Intervention de Victorin Lurel

Réunion du 2 octobre 2012 à 21h00
Commission des affaires économiques

Victorin Lurel, ministre des outre-mer :

Je remercie votre Commission pour le travail qu'elle est en train d'accomplir, car je suis convaincu qu'une bonne loi est le fruit d'une bonne collaboration avec le Parlement. Je ne peux que me féliciter des apports du Sénat, qui a considérablement amélioré notre texte, et je n'en attends pas moins de l'Assemblée nationale.

S'agissant de la conférence économique et sociale, madame la rapporteure, j'ai donné instruction aux représentants de l'État dans ces territoires d'organiser au moins deux jours de concertation en octobre. Cette conférence permettra d'aborder tous les domaines de la vie économique et sociale, l'agriculture, la pêche, le dialogue social, etc. De même, nous organiserons une déclinaison locale de la conférence environnementale.

Il ne s'agit pas là d'une loi générale à quoi se résumerait toute la politique du Gouvernement à l'égard des outre-mer : c'est un projet de loi de lutte contre la vie chère. Ces territoires feront l'objet d'autres textes législatifs. Nous vous proposerons des mesures en faveur du développement de la production agricole outre-mer, dans le cadre d'un projet de loi que présentera Stéphane Le Foll. Des dispositions relatives au logement outre-mer devraient prendre place dans la loi Duflot. Nous présenterons également un projet de loi relatif au financement de l'économie outre-mer, grâce notamment à la mobilisation de l'épargne locale. L'encombrement du calendrier parlementaire nous contraint cependant à emprunter les véhicules législatifs plus larges qui se présenteront, plutôt que de présenter des projets de loi spécifiquement consacrés aux outre-mer.

Ce texte ne prétend pas à l'exhaustivité, madame la rapporteure, et j'attends de vos amendements des améliorations significatives. Pour avoir été dix ans député, je suis convaincu de l'importance du rôle du Parlement, même si je ne reprends pas la formule trop connotée de « coproduction législative ». J'attends notamment vos propositions d'amendements à l'article 5, qui fait beaucoup parler.

On peut envisager la suppression du comité de suivi, monsieur le rapporteur pour avis, si vous me proposez un meilleur dispositif. De même, nous serons attentifs à votre proposition d'une nouvelle rédaction des dispositions concernant Mayotte.

S'agissant du logement en Nouvelle-Calédonie, monsieur le président, je vous confirme que le Gouvernement compte présenter un amendement modifiant les dispositions de la loi de 1989.

Je constate avec bonheur, madame Vautrin, que vous approuvez l'économie générale du texte, dont vous ne récusez ni la méthode, ni le contenu. Vous concentrez vos critiques sur l'injonction structurelle de l'article 5, dont vous semblez craindre qu'elle ne présente un caractère punitif. Rassurez-vous : notre intention n'est pas de sanctionner des structures de marché, mais d'assurer l'applicabilité de dispositifs existants, en l'espèce l'article L.752-26 du code de commerce. L'Autorité de la concurrence elle-même a, comme je l'ai dit, recommandé que la Nouvelle-Calédonie s'inspire de la solution que nous proposons.

J'ai bien conscience de la distinction entre prix et marges, madame, mais la notion de « prix abusif » est inapplicable, comme le montre une jurisprudence abondante. Preuve en est qu'elle ne dérange en rien les représentants de la grande distribution. L'abus de position dominante est pratiquement impossible à prouver, et donc à sanctionner. En revanche, et contrairement à ce que vous affirmez, la moyenne des prix par secteur permet de définir précisément ce qu'est un prix élevé, alors que la notion de prix ou de marge abusifs reste floue. Je remarque d'ailleurs que, depuis le vote du projet de loi par le Sénat, certains responsables de la grande distribution m'ont demandé de supprimer à l'article 5 le qualificatif « élevés » appliqué aux prix et aux marges, ainsi que l'objectif de « garantir une concurrence effective ». La fameuse loi d'orientation pour le développement économique des outre-mer, la LODEOM, votée en 2009 quand tous les outre-mer étaient en ébullition, n'a jamais pu être appliquée, en particulier dans son article 1er qui autorise le Gouvernement à encadrer les prix des produits de première nécessité. Notre projet de loi vise simplement à rendre ce texte applicable, et non à réglementer l'ensemble de l'économie. Une « soviétisation » de celle-ci est d'autant moins à craindre que la définition jurisprudentielle des biens de première nécessité est très restrictive.

En revanche, le prix des produits de consommation courante fera l'objet d'une négociation annuelle obligatoire avec l'ensemble des acteurs, sous l'autorité des préfets et dans le cadre des observatoires des prix, des revenus et, peut-être, des marges. On sait que la grande distribution prétend que ses marges sont faibles en dépit de prix élevés : la comparaison avec les moyennes du secteur permettra à l'Autorité de la concurrence de définir de façon objective la notion de « prix élevé ».

Il s'agit donc d'un texte clair, facilement applicable et sans caractère inquisitorial, contrairement à ce que d'aucuns prétendent. Nous sommes dans un État de droit, où le principe du contradictoire et les garanties procédurales sont strictement respectés.

En matière de définition des secteurs, l'expertise de l'Autorité de la concurrence est incontestable, et un décret apportera les précisions nécessaires, étant entendu qu'on ne peut comparer que ce qui est comparable.

L'article 11 bis n'est pas un cavalier législatif : il relève bien de la régulation économique, puisqu'il s'agit de préciser le rôle du président du tribunal de commerce en la matière. Je reconnais qu'il convient de préciser le dispositif, et nous travaillons à un amendement prévoyant une expérimentation pendant trois ans.

Je vous remercie, monsieur Letchimy, d'avoir dit ce qu'il en était de l'article 5 : c'est une arme ultime de dissuasion, qui n'a pas vocation à s'appliquer au cas où le comportement incriminé deviendrait vertueux. Je vous rappelle qu'aux termes de l'article 752-26, l'entreprise en cause n'est passible d'une sanction que si elle refuse de se conformer aux recommandations de l'Autorité de la concurrence.

Je viens de recevoir une délégation rassemblant tous les élus des îles Wallis et Futuna. J'ai appris que l'électricité y était la plus chère du monde, alors que les revenus sont très faibles : le minimum vieillesse est de 121 euros ! Vous comprenez bien que dans ces conditions l'ordonnance portant adaptation de la législation relative au service public de l'électricité dans le département de Mayotte n'est pas transposable en l'état à Wallis et Futuna. Mais si nous sommes incapables de trouver le moyen de venir en aide à 13 500 concitoyens, c'est à désespérer de la République. Nous comptons donc engager dès la fin de l'année la concertation avec les distributeurs et avec le commerce de détail. L'ordonnance relative à Wallis-et-Futuna devra porter sur l'électricité et sur le fret maritime et aérien.

L'objectif de ce texte est de réarmer un État qui, en dépit des manifestations qui ont secoué tous les outre-mer, s'est révélé incapable d'encadrer les prix à l'exception des carburants. Mais alors qu'en métropole, la marge est d'un centime par litre de carburant pour les détaillants et de 0,4 centime pour les grandes surfaces, les distributeurs d'outre-mer réalisent des marges de neuf, dix, douze centimes. Cela signifie que l'État garantit des rentes de monopole : il y a là pour moi quelque chose d'inacceptable, non pas seulement du point de vue moral, mais du simple point de vue de la logique économique.

Sur la question des CCI, il faut avancer, quitte à accepter quelques compromis raisonnables.

Monsieur Gomes, merci de votre intérêt pour ce texte. J'ignorais que la Nouvelle-Calédonie mangeait le cinquième Big Mac le plus cher de la planète : voilà un exemple parlant, dont je prends connaissance avec gourmandise !

Sur la tarification bancaire, qui est une compétence de l'État central, nous préparons une réponse, mais cela pose quelques problèmes juridiques. S'agissant de l'autorité locale de la concurrence que vous souhaitez, nous pourrions certes la créer dans le cadre de la loi actuelle, mais cela amoindrirait ses pouvoirs. Nous vous suivrons donc, car il serait effectivement bon que cette autorité puisse constater et sanctionner de manière vraiment indépendante.

Beaucoup de députés demandent, comme vous, un contrôle des entreprises, ou des groupes d'entreprises, qui deviendraient majoritaires sur leur marché – un député de La Réunion avait proposé une barre à 25 % de parts de marché, vous proposez 30 %, d'autres ont proposé 50 %. Nous sommes ouverts sur cette question, mais il faudrait un avis, une recommandation car nous devons éviter d'entraver la liberté du commerce ou de sanctionner le travail et la réussite ! Nous ne voulons éliminer que les comportements fautifs, les dysfonctionnements du marché.

Madame Girardin, merci de votre soutien. Vous avez raison : les observatoires des prix et des revenus n'existent qu'outre-mer, et cette enquête sur les revenus est d'ailleurs assez inquisitoriale ; cela avait été mis en place pour supprimer la sur-rémunération. J'étais donc pour ma part favorable à la dénomination figurant dans la loi de modernisation de l'économie, celle d'observatoires des prix et des marges.

Il faut effectivement donner à ces OPR les moyens de travailler – ce n'est pas le cas aujourd'hui. L'INSEE pourrait également être renforcée pour contribuer à leurs investigations. Ces observatoires ne disposent pas aujourd'hui de la personnalité morale : il sera donc difficile de leur donner un pouvoir de saisine ; il ne serait de toute façon pas opportun de multiplier les instances disposant de ce pouvoir. Nous y reviendrons.

Vous souhaitez que les ordonnances soient prises sans dénaturer l'esprit du texte. Je comprends votre souci mais l'administration est compétente, elle fait bien son travail, et je ne lui ferai pas ce procès.

Monsieur Azerot, merci de votre soutien. Ce texte n'est, c'est vrai, qu'une première étape. Les suivantes exigeront plus de temps : il faudra en effet se pencher sur la situation de chaque secteur, notamment de ceux où il existe un monopole – transport maritime, transport aérien, carburant, fret, manutention portuaire...

Nous espérons régler la situation de la grande distribution plutôt par voie contractuelle, grâce à la modification par ce projet de loi de l'article 1er de la LODEOM. Nous n'en arriverons à réglementer plus fortement qu'en cas de crise ou de difficulté d'approvisionnement.

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