Mes propos liminaires ne concernaient que les résultats du Conseil européen, mais il est naturel que l'actualité nous conduise à élargir le champ de nos échanges.
Plusieurs députés se sont ainsi interrogés sur l'élargissement. S'agissant de la Croatie, je me réjouis que le processus soit allé à son terme. Mais je rappelle qu'il avait commencé il y a treize ans – même si les négociations formelles n'ont été entamées qu'en 2005. Beaucoup de temps se passe entre l'expression du souhait de rejoindre l'Union européenne et la possibilité d'une intégration. À partir du moment où une candidature est acceptée, des discussions ont lieu sur les trente-cinq chapitres de l'acquis communautaire. Pour chacun des secteurs considérés, le pays candidat doit montrer qu'il répond à certains critères qualitatifs. Tant que ce n'est pas le cas, il ne peut y avoir d'adhésion.
Enfin, la Croatie est le dernier pays candidat à avoir bénéficié de l'ancienne procédure, plus souple, de ratification d'un traité relatif à l'adhésion d'un État à l'Union européenne. C'est en effet vous-mêmes, parlementaires, qui avez autorisé son adhésion, par un vote dont le caractère unanime a d'ailleurs été remarqué au niveau international. Mais désormais, pour qu'un projet de loi autorisant la ratification d'un tel traité soit adopté par le Parlement, il faudra réunir la majorité des trois cinquièmes dans chacune des chambres, ainsi qu'au Congrès.
J'en viens au partenariat oriental. Du fait de son histoire, celle d'un pays qui n'a pas connu une liberté comparable à la nôtre au cours des dernières décennies, il est compréhensible que la Lituanie, devenue présidente de l'Union, souhaite s'adjoindre des partenaires susceptibles de l'arrimer définitivement dans une Europe élargie à l'Est. En novembre, un sommet sera d'ailleurs organisé à Vilnius sur cette question. On y parlera notamment de la Biélorussie, de l'Ukraine, de la Géorgie, de la Moldavie. Mais nous avons clairement tracé la ligne rouge à ne pas franchir : pour que ce sommet soit un succès pour nos amis lituaniens, il faut que nous connaissions des avancées dans la coopération avec ces pays sans pour autant laisser penser qu'elles pourraient déboucher sur une perspective européenne – c'est-à-dire, pour être clair, sur des adhésions.
Cela étant, il est possible de travailler sur de nombreux sujets : assouplissement de la politique des visas à l'égard de pays ayant connu des avancées sur le plan démocratique, approfondissement des relations commerciales… Mais nous ne sommes pas dans une perspective d'élargissement de l'Union européenne aux États concernés par le partenariat oriental.
Nous devons toutefois raffermir nos liens avec ces pays, si nous ne voulons pas les voir se tourner vers une autre partie du monde et délaisser l'Europe. En effet, chaque fois que des États – notamment dans les Balkans – ont connu des avancées dans leurs relations avec l'Union européenne, on y a vu progresser la démocratie. C'est un phénomène dont on ne peut que se louer. Vitali Klitschko, une des figures de l'opposition ukrainienne, disait lui-même qu'il ne fallait pas leur fermer la porte, car la perspective de rejoindre l'Union est, pour les gouvernements de ces pays, une incitation à adopter des règles plus respectueuses de la démocratie, plus proches des normes européennes.
Cela m'amène à la situation de la Turquie. Bien entendu, tout démocrate ne manque pas d'être interpellé par ce qui s'y passe. Certains ont regretté l'absence de réaction de la France, mais Laurent Fabius, notamment, a eu des mots très fermes, condamnant l'usage excessif de la force à l'encontre des manifestants de la place Taksim. J'ai moi-même dit à mon homologue, M. Egemen Bağış, qu'il ne pourrait y avoir entrée dans l'Union si nous avons le sentiment que son pays, au-delà des réformes économiques qu'il mène depuis quelques années, n'adhère pas aux valeurs de l'Europe, dont font partie la liberté d'expression et le respect de l'État de droit. Je précise que les discussions n'ont pas encore été ouvertes sur ce chapitre ; elles n'ont été ouvertes que sur celui des politiques régionales.
Par ailleurs, au cours du conseil des affaires générales, qui a précédé de deux jours le Conseil européen des chefs d'État, les Vingt-sept ont décidé à l'unanimité – y compris Chypre, donc – de maintenir le dialogue avec la Turquie, afin d'éviter qu'elle ne s'enfonce dans un nationalisme exacerbé. Certains estimaient que les manifestants eux-mêmes, souvent favorables à l'Union, n'accepteraient sans doute pas de voir s'éloigner la perspective européenne. Pour eux, au moins, il convient de ne pas fermer la porte.
Quant à l'affaire PRISM, elle n'était évidemment pas à l'ordre du jour du Conseil européen, mais lundi matin, à l'occasion d'une réunion avec Mme Reding consacrée à la protection des données, j'ai suggéré que le Comité des représentants permanents, qui se tiendra jeudi, soit le lieu d'un dialogue et de l'élaboration d'une expression commune des membres de l'Union sur ce sujet. Il convient en effet de condamner unanimement ces pratiques, inacceptables entre partenaires. Vivian Reding a elle-même jugé nécessaire d'adopter une attitude commune plutôt que de laisser les uns et les autres s'exprimer trop rapidement.
A posteriori, cela donne d'ailleurs raison à la France d'avoir tenu bon sur la question de l'exception culturelle, laquelle va bien au-delà de la culture et concerne également les réseaux de télécommunication.
De même, ce soupçon d'espionnage nous incite à être encore plus vigilants dans le suivi des discussions – qui n'ont pas encore commencé – entre la Commission et les États-Unis sur l'accord de libre-échange. Un état des négociations nous sera ainsi adressé chaque semaine. Nous devons être très fermes.
S'agissant des contrats de compétitivité et de croissance, madame la présidente, le dernier Conseil européen ne les a pas encore mis en place. La décision sera prise en décembre, car des questions doivent encore être résolues, portant sur la nature, le contenu et les procédures d'élaboration de ces contrats. Nous voulons qu'ils reposent sur des engagements politiques, et que leur contenu concerne non seulement les réformes, mais aussi les dépenses d'avenir. Les décisions qui seront prises devront par ailleurs avoir fait l'objet de discussions au sein des parlements nationaux. Enfin, il reste à déterminer la forme de soutien financier dont bénéficieront les États dans le cadre de ces contrats, et la nature du fonds sollicité. Cela renvoie à la question de la mise en place de la taxe sur les transactions financières et de son affectation, ou à la création d'une taxe carbone, dont le produit alimenterait un fonds de la zone euro.
Plusieurs questions ont été posées sur le Fonds européen de développement régional – FEDER. Comme je l'ai indiqué, la France a presque atteint en 2012 un taux de consommation de crédits de 90 %. Au vu du montant des crédits programmés pour 2013, soit 2,1 milliards d'euros, on peut estimer que la quasi-totalité des fonds attribués à la France sur la période 2008-2013 a été consommée. Quelques dizaines de milliers d'euros ont pu, toutefois, être réaffectés, au bénéfice presque exclusif du ministère de l'éducation nationale, et en particulier de l'équipement numérique des établissements scolaires. Côté FEDER, il ne reste donc plus rien.
En revanche, du côté de la BEI, d'importants crédits restent disponibles, soit pour le secteur privé, soit pour le secteur public. Je sais, cependant, que leur existence reste méconnue. Le ministre de l'économie et des finances a d'ailleurs prévu d'informer à ce sujet les acteurs du monde économique comme le MEDEF ou le réseau des chambres consulaires.
Par ailleurs, je n'ai pas encore évoqué un autre aspect du pacte européen pour la croissance et l'emploi : les projects bonds, obligations émises au niveau européen pour financer de grands projets. Nous nous situons à cet égard dans une phase pilote. La France a proposé quatre dossiers, instruits par la BEI : deux concernent la numérisation de territoires – Auvergne et Haute-Savoie –, et deux autres des infrastructures autoroutières – un barreau entre Saint-Étienne et Lyon et une autoroute dans la région Poitou-Charentes. La semaine dernière, la BEI a accepté six projets présentés par d'autres pays, dans des domaines très différents, tels que le développement durable, avec le raccordement électrique d'un champ d'éoliennes.