Intervention de Guillaume Larrivé

Réunion du 10 juillet 2013 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuillaume Larrivé :

Ce projet de loi m'inspire quatre remarques.

En premier lieu, la créativité gouvernementale sur les modes de scrutin est sans limites. En un an, les Français ont subi le changement du seuil d'application du scrutin proportionnel aux élections municipales, la modification des règles d'élection des conseillers intercommunaux, la suppression des conseillers territoriaux, le rétablissement du scrutin proportionnel pour les conseillers régionaux et la création curieuse du binôme pour l'élection des conseillers départementaux, la refonte du tableau fixant la répartition des conseillers de Paris. Avec ce texte, vous franchissez une étape supplémentaire. Il est vrai qu'une fois les bornes dépassées, il n'y a plus de limites…

En deuxième lieu, ce projet traduit la volonté manifeste du Gouvernement de reprendre la main sur un Sénat qui lui échappe. En 2011, vous aviez claironné la victoire socialiste qui annonçait un printemps radieux. Mais aujourd'hui, le Sénat est devenu l'un des premiers opposants au Gouvernement. Il rejette en effet avec force les textes les plus importants – loi de finances pour 2013, loi de financement de la sécurité sociale, loi sur la tarification progressive de l'énergie, loi sur l'élection des conseillers départementaux – quand il ne les vide pas de leur contenu, comme ce fut le cas pour la réforme du Conseil supérieur de la magistrature.

Vous êtes donc dans une logique de punition d'un Sénat récalcitrant, vous inscrivant ainsi dans la continuité du gouvernement Jospin. On se souvient que le Premier ministre avait alors qualifié le Sénat d'anomalie démocratique. Vous aviez tenté, en 2000, une réforme de la Haute assemblée que le Conseil constitutionnel, dans sa sagesse, avait censurée. M. Jospin récidive néanmoins au travers du rapport de la commission de rénovation et de déontologie de la vie publique qu'il a présidée et dont s'inspire le projet de loi.

En troisième lieu, je m'interroge sur les motifs qui justifient l'extension du scrutin proportionnel aux départements comptant trois sièges de sénateurs. Le ministre de l'Intérieur, lors du débat au Sénat, a mis en avant la parité et le pluralisme. Si ce sont bien là les objectifs poursuivis par le texte, pourquoi alors n'avoir pas visé aussi les départements élisant deux sénateurs ?

Une simulation permet de comprendre les raisons de ce choix : les intérêts du parti socialiste sont mieux sauvegardés si le mode de scrutin est modifié dans les seuls départements élisant trois sénateurs. C'est en effet dans les départements à deux sièges que le parti socialiste enregistre ses meilleurs résultats – je pense à quinze départements dans lesquels la majorité actuelle aurait tout à perdre parmi lesquels la Corrèze ou l'Ariège. En revanche, dans les vingt-sept départements concernés par la réforme – les sièges de dix-sept d'entre eux seront soumis à renouvellement dès 2014 –, curieusement, ce sont principalement des sénateurs de l'opposition qui seront affectés : sur les 51 sénateurs sortants, on en dénombre 27 de l'UMP, 7 du Centre et un non-inscrit, soit un total de 35 sièges pour l'opposition contre 16 pour la majorité. Sur la seule série renouvelable en 2014, à collège électoral constant, la gauche gagnerait mécaniquement 9 sièges et en perdrait 2, soit un solde de 7 sièges, positif pour la majorité et négatif pour l'opposition. L'opposition supporterait ainsi, du fait de ce projet de loi, un handicap mécanique de 14 sièges. Si l'on tient compte des six sièges d'avance actuels, le Gouvernement s'offre ainsi une marge de vingt sièges pour sa majorité sénatoriale. Voilà l'objectif principal de ce projet de loi ! Je comprends que le rapporteur, par pudeur sans doute, n'ait pas souhaité se livrer à des calculs précis, mais c'est le rôle de l'opposition de souligner que le projet de loi a bel et bien pour objet de faire gagner quatorze sièges à l'actuelle majorité.

En dernier lieu, l'autre mesure du projet de loi – l'augmentation du nombre de délégués pour les communes de plus de 30 000 habitants – est tout aussi insidieuse. Elle témoigne là encore de votre constance et d'une certaine tradition de la gauche au pouvoir. La loi de 2000 proposait une représentation strictement démographique des communes – chaque commune désignant un grand électeur par tranche de 300 habitants –, mais le Conseil constitutionnel avait censuré le texte estimant que le Sénat devait demeurer « élu par un corps électoral essentiellement composé de membres des assemblées délibérantes des collectivités territoriales ». Le Gouvernement cherche à contourner cette décision en proposant qu'un délégué supplémentaire soit désigné par tranche de 800 habitants dans les communes de plus de 30 000 habitants. Vous allez de la sorte augmenter le collège électoral sénatorial de plus de 3 000 délégués supplémentaires au bénéfice des 260 communes les plus peuplées. Nouvelle preuve de votre constance, vous poursuivez ainsi votre entreprise délétère de destruction de la ruralité, commencée avec le texte sur les conseillers départementaux, en vous attaquant cette fois au Sénat, au risque d'entacher la sincérité du prochain scrutin sénatorial.

N'oubliez pas cependant que les électeurs, dans leur sagesse, sanctionnent toujours durement ceux qui manipulent les modes de scrutin…

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