Intervention de Michel Ménard

Réunion du 10 juillet 2013 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Ménard, rapporteur :

Monsieur le président, madame la présidente de la mission, je me félicite tout d'abord de l'esprit dans lequel nous avons travaillé avec les autres membres de la mission. Afin de faciliter l'accès des mineurs aux loisirs et aux vacances, les associations d'éducation populaire plaident depuis longtemps en faveur de l'instauration d'un volontariat de l'animation. En 2012, des députés du groupe SRC avaient déposé une proposition de loi en ce sens. La mission d'information avait donc pour objectif initial de préciser les conditions dans lesquelles pourrait être mis en place ce volontariat. Notre champ d'investigation a été d'emblée élargi afin de dresser un état des lieux des accueils collectifs de mineurs avec hébergement. Cet état des lieux a commencé par un constat, étayé par les statistiques officielles et les témoignages des associations d'éducation populaire. Depuis 1995, la fréquentation des séjours de vacances de plus d'une semaine n'a cessé de chuter. Parallèlement, on observe que les enfants de moins de douze ans ont plus tendance à fréquenter les centres de loisirs de leurs communes et que les jeunes des classes moyennes ne partent plus en colonies de vacances. La mission s'est également intéressée aux classes de découvertes, complémentaires, pendant le temps scolaire, des séjours collectifs. Elles connaissent la même désaffection.

Cette désaffection affaiblit la connaissance de notre pays par ses jeunes générations. L'éducation citoyenne, l'émancipation des vacanciers et des jeunes qui les encadrent, la découverte et l'aventure collective, qui sont des vertus propres aux séjours collectifs, en souffrent. La désaffection des colos a partie liée avec une évolution de la société. Les parents ont peur de confier leurs enfants les plus jeunes à des organisateurs de séjours. Quand ils acceptent de les voir passer la nuit hors du domicile, l'éloignement doit être compensé par un compte rendu permanent de leurs activités par téléphone. Ils sont moins réticents à laisser partir les plus grands mais craignent qu'ils s'ennuient ou fassent de mauvaises rencontres. Ils invoquent une discipline collective des colos qui serait trop rigide. Ils finissent par penser que les adolescents ont mieux à faire et ajoutent que, de toute façon, les séjours collectifs sont trop chers. La tendance dominante est donc au repli sur soi des familles, des collectivités locales et des entreprises. Le seul frein à cette tendance semble être la consommation à forte dose d'activités intensives, pendant de courtes périodes.

Désormais, les enfants et les jeunes partent moins loin, moins longtemps, moins souvent. Quand ils partent, c'est entre eux, en petits groupes, attirés par des activités à la mode, repérées dans des catalogues commerciaux. Face à ce nouveau modèle de séjours, les colos paraissent condamnées. Pour comprendre les raisons de leur désaffection, la mission en a d'abord examiné les différentes causes. Elle a ensuite cherché à mesurer les conséquences, pour la jeunesse, d'une disparition possible des vacances collectives de mineurs, en dépit de leur utilité sociale et de leur importance dans l'économie du tourisme social.

La première cause unanimement avancée pour expliquer la baisse de fréquentation des séjours est la hausse de leur coût pour les familles. Ces familles sont confrontées à la fois à une augmentation du prix des séjours et à une baisse des aides sociales, qui prenaient en charge une partie de ce prix.

Du côté de la hausse des prix, celle des transports a été souvent citée, qu'il s'agisse des trajets par car ou par train. La SNCF a reconnu que, depuis 2006, les conditions de réservation des voyages en groupe avaient été durcies. Le coût de l'encadrement des séjours et en particulier celui du contrat d'engagement éducatif est revenu très souvent dans les témoignages. Cependant, c'est surtout l'empilement des contraintes légales, administratives et réglementaires, ajoutées les unes aux autres pour garantir la sécurité des séjours et la mise aux normes des installations recevant du public, qui expliquent en grande partie la hausse du prix des séjours.

Cette hausse des prix s'est ensuite alimentée elle-même. La baisse de fréquentation des séjours de deux à trois semaines a placé les organisateurs associatifs dans des conditions économiques de plus en plus difficiles et les a contraints à monter en gamme. Les séjours vendus plus chers permettent en effet le maintien d'une offre moins onéreuse pour les familles modestes. Cet équilibre a été fragilisé par l'irruption d'opérateurs privés qui ont pris position sur les séjours de vacances pour mineurs, désormais considérés par la jurisprudence comme un marché concurrentiel. Ces opérateur ont contribué à « écrémer » la part la plus rentable de la clientèle, enfermant souvent les anciennes associations dans le caritatif et l'accueil de loisirs. Enfin, la hausse des prix s'est accompagnée d'une diminution de l'offre de séjours, entretenue par la fermeture d'un grand nombre d'anciens centres de vacances installés sur tout le territoire. En découvrant le montant des devis correspondant aux diagnostics d'accessibilité de leurs centres, beaucoup de propriétaires, comités d'entreprise, associations et collectivités, ont choisi de fermer les locaux, de vendre les terrains à des promoteurs et de passer par des appels d'offres auprès d'opérateurs intermédiaires pour reconstituer un catalogue de séjours. Ils n'avaient pas les moyens d'investir dans de lourds travaux de rénovation.

Pour ne rien arranger, alors que les coûts des séjours commençaient à augmenter, les aides distribuées par les caisses d'allocations familiales et les municipalités en faveur du départ des mineurs en séjours collectifs de vacances ont été quasiment supprimées au milieu des années 1990. Elles ont été remplacées par des subventions de fonctionnement versées aux accueils de loisirs sans hébergement qui connaissent un succès croissant sur l'ensemble du territoire.

Le choix d'abandonner les départs en vacances loin des villes pour ouvrir, toute l'année, des accueils de loisirs dans les zones urbaines et péri-urbaines de résidence des jeunes a rompu les liens établis, dès les premiers départs en colos, entre les jeunes des villes et les communes rurales ou touristiques qui les accueillaient. Ce choix a eu des conséquences défavorables sur l'économie du tourisme social. Il a aussi changé le mode d'encadrement des séjours en promettant aux animateurs occasionnels des centres de vacances un emploi à l'année dans les centres de loisirs, plus professionnel et mieux rémunéré. Pour les associations d'éducation populaire, le choix social qui a été fait de privilégier l'accueil périscolaire de proximité au détriment des anciennes colonies de vacances a empêché la participation de nombreux mineurs à des séjours collectifs de vacances.

L'affaire du temps de repos des animateurs sous contrat d'engagement éducatif a été la norme de trop qui a provoqué une révolte dans le monde des colos et a ouvert une réflexion collective sur leur avenir. Appartiennent-elles au passé de l'éducation populaire en France ? Certains opérateurs économiques voudraient nous le faire croire. Ils trouvent des relais dans les ministères pour qualifier de passéiste et de ringarde l'offre de séjours éducatifs présentée par des associations d'éducation populaire pour la plupart centenaires. Il serait temps pour elles de changer d'orientation. Les unes s'engageraient dans l'accueil de loisirs de proximité, fortement subventionné. D'autres reviendraient aux opérations caritatives en faveur des enfants des quartiers pauvres, envoyés autrefois passer le mois d'août au grand air. D'autres encore se feraient une spécialité des séjours de vacances pour enfants ou adultes handicapés. Hors ces trois segments de marché, il n'y aurait plus de place pour des séjours collectifs associatifs, rassemblant des jeunes de plusieurs classes d'âges et de milieux sociaux différents autour d'activités sans thématique particulière.

Les enfants des classes populaires et moyennes n'auraient plus leur place dans les séjours de vacances et ne connaîtraient plus désormais que des vacances familiales. Les enfants des milieux pauvres qui ne partent pas en voyage en famille partiraient un fois tous les deux ou trois ans dans les centres d'été agréés, aux frais des caisses d'allocations familiales. Pour les enfants des milieux aisés, qui partent déjà beaucoup en vacances en famille, place aux séjours à thème et aux camps itinérants à l'étranger, organisés par des opérateurs à but lucratifs qui visent une clientèle très restreinte, capable de débourser 1 000 à 1 500 euros pour payer une semaine de vacances à leur enfant. Et pas question pour les associations subventionnées, non soumises à l'impôt, de convoiter cette clientèle, sous peine de recours en justice pour concurrence déloyale

Voici le résumé des causes sociales et économiques de la baisse du taux de départ des mineurs en séjours collectifs et l'avenir promis à leurs organisateurs. Le constat étant posé, reste une question : l'État et les financeurs sociaux doivent-ils continuer de privilégier les accueils de loisirs de proximité et abandonner les séjours collectifs de vacances au sort que leur réservent les lois du marché et la segmentation en cours des clientèles ? Je ne le pense pas. Cela reviendrait à renoncer à imposer aux séjours de vacances pour mineurs des exigences de mixité sociale ou territoriale voire éducative et à les laisser devenir un produit commercial comme un autre. Or, les colonies de vacances associatives ont un rôle clé à jouer, que ce soit pour la cohésion sociale du pays, l'économie du tourisme social, l'éducation à la citoyenneté et pour l'émancipation des jeunes et la garantie d'un droit aux vacances pour tous.

Pour que ce rôle soit reconnu à sa juste valeur, je vous livre ici quelques-unes des propositions de mon rapport. Je soutiens qu'un peu de solidarité de la part de la clientèle aisée des séjours de vacances envers les millions d'enfants français qui ne partent pas en vacances ou qui n'ont d'autre choix que les vacances en familles serait bienvenu dans les conditions économiques actuelles. C'est pourquoi j'ai repris la proposition faite par la Ligue française de l'enseignement de rétablir une taxe sur l'hôtellerie de luxe afin de financer un fonds national d'aide aux départs en vacances collectives des mineurs. Ce fonds doit être la première pierre d'une politique ambitieuse d'éducation populaire pour la jeunesse qui prenne le relais, pendant les vacances, de l'école dont la refondation a été voulue par le Gouvernement.

Cette politique aurait d'abord pour but de soutenir les colos associatives en baissant le coût des séjours. Ensuite, en regroupant les associations organisatrices autour de quelques fédérations et en soustrayant le secteur des vacances collectives de mineurs comme celui des accueils périscolaires de loisirs aux contraintes du marché, cette politique ferait des colos un secteur phare de l'économie sociale et solidaire et d'une éducation populaire complémentaire de l'instruction scolaire.

Pour faire baisser le prix des séjours, regagner les classes moyennes et préserver la mixité sociale des séjours, il faut agir sur le coût de transport et sur l'hébergement. La SNCF s'est engagée à revoir son offre commerciale faite aux groupes de jeunes. J'ai insisté pour que cette offre s'adresse aux douze-seize ans, qui sont désormais la première clientèle des colos. Les associations, de leur côté, cherchent de nouveaux modes d'hébergement à moindre coût dans les zones convoitées. Le rapport propose de leur ouvrir les internats scolaires pendant les vacances.

Une fois les coûts stabilisés, il est encore possible d'en diminuer la charge pour les familles en utilisant deux dispositifs, celui des chèques-vacances, qui devraient être distribués dans les petites entreprises et bonifiés pour l'achat d'un séjour collectif et celui des fonds d'action sociale de la branche famille, destiné aux temps libre des jeunes. À l'heure actuelle, ces fonds ne vont plus vers les colos mais uniquement vers les accueils de loisirs, qui ne sont pas fréquentés par les plus de douze ans ou très peu. Un fléchage de ces fonds vers les séjours de vacances devrait les rendre à nouveau accessibles à de nombreuses familles à revenus modestes.

Les travaux de la mission ont souligné une perte de confiance de ces familles à l'égard des organisateurs de séjour. Elle s'explique à la fois par des craintes infondées et par une méconnaissance du monde associatif et des vertus de l'éducation populaire. Je préconise de rétablir un partenariat étroit entre le ministère des sports et de la jeunesse, chargé de l'éducation populaire, et les principales fédérations associatives afin de valoriser davantage leur apport à l'éducation des jeunes, si possible de les soustraire aux contraintes du marché et des appels d'offres et de faire connaître leurs projets pédagogiques dans les municipalités et les écoles.

Le principal instrument de cette politique serait le projet éducatif territorial, partie intégrante de la loi sur la refondation de l'école. Pour intégrer les colos et les classes de découvertes dans les projets éducatifs territoriaux, il serait nécessaire d'associer les collectivités, qui font partir des jeunes, à celles qui les accueillent. Des conventions spécifiques passées entre les communes, les caisses d'allocations familiales et l'État et jointes aux projets territoriaux, partageraient le coût des séjours et du transport ainsi que les aides aux familles.

En complément de cette politique de valorisation de l'éducation populaire, l'engagement éducatif des jeunes animateurs qui ne souhaitent pas, pour autant, faire carrière dans les métiers de l'animation serait reconnu par l'État, grâce à l'instauration du volontariat de l'animation. Ce volontariat serait régi par une charte. Il serait réservé à l'encadrement occasionnel, auprès d'organismes sans but lucratif, d'accueils collectifs de mineurs avec hébergement et de séjours de vacances adaptés pour les personnes handicapées. Il s'exercerait tout au long de la vie pendant une durée annuelle limitée et fractionnable. Il donnerait lieu à une formation, à une indemnisation et à une protection sociale du volontaire.

Ce volontariat serait nettement distingué des métiers de l'animation, entre autres par l'absence de lien de subordination du volontaire à son tuteur et au directeur du centre. Concernant les métiers de l'animation, le rapport encourage une professionnalisation dans les accueils de loisirs sans hébergement et dans le secteur des séjours thématiques commerciaux.

Les opérateurs privés tentent actuellement de capter la clientèle la plus aisée des séjours collectifs de mineurs en l'attirant par des activités consuméristes et des escapades coûteuses à l'étranger, parfois sous prétexte de séjour linguistique. Alors que ces séjours commerciaux ne sont soumis à aucune obligation de mixité sociale et à peu de contrôles, ils bénéficient du régime préférentiel du contrat d'engagement éducatif (CEE) qui devait être initialement réservé aux séjours éducatifs. Compte tenu des dégâts faits par ce contrat dans l'économie des accueils de mineurs et dans la fréquentation des séjours collectifs, il est temps d'envisager son abrogation. Le Gouvernement hésite encore à franchir le pas. Le rapport préconise de l'informer plus précisément des conséquences défavorables du CEE sur l'organisation des séjours de vacances mais aussi sur l'économie du tourisme social.

Ces pistes ne sont qu'un aperçu de l'ensemble de celles contenues dans mon rapport, au nombre de vingt et une, pour des colos totalement en phase avec le XXIe siècle.

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