Nous avons voté, au cours des derniers mois, plusieurs réformes importantes des modes de scrutin, qui vont toutes dans le même sens : celui d'une plus juste représentation des citoyens. Qu'il s'agisse des conseils municipaux, des élections cantonales ou même des membres du Conseil de Paris, le législateur a fait preuve de constance dans ses choix, en favorisant l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électifs, en étendant le scrutin proportionnel – gage d'une plus grande diversité des courants politiques – et en assurant l'égalité de tous devant le suffrage.
Le projet de loi que le Gouvernement présente aujourd'hui entend faire de même avec les élections sénatoriales.
Il est vrai que le Sénat, dans sa configuration actuelle, révèle certaines spécificités, pour ne pas dire des anomalies. Ces caractéristiques, vous les connaissez : un mandat plus long, un renouvellement partiel, un suffrage indirect. Qui plus est, le Sénat a une vocation constitutionnelle de représentation des collectivités territoriales que l'Assemblée nationale n'a pas. Le Sénat est donc, par essence, différent de l'Assemblée nationale, dont il devait, initialement, modérer les ardeurs.
En effet, le Sénat a été historiquement conçu pour amoindrir le poids des villes, au bénéfice des populations rurales jugées plus conservatrices – selon les propres termes de Michel Debré. Mais cette vision est aujourd'hui dépassée. Dans une conception plus moderne, les bienfaits du bicamérisme sont à rechercher ailleurs que dans l'affaiblissement de la vox populi. Le bicamérisme présente l'avantage théorique de provoquer une fructueuse confrontation des idées ; il participe de la qualité de la loi car il y a généralement plus d'intelligence dans deux têtes que dans une seule…
Il semble aujourd'hui nécessaire d'adapter les modalités de l'élection des sénateurs aux nouvelles fonctions du bicamérisme. Les spécificités sénatoriales, qui étaient sans doute justifiées par le passé, doivent être progressivement lissées pour assurer une légitimité pleine et entière à la chambre haute.
Le Sénat manque aujourd'hui de légitimité, même au regard de sa vocation de représentation des collectivités territoriales : il est avant tout le porte-voix des petites communes, qui sont surreprésentées au sein du collège électoral.
Trois caractéristiques du Sénat appellent des évolutions. D'abord, le Sénat ignore pour une large part le phénomène urbain, tant les communes rurales pèsent lourd dans son collège électoral. Alors que les communes de moins de 2 500 habitants accueillent 27 % de la population, elles représentent 41 % des délégués des conseils municipaux.
Ensuite, la chambre haute ignore tout autant les changements politiques qui animent les Français, comme en témoigne la stabilité cinquantenaire de son ancienne majorité.
Enfin, après s'être rapidement féminisé à partir des années 2000, sous l'impulsion de la gauche, le Sénat ne connaît, depuis 2008, aucune évolution dans ce domaine et n'accueille depuis cette date que 22 % de femmes.
Le Sénat est donc une institution en décalage avec son temps ; le présent projet de loi entend y remédier.
Pour ce faire, le Gouvernement a prévu deux dispositions principales : d'une part, l'amélioration de la représentation des communes les plus peuplées au sein du collège électoral, dans le respect de la mission de représentation des collectivités territoriales que la Constitution assigne au Sénat ; d'autre part, l'extension du scrutin proportionnel aux départements élisant trois sénateurs, pour favoriser non seulement la représentation des femmes, mais aussi la diversité des courants politiques.
Certes, les dispositions initiales du projet de loi n'ont rien de révolutionnaire. Mais elles respectent profondément l'institution sénatoriale, qu'il n'est pas question de bouleverser. C'est néanmoins un premier pas important vers un Sénat relégitimé.
L'article 1er du projet de loi, qui prévoit d'abaisser de 1 000 à 800 le nombre d'habitants pour lequel les communes de plus de 30 000 habitants peuvent désigner un grand électeur supplémentaire, opère un rééquilibrage mesuré en faveur des grandes villes, tout en conservant quasi intacte la physionomie actuelle du collège électoral. L'écart de représentativité entre le délégué d'une commune rurale et celui d'une grande ville, particulièrement important aujourd'hui, sera réduit. Cette réforme est néanmoins modérée puisque ce sont ainsi 3 175 délégués, seulement, qui viendront s'ajouter aux 158 000 que compte aujourd'hui le collège électoral sénatorial.
Les articles 2 et 3 du projet de loi, qui étendent l'application du scrutin proportionnel aux départements élisant trois sénateurs au lieu de quatre – vingt-cinq départements supplémentaires –, permettront à 73 % des sièges de la chambre haute d'être attribués en application d'un mode de scrutin proportionnel. Ce sont ainsi 75 sièges supplémentaires qui seront soumis à une obligation paritaire. Ce dispositif a d'ailleurs fait la preuve de son efficacité lorsqu'il a été appliqué, entre 2000 et 2003, dans la mesure où il a permis l'amorce d'un mouvement de féminisation de la Haute assemblée.
Le Sénat, en première lecture, a adopté ces articles sans modification. Cependant, il a ajouté au texte initial un certain nombre de dispositions dont nous sommes aujourd'hui saisis.
En premier lieu, deux dispositions, qui figurent aux articles 1er D et 1er quater, visent à assurer une meilleure représentation des femmes au Sénat, en introduisant une contrainte paritaire dans l'élection des délégués des conseils municipaux et de leurs suppléants comme dans la désignation des remplaçants des sénateurs élus au scrutin majoritaire.
En deuxième lieu, le Sénat a introduit un article 1er A qui rappelle, dans la loi, les principes dégagés par le Conseil constitutionnel quant à la composition du collège électoral sénatorial, et notamment l'idée selon laquelle celui-ci doit être composé majoritairement d'élus locaux. L'élargissement très important du collège électoral prévu par le projet de loi relatif à l'élection des sénateurs de 2000 avait eu pour effet de rendre les non-élus majoritaires au sein de ce collège électoral, ce que le Conseil constitutionnel avait censuré.
En troisième lieu, le Sénat a souhaité introduire plusieurs modifications qui concernent l'organisation même du scrutin sénatorial : les articles 1er B, 1er C, 1er E et 1er F tendent à intégrer les sénateurs au collège électoral sénatorial – aujourd'hui, les sénateurs sont les seuls à ne pas pouvoir participer à leur élection – ; l'article 1er quinquies empêche les candidatures qui n'interviendraient qu'au second tour des élections sénatoriales ; l'article 3 bis vise à allonger d'une semaine le délai pour le dépôt des candidatures – trois semaines avant le scrutin, au lieu de deux.
Enfin, deux dispositions nouvelles concernent le sort des communes associées qui, en devenant communes déléguées, ont perdu leur section électorale, donc leur capacité de désigner un ou deux délégués sénatoriaux supplémentaires, notamment dans les petites communes. La Haute assemblée a rétabli cette possibilité pour ces communes.
Si les articles introduits par le Sénat n'ont pas tous la même portée, il n'en demeure pas moins que certains d'entre eux, notamment ceux qui ont été initiés par la délégation aux droits des femmes du Sénat, participent à l'objectif initial poursuivi par le projet de loi : améliorer la représentativité du Sénat et renforcer sa légitimité. C'est pourquoi je vous invite, mes chers collègues, à adopter ces articles sans modification. Qui plus est, il n'est pas dans la tradition de notre assemblée de modifier les textes qui concernent la chambre haute.
Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, président de la Commission