi-même, en qualité de directeur des applications militaires, nous sommes rapprochés l'un de l'autre pour examiner les opportunités de conduire un projet commun.

La défense française et la défense britannique conduisent de nombreux programmes d'armement, mais la conduite d'un programme en coopération doit correspondre à un tel nombre de critères que vouloir tous les satisfaire élimine beaucoup de projets. Quelques-uns de ces critères ont servi de cadre au choix de Teutatès.

Le premier d'entre eux est le désir réel des responsables des programmes de travailler ensemble. Car une coopération commence plus par des hommes que par une vision stratégique. Il faut que des personnes aient envie de coopérer et considèrent qu'elles tireront de leur collaboration un bénéfice mutuel car il est infiniment plus complexe de conduire un programme en coopération que de conduire un programme national.

Deuxième critère : les objectifs techniques des deux projets doivent être quasiment identiques – les moindres divergences additionnent les besoins et produisent des moutons à six, voire à sept ou huit pattes. Il en va de même des objectifs calendaires.

Le troisième critère tient à la nécessité, pour les deux pays, de partager les mêmes objectifs financiers et industriels. Chacun doit y trouver son compte. Cela peut se révéler très compliqué, surtout lorsque l'on additionne les spécifications.

Un autre critère, particulièrement important s'agissant des programmes nucléaires, tient à la nécessité de préserver la souveraineté de chacun des partenaires et de protéger les secrets qui doivent l'être.

Le dernier critère est ce que j'appelle la résilience, à savoir la capacité pour chacun des pays de transformer, le cas échéant, un programme en coopération en programme purement national, après une coopération qui a duré dix, quinze ou vingt ans. Même si nous considérons, en France, la coopération comme une démarche conduisant à une Europe de la défense, nous devons être capables, dans le cas où elle ne fonctionnerait pas, de continuer à assurer notre dissuasion.

En 2008, parmi tous les programmes menés par la défense, y compris dans le domaine nucléaire, seuls deux projets, le projet britannique Hydrus et le projet français Epure répondaient à l'ensemble de ces critères. L'objectif était de doter chacun des deux pays d'une capacité de simulation, détonique et mécanique, et de certification des armes sans recourir à des essais nucléaires.

Les spécifications des deux projets étaient quasiment les mêmes ; le besoin physique étant le même, il est logique de parvenir à des conclusions similaires.

La principale divergence entre les Français et les Britanniques tenait au calendrier. L'installation française devait être opérationnelle en 2014, celle des Britanniques en 2017. C'est pourquoi il a été décidé de réaliser l'installation en France et non au Royaume-Uni.

Le projet Epure était déjà engagé lorsque nous avons pris conscience qu'une légère modification nous permettrait de prendre en compte les critères de souveraineté. Il fallait pour cela construire un local spécifique pour les Britanniques, où ils pourraient assembler leurs matériels et recueillir les mesures. Plus de 90 % de l'investissement total est consacré à la partie commune, les locaux propres à chacun des deux pays ne représentant qu'à peine 5 %.

Le traité Teutatès est l'un des deux traités signés à Lancaster House en novembre 2010. Le premier est un traité général recouvrant les conditions d'une très large coopération, que les Anglais appellent le « Lever Arching Treaty ». Le Parlement français n'a pas eu à en débattre, ce qui n'est pas le cas du traité Teutatès compte tenu de ses enjeux en termes de souveraineté et de finances publiques. Le Parlement britannique a suivi une démarche analogue, quoique beaucoup plus simple puisqu'il s'est contenté d'une approbation par procédure dite « du silence » – ce qui revient à dire qu'il ne s'est pas manifesté.

Afin d'éviter la prolifération, le traité n'entre pas dans des détails confidentiels ou secrets. C'est un texte public, mais un texte « confidentiel défense » lui est annexé, intitulé Specific arrangements.

J'en viens au contenu et aux objectifs du traité. Il nous autorise à engager une large coopération dans le domaine de la simulation des armes nucléaires et à partager des travaux en matière de lutte contre le terrorisme et la prolifération nucléaires. Autrement dit, moyennant des procédures de contrôle, il nous permet d'aller plus loin que le simple fait que partager des installations.

L'objet de ce traité est de construire deux installations. La première, la plus importante, dans laquelle seront réalisées des expériences de certification des armes, se trouve en France ; l'autre, le Technical Development Center, est un laboratoire de recherche commun destiné au soutien technique et à la coopération scientifique dans lequel seront mis au point des instruments de mesure qui seront utilisés sur le site d'Epure.

Le traité prévoit que les expériences pourront être réalisées en toute souveraineté. Nous ne connaîtrons pas les résultats des expériences britanniques, et réciproquement. Il nous autorise en revanche à réaliser toute expérience classifiée qui permettrait aux deux pays de progresser.

En outre, le traité met en place des instances de gouvernance dans le cadre du Lever arching treaty ainsi que des procédures d'échange d'informations classifiées et de personnels.

Enfin, il définit le schéma de principe de l'installation de Teutatès-Epure. On distingue les installations dans lesquelles nous ferons détoner les maquettes en effectuant des radiographies pour vérifier qu'elles ne dégagent pas d'énergie. Près des locaux où seront réalisés les tirs, sont situés les locaux de service. Voilà pour la partie financée par la France, qui devrait fonctionner en 2014 et qui correspond à la phase 1 de la réalisation.

La phase 2, qui sera financée par le Royaume-Uni ou par les deux pays, comprend les halls d'assemblage et les bureaux propres aux Britanniques. Par la suite, ils contiendront une machine de radiographie, financée en totalité par les Britanniques. Le traité décrit dans le détail ces différents locaux et la répartition des financements.

Le traité prévoit en outre le démantèlement de l'installation dans 50 ans, financé pour moitié par chacun des deux pays, ainsi qu'une clause de retrait permettant à chacun des pays de se retirer du programme. Ainsi au cas où la France souhaiterait se retirer, elle pourrait interdire aux Britanniques d'accéder à l'installation. Il est prévu un délai de préavis de dix ans pour laisser à chacun des deux pays le temps de reconstruire sur son territoire l'installation dont il aurait perdu l'accès.

Le traité prévoit l'usage de deux langues officielles. L'exploitation se déroulant essentiellement en français, il importe que les Britanniques comprennent notre langue au cas où un danger serait signalé.

La phase 1 ayant été engagée par la loi de programmation militaire 2009-2014, cette partie est restée inchangée, ce qui donne à la France une responsabilité pleine et entière. L'installation de Valduc, près de Dijon, devrait être opérationnelle en 2014, et les premières expériences utiles pourraient être menées dès la fin 2014 ou le début 2015. Sa construction se déroule dans les délais prévus et les dépenses sont conformes à ce que nous avions envisagé.

Conformément aux termes du traité, nous avons mis en place des instances de pilotage à différents niveaux.

Au plus haut niveau se trouve le Senior Level Group, composé de membres du Cabinet office britannique et de la Présidence de la République française. Ce comité de pilotage assure la coprésidence de l'ensemble du traité et pilote l'ensemble des coopérations, dont fait partie le traité Teutatès.

Le deuxième niveau est constitué par un comité technique, le Steering Committee, dont nous sommes, le Chief Scientific Adviser du Ministry of Defence et moi-même, les deux coprésidents. Le comité se réunit officiellement une fois par trimestre, mais en réalité nous nous rencontrons plus d'une fois par mois.

Le troisième niveau est celui du Joint Managerial Board. Piloté par le directeur des armes nucléaires et par le Director for Strategic Technology, il assure la maîtrise d'ouvrage déléguée de la construction de Teutatès. Ce board se réunit environ une fois tous les quinze jours.

Enfin, depuis 2010, nous disposons à Bruyères-le-Châtel d'une équipe technique d'une cinquantaine de personnes, dont dix Britanniques.

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