Mesdames et messieurs les députés, le présent projet de loi est la traduction concrète d'un engagement fort pris par le Président de la République envers les outre-mer. Il correspond aussi à l'une des trois priorités fixées pour ces territoires par le Premier ministre, dans sa déclaration de politique générale du début du mois de juillet.
Outre la lutte contre le chômage et l'ambition pour la jeunesse, le Gouvernement a en effet décidé de mettre en oeuvre une réponse politique volontariste au problème de la vie chère qui, dans les outre-mer, constitue un frein au développement économique et au progrès social.
Le texte soumis à votre examen comprend deux volets. Le premier rassemble des mesures de régulation des marchés ultramarins ; le second porte sur une série de dispositions nécessaires à la mise à jour des législations applicables à Mayotte, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie. Il a été très significativement amélioré par le travail tout à fait remarquable des sénateurs qui l'ont, par la suite, adopté à l'unanimité. Le Gouvernement compte évidemment sur les députés pour poursuivre cet utile travail d'amendement. Il s'agit en effet de créer les conditions d'une baisse des prix des biens et services, qui, outre-mer, affichent des écarts injustifiés – de 40 à 50 %, voire davantage – par rapport à l'Hexagone, écarts qui pénalisent durement les entreprises comme les ménages, en particulier les plus défavorisés.
Je serai assez bref sur l'objet du premier chapitre, consensuel et souvent baptisé « loi contre la vie chère ». Lutter contre la vie chère dans les outre-mer est une priorité politique, économique et sociale, et, j'ose le dire, un impératif – donc, pour nous, une obligation.
Il s'agit évidemment d'une priorité économique, car la vie chère touche aussi bien les marchés de gros que les marchés de détail : les coûts d'approvisionnement des entreprises élevés pénalisent l'activité dans son ensemble. La réponse proposée par le Gouvernement, dans la ligne des engagements du candidat élu à la Présidence de la République, récuse le faux choix entre, d'une part, ne rien faire et cultiver le fatalisme, et, d'autre part, bloquer les prix et tomber dans une économie administrée. Si un strict encadrement des prix peut-être utile pour faire face à une situation exceptionnelle, il ne saurait constituer une solution durable pour l'économie ultramarine. Ce ne sont donc plus seulement les symptômes de la vie chère qu'il nous faut traiter, mais aussi leurs causes véritables, lesquelles tiennent au système de formation des prix. Les prix de détail ne sont en effet que le résultat d'une accumulation de marges et de prix en amont.
Ce projet de loi propose précisément de créer de nouveaux outils allant des interventions sur les marchés de gros au contrôle de la chaîne logistique, en passant par la lutte contre les exclusivités abusives et par la régulation de la grande distribution. Cette boîte à outils, nous l'avons élaborée à la suite d'une très large concertation associant l'ensemble des acteurs de la vie économique et sociale ainsi que des élus. En particulier, les parlementaires ultramarins de tous bords ont été écoutés et il a été tenu compte de plusieurs de leurs remarques et de leurs propositions avant même d'entamer le débat parlementaire.
Ce texte est donc le fruit d'une intelligence collective, toujours en mouvement. Avant d'en présenter les principales dispositions, je tiens à souligner que le Gouvernement n'oublie pas nos concitoyens de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française. La plupart des dispositions du projet de loi relèvent de la compétence de ces territoires et ne sauraient donc s'imposer à eux. Il appartiendra aux autorités compétentes, si elles l'estiment opportun, de transposer celles qu'elles jugent adaptées à la situation locale. Le Gouvernement les accompagnera dans cette démarche, tout en veillant à ce que, dans les matières qui relèvent de sa compétence – comme les tarifs bancaires –, les excès observés ne perdurent pas.
L'article 1er offrira à l'Etat la possibilité de réguler les marchés de gros, et uniquement ces marchés, passés entre les entreprises et ne concernant donc pas directement le consommateur final. Les marchés de détail, eux, sont traités par l'article 5 et le nouvel article 6 bis introduit au Sénat par un amendement du Gouvernement.
Cet article 1er a fait l'objet d'améliorations notables depuis le projet initial, en particulier lors de l'examen au Sénat. Nous nous sommes montrés particulièrement ouverts sur sa rédaction, car nous partageons tous le souci de le rendre opérationnel et efficace, et de n'omettre aucune disposition essentielle.
Les modifications doivent cependant rester dans la ligne et l'esprit du texte validé par l'assemblée générale du Conseil d'État. La régulation des marchés de gros se fera par décret en Conseil d'Etat, mais le passage de la loi au règlement est encadré par une triple garantie : le constat d'une restriction de concurrence doit être validé par l'avis d'une autorité indépendante ; la régulation doit se limiter à résoudre les problèmes constatés en matière de formation des prix ; les remèdes retenus doivent répondre aux critères de nécessité et de proportionnalité. On ne peut donc aller au-delà du mécanisme validé par l'Autorité de la concurrence.
Toutes ces procédures, permettez-moi de le souligner, sont complémentaires des recours juridictionnels de droit commun, devant le Conseil d'État pour les décrets de régulation, et devant la Cour d'appel de Paris pour les sanctions relatives au non-respect des mesures de régulation. En contrepartie de ce strict encadrement, le pouvoir réglementaire aura la liberté des moyens utilisés pour réguler les marchés de gros : obligation d'accès, non-discrimination, offres de référence, prix-plafonds ou encadrement des marges. Cette souplesse est indispensable pour être efficace et adaptée aux marchés. Un remède adapté à la régulation du fret vers les Antilles ne sera pas nécessairement bon pour le marché des matériaux de construction à Mayotte ; un autre visant le stockage des carburants à La Réunion ne sera pas forcément adapté au marché de l'oxygène liquide en Guyane. De plus, les entreprises pourront elles-mêmes proposer des solutions. Ce pragmatisme est d'ailleurs la règle dans le Code de commerce comme dans la pratique communautaire.
L'article 2 vise à interdire les exclusivités d'importation, lorsqu'elles ne peuvent être justifiées au regard de l'intérêt des consommateurs. Cet article a suscité beaucoup de débats, parfois légitimes. Je tiens à rappeler qu'il ne s'agit ni de décider d'une interdiction absolue, qui serait illégale, ni d'adopter des règles d'exemption du droit commun, car elles rendraient la disposition trop facilement contournable. C'est pourquoi nous souhaitons maintenir le cap fixé au Sénat, celui d'une exemption aussi limitée que possible.
Cet article n'interdit évidemment pas l'activité de grossistes : s'ils font la preuve de leur efficacité, ils pourront continuer à maintenir les exclusivités ; sinon, ils seront choisis sur leurs mérites et non plus subis comme des points de passage obligés.
La disposition essentielle de l'article 3 est l'extension aux régions d'outre-mer de saisir l'Autorité de la concurrence. Pour dire les choses simplement, ces régions auront, sur leur territoire, les mêmes pouvoirs que le ministre de l'économie, c'est-à-dire un pouvoir général de saisine quel que soit le secteur. Elles doivent être les porte-parole naturels de toutes les entreprises qui n'osent pas porter plainte elles-mêmes. Cette mesure n'enlève rien aux autres collectivités, qui conserveront leurs pouvoirs de saisine spécifiques, « pour défendre les intérêts dont elles ont la charge », selon les termes du code de commerce. Cette différence de traitement s'explique par la compétence de coordination économique des régions et par le fait que, en pratique, être partie à une procédure devant l'Autorité est une démarche assez lourde. Mais que ceux qui pourraient s'en inquiéter se rassurent : cette extension du pouvoir de saisine aux régions ne conduit en aucun cas le Gouvernement à renoncer au sien.
L'article 4 abaisse de 7,5 à 5 millions d'euros le seuil de contrôle des concentrations dans le commerce de détail outre-mer. Il s'agit de capter les opérations portant sur des surfaces moyennes supérieures à 600 mètres carrés, ce qui est un seuil significatif dans nos territoires.
L'article 5 est celui qui a fait couler le plus d'encre. Il a été présenté comme une stigmatisation de la grande distribution par le Gouvernement, ce qu'il n'a bien sûr jamais été. Il a cependant été notablement amélioré lors de son examen par le Sénat, et je crois pouvoir dire que les débats sont désormais très apaisés.
En l'état actuel, le droit de la concurrence ne permet pas de sanctionner la rente liée à des situations de monopole ou d'oligopole, car cette rente suppose des marges élevées ; or, dans une économie où les prix sont libres, il n'existe pas de normes en la matière. Le juge considère en général que, dans des marchés ouverts et de grande taille, la rente attire les concurrents, si bien que le bénéficiaire ne peut jamais en profiter longtemps. Mais lorsque l'accès au marché est réduit en raison d'une population peu nombreuse, de la rareté du foncier ou des coûts d'approche, comme c'est le cas dans les régions d'outre-mer, l'arrivée de concurrents n'est pas toujours aisée, et le monopoleur peut profiter de sa rente. C'est à ce problème que s'attaque l'article 5, qui ce faisant comble un angle mort du droit de la concurrence. Disons-le clairement, il faut s'attaquer aux marges abusives avec des moyens efficaces et dissuasifs pour éviter que des consommateurs captifs et souvent désargentés ne soient victimes de telles situations.
Il n'y a donc pas de stigmatisation. Au reste, dans la plupart des bassins de population, plusieurs enseignes se font concurrence. Mais nous ne devons pas rester désarmés si des situations anormales se présentent.
L'article est très clair sur le plan juridique : il faut un comportement effectif de rente pour que la procédure d'engagements volontaires, puis d'injonction et, le cas échéant, d'injonction structurelle soit mise en oeuvre par l'Autorité de la concurrence. Cette dernière a d'ailleurs publié aujourd'hui un communiqué pour inviter le gouvernement néo-calédonien à transposer la mesure sur son territoire, afin de remettre en cause des situations oligopolistiques.
L'article 6 bis a été introduit au Sénat par un amendement gouvernemental et parachève l'édifice d'un projet de loi dont les effets structurels se feront sentir à moyen et à long terme. En effet, l'instauration, par cet article, d'un bouclier « qualité-prix » dans chaque territoire aura des effets à très court terme. Ce bouclier, à la création duquel s'était engagé le Président de la République, prévoit la tenue annuelle, dans chaque territoire, d'une négociation visant à fixer un prix global pour un panier de produits de consommation courante. L'article définit les modalités des négociations en fixant une obligation de résultat, et en donnant au préfet la possibilité de décider par arrêté le prix plafond du chariot-type si celles-ci devaient ne pas aboutir. Il illustre, à lui seul, la volonté du Gouvernement d'obtenir très rapidement, pas la négociation et la concertation, des résultats concrets et tangibles.
La seconde partie du projet de loi prévoit une mise à jour du cadre législatif des outre-mer par voie de ratification d'ordonnances, d'habilitation pour de nouvelles ordonnances, de validation législative de lois de pays et d'homologation de délibérations du Congrès de Nouvelle-Calédonie.
L'article 8 donne la faculté de ne pas obliger une collectivité d'outre-mer qui assure la maîtrise d'ouvrage à prendre en charge au moins 20 % du financement. Cette disposition dérogatoire existe déjà pour la Corse ; il s'agit, pour l'État, de l'utiliser dans des cas très précis pour des investissements d'intérêt public majeur, lorsque la collectivité concernée manque de ressources. Ainsi, en Guyane, où certaines communes n'ont pas les moyens de construire des centres de stockage des déchets ultimes (CSDU), l'État est condamné à verser des astreintes journalières : son intérêt objectif est donc d'assurer la maîtrise d'ouvrage de ces centres ; or, en l'état actuel du droit, il ne peut le faire.