Intervention de Victorin Lurel

Réunion du 2 octobre 2012 à 21h00
Commission des affaires économiques

Victorin Lurel, ministre des outre-mer :

En réponse à Mme Vautrin et à M. Fasquelle, qui reprochent au texte une imprécision dans les termes, je rappelle tout d'abord que l'expression « préoccupation de concurrence », qui traduit l'anglais « competition concern », figure déjà à l'article L. 464-2 du code de commerce, aux termes duquel « l'Autorité de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. Elle peut aussi accepter des engagements proposés par les entreprises ou organismes et de nature à mettre un terme à ses préoccupations de concurrence susceptibles de constituer des pratiques prohibées visées aux articles L. 420-1, L. 420-2 et L. 420-5 ». L'expression est également consacrée par la Cour de cassation. Le texte est en outre validé par l'assemblée du Conseil d'État et a été soumis à l'Autorité de la concurrence : il ne s'agit donc nullement d'une formule que nous aurions rédigée à la hâte sur un coin de table.

L'introduction de la notion d'« accords » pourra faire l'objet d'un examen.

Quant à l'expression « facilités essentielles », il s'agit certes d'un terme franglais, qui correspond à l'anglais « facilities », mais un aéroport ou des cuves de stockage – comme celles de la Société réunionnaise de produits pétroliers (SRPP) à La Réunion ou celles de la Société anonyme de la raffinerie des Antilles (SARA) – n'en sont pas moins des « facilités », mises en place avec de l'argent public.

On paie à la SRPP un droit de passage qui pèse sur le prix du carburant. Déterminé en métropole par l'offre et la demande, ce prix l'est outre-mer en fonction des marges fixées par arrêté préfectoral – ce qui permet à certaines stations-service de réaliser des profits considérables. Il faut donc introduire plus de concurrence pour faire baisser les prix.

S'il n'est pas possible de fixer à cet égard un objectif unique valable pour tous les territoires – pratique qui relèverait de l'économie administrée –, le texte donne à l'État des moyens inédits qui lui permettront d'intervenir là où il ne pouvait plus le faire depuis l'ordonnance Balladur de 1986, même s'il n'est pas question aujourd'hui d'encadrer à nouveau les prix. Il faut sortir de l'impuissance constatée lors des émeutes provoquées par l'augmentation du prix du carburant. Nous examinerons donc la situation du carburant, du fret et de la production locale.

À cet égard, du reste, un texte relatif à la fiscalité est en préparation afin de permettre aux collectivités d'outre-mer de disposer des recettes suffisantes tout en assurant une baisse des prix. Cela suppose toutefois que les baisses en amont soient répercutées, comme le demandait précédemment un amendement de M. Letchimy. Il faut pour cela recourir au droit civil, qui prévoit la « répétition de l'indu ». Lorsque j'étais président de région, face au refus systématique de l'État de diminuer la TVA sur les produits de première nécessité, j'ai réduit de 10 millions d'euros les recettes de la collectivité, mais cette baisse n'a pas été répercutée en aval : cette captation indue aurait dû pouvoir donner lieu à une action civile. La répétition de l'indu, qui ne figure pas dans le texte, pourrait donc y être introduite par un amendement prévoyant que les baisses engrangées soient répercutées en totalité ou en partie.

Le projet de loi vise à s'assurer que les structures existantes fonctionnent et qu'elles ne génèrent pas de marges élevées. Depuis les mouvements sociaux, certains monopoleurs, comme la SARA, ont décidé de ne plus publier leurs comptes, préférant payer des amendes – du reste peu élevées – ou déclarer leur siège social en métropole pour compliquer la recherche des extraits Kbis par le greffe. Face à ces sociétés qui se retranchent derrière le « secret commercial », nous devons réagir. Certains amendements déposés visent à faire connaître les prix d'achat et les prix de vente, mais il serait difficile de suivre des centaines de produits. Il faut, en revanche, adopter des formulations assez précises pour permettre de déclencher l'action publique.

Plus que les moyens des observatoires des prix, ce sont ceux de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et des directions départementales de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DDCCRF), privées de leurs agents par la révision générale des politiques publiques (RGPP), qu'il faut augmenter. La population doit pouvoir observer les baisses et les agents de la DGCCRF doivent pouvoir constater et sanctionner.

Le contentieux lié aux avis de l'autorité de l'Autorité de la concurrence étant un contentieux judiciaire, jugé par la Cour d'appel de Paris, il serait possible de prévoir par amendement que le contentieux lié à l'action de la DGCCRF relève lui aussi des tribunaux civils, et non administratifs. Il suffit de peu d'agents pour assurer le contrôle – en Martinique, il en faudrait un seul pour suivre 200 produits. L'envoi des listings informatiques indiquant les prix des produits figurant dans le chariot-type défini avec le préfet permettrait un contrôle mensuel et ferait apparaître la chronique des fluctuations de prix.

Le projet de loi qui vous est soumis est une boîte à outils : après le vote, il y aura encore beaucoup à faire. Il faudra, par exemple, demander à CGA CGM, qui est en situation de quasi-monopole, de réduire ses marges, ce qui sera difficile dans une économie de liberté, mais le texte permettra au préfet, si le dialogue n'aboutit pas, de prendre une décision par arrêté.

Pour ce qui est de l'accès à l'Internet, Madame de La Raudière, les régions se sont substituées à l'État pour assurer le désenclavement numérique et prennent les devants pour définir des schémas directeurs d'aménagement numérique, dont le Grand emprunt permettra peut-être d'alléger le coût des opérations – qui a été de 29 millions d'euros pour la région Guadeloupe. Une société qui assurait le transit IP pour toute la Caraïbe et jusqu'à Miami, a été chargée, au titre d'un traité de concession, du désenclavement numérique. Nous avons fait descendre le prix, qui était de 2 000 euros par mégabit par seconde et par mois, à 375 euros puis, au terme de deux négociations, à 80 euros. Or, malgré les discussions menées avec les fournisseurs d'accès à Internet, ceux-ci ont capté la marge. C'est là encore un cas où la répétition de l'indu serait bienvenue.

Le texte vise à donner aux consommateurs le contre-pouvoir qui leur manque dans nos régions et à les inciter à s'occuper de ce qui les concerne. Il conviendrait de libéraliser les agréments d'associations de consommateurs, de recourir à des centres régionaux techniques de la consommation (CTRC) et de demander à Outre-mer Première de consacrer des émissions à la consommation.

L'urbanisme commercial pourra faire l'objet d'un amendement, mais une telle démarche est parfois à double tranchant. Il convient de trouver un équilibre dans le texte pour ce qui concerne notamment la délivrance des permis d'extension par la commission départementale d'aménagement commercial.

Monsieur Gibbes, pour avoir été moi-même député de Saint-Martin et Saint-Barthélemy jusqu'en juin dernier, je connais le sujet : Saint-Martin a certes pris son autonomie sous le régime législatif défini par l'article 74 de la Constitution, mais les compétences limitées adoptées par cette collectivité permettent que le présent texte s'y applique. Le préfet pourra donc, le cas échéant, inviter les distributeurs à la modération.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion