Intervention de Pierre-Alain Muet

Réunion du 10 juillet 2013 à 17h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre-Alain Muet, président :

Monsieur le Rapporteur général, vous avez évoqué les rulings luxembourgeois. D'autre pays, comme les Pays-Bas, où nous nous sommes rendus, les pratiquent également. L'administration fiscale néerlandaise nous a assuré qu'un tel dialogue avec les entreprises était très utile et permettait de mieux suivre leur activité. Il est vrai toutefois que ce type de pratiques peut parfois aboutir à un moindre degré d'exigence de la part de l'administration, notamment en termes de contrôle. La proposition n° 4 me semble effectivement très importante à mettre en oeuvre. Le seul risque est celui du paiement d'intérêts moratoires plus élevés si in fine le redressement n'a pas lieu. Toutefois je pense que le bilan coûtsavantages plaide en faveur de cette proposition.

Madame Mazetier, nous avons écarté la taxe « prédateur-payeur » évoquée par MM. Collin et Colin car il s'agit d'une taxe d'attente. Or je le répète, le véritable enjeu est de reconstituer la base de l'impôt sur les sociétés, notamment grâce à la notion d'établissement stable virtuel et à la mise en oeuvre d'une initiative de type ACCIS dans le secteur du numérique. En outre la taxe « prédateur-payeur » serait extrêmement difficile à mettre en oeuvre. Cette taxe est incitative, elle aurait donc le mérite de modifier les comportements des entreprises du numérique en les poussant à une utilisation « vertueuse » des données des utilisateurs. Mais l'ensemble des personnes interrogées – y compris les inventeurs de cette taxe – ignorent comment traduire concrètement cette idée. Par ailleurs, je continue à penser qu'il ne faut pas traiter le cas du numérique à part. Certes les entreprises de ce secteur peuvent recourir plus facilement à l'optimisation, du fait notamment de la nature de leurs actifs, largement immatériels. Mais elles utilisent en réalité les mêmes schémas d'optimisation que les entreprises « traditionnelles », telle que la société citée par le Rapporteur général. Notre volonté est que l'impôt sur les sociétés reprenne tout son sens dans une économie mondialisée et, de plus en plus, « digitalisée ». La question du seuil de chiffre d'affaires au-delà duquel une entreprise est soumise à l'obligation de documentation des prix de transfert est intéressante. Les services en charge du contrôle fiscal n'ont pas soulevé ce problème particulier, mais la question mérite sans doute d'être creusée. Il est vrai que la notion de « comptabilité analytique » est relativement peu documentée en droit français. Il est tout aussi vrai que, lorsqu'elle existe et qu'elle est transmise au contrôle fiscal, elle s'avère d'une aide précieuse pour celui-ci. Concernant la déclaration préalable des schémas d'optimisation, il conviendra évidemment de définir et d'encadrer précisément la procédure – juridiquement, qu'est-ce qu'un « schéma d'optimisation » ? À partir de quel seuil un schéma confère-t-il un avantage « substantiel » ? Sur qui doit peser l'obligation de déclaration ? etc. – mais une telle ambition ne semble pas hors de portée dès lors que certains pays ont mis en place des procédures analogues.

M. Grandguillaume, nous avons auditionné l'APE et avons été un peu surpris de constater que l'optimisation fiscale ne faisait pas partie de ses préoccupations. Il nous a clairement été répondu qu'une « muraille de Chine » existait entre l'État actionnaire et l'État contrôleur fiscal, alors même que ces deux fonctions sont assurées par des services appartenant à la même administration. À notre sens, le civisme fiscal doit être partagé par l'ensemble des administrations publiques, et a fortiori par une administration du ministère des Finances. C'est ce qui justifie nos propositions en ce sens. Pour reprendre une expression du rapport, nous sommes parfois en présence d'un « État-Janus » qui peut afficher des aspirations contradictoires. On retrouve de tels comportements à l'étranger : ainsi le Royaume-Uni est très volontariste sur la lutte contre l'optimisation fiscale alors que, parallèlement, la législation britannique regorge de dispositifs fiscaux incitatifs qui permettent une telle optimisation. En effet, chaque État souhaite, d'une part, retenir ses ressources fiscales et, d'autre part, attirer des entreprises par des dispositions qui favorisent l'optimisation.

M. Cherki a insisté sur la proposition relative à la redéfinition de l'abus de droit. Il s'agit en effet de préciser clairement la portée de l'adverbe « principalement ». Au niveau européen, la Commission encourage l'adoption d'une règle anti-abus générale commune incitant les États à ignorer les montages qui visent « essentiellement » à éluder l'impôt. Madame Sas, vous évoquiez la présence, dans les paradis fiscaux, de filiales des banques françaises. Chacun pourra en juger, mais la Fédération bancaire française nous a assuré que les banques avaient plus ou moins pris l'engagement de cesser toute activité dans les paradis fiscaux. Nous avons par ailleurs adressé un courrier à l'ensemble des entreprises du CAC 40 – dont les plus grandes banques – leur demandant de nous fournir toutes les informations relatives à la transparence pays par pays, et notamment la présence de leur filiales dans les États et territoires non coopératifs, les États à fiscalité privilégié, et dans les États de l'Union européenne les plus réputés pour la douceur de leur fiscalité . À ce stade, une quinzaine de sociétés seulement nous ont répondu. Madame Sas et Monsieur Castaner évoquaient l'élargissement des obligations de transparence au-delà des sociétés du secteur financier. Je rappelle que dans le cadre de la discussion du projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires, les dispositions relatives à la transparence pays par pays ont été renforcées avec une extension significative de leur champ d'application. Du fait de l'adoption d'un amendement présenté en séance publique à l'Assemblée nationale, la publication d'informations ne concerne plus seulement le secteur financier, mais toutes les sociétés les plus importantes dépassant un certain seuil – qui sera déterminé ultérieurement par décret en Conseil d'État –, en fonction du niveau du bilan ou du chiffre d'affaires et du nombre de salariés. Nous avons le sentiment que les banques sont assez étroitement régulées, du moins dans les États où elles exercent leurs activités à titre principal. Comme toutes les entreprises, elles pratiquent l'optimisation fiscale, mais l'impression qui se dégage est que cette optimisation touche peut-être moins l'impôt français que des prélèvements étrangers. Concernant le lien entre civisme fiscal et octroi de subventions publiques, il me semble qu'à partir du moment où ce thème constituera un volet de la responsabilité sociétale et environnementale des entreprises, cela pourra aider les administrations et les collectivités territoriales à tenir compte du comportement plus ou moins vertueux des sociétés avant de décider l'attribution de financements.

Monsieur Castaner, le business restructuring peut effectivement constituer une situation « à risques », l'administration fiscale s'apercevant, d'un seul coup, que l'impôt sur les sociétés s'est brusquement évaporé de France pour se reconstituer dans un autre État. Nous avons pu analyser quelques exemples de ce type à l'occasion de notre contrôle sur place effectué à Bercy en application de l'article 57 de la loi organique relative aux lois de finances. Le renversement de la charge de la preuve dans le cadre de telles opérations sera d'une grande aide à l'administration fiscale.

Monsieur Alauzet, même si l'essentiel de la masse fiscale échappe à l'Irlande, je crois que ce pays est tout de même très heureux de compter sur son sol 3 000 salariés de l'entreprise Google, qui génèrent de l'activité et des rentrées fiscales. Aux Pays-Bas également, les stratégies d'optimisation créent indirectement de la masse fiscale via les services proposés par plusieurs milliers d'avocats fiscalistes. Sur la transparence, je pense que les mesures de reporting pays par pays ainsi que nos propositions relatives au civisme fiscal devraient permettre de satisfaire vos attentes.

Pour répondre à Monsieur Thévenoud, la première proposition qui pourrait être mise en oeuvre à court terme et facilement est sans doute notre proposition n° 1 relative à l'abus de droit, que l'administration fiscale attend avec impatience. J'ose espérer qu'elle fera l'unanimité parmi les membres de notre Commission.

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