Intervention de Bernard Hourcade

Réunion du 2 juillet 2013 à 16h00
Commission des affaires étrangères

Bernard Hourcade, directeur de recherche émérite au CNRS :

Merci de nous permettre de partager avec vous l'ignorance que nous avons sur l'Iran. Ce pays est en effet assez mal connu : il n'y a guère que 2 000 ou 3 000 Occidentaux sur place et nous avons peu de relations directes avec les ingénieurs, les chercheurs ou les hommes politiques iraniens, ce qui constitue un véritable problème.

En premier lieu, il faut rappeler que l'élection présidentielle a été réussie, avec le taux de participation que vous avez rappelé, beaucoup plus important que d'habitude. Ainsi, à Téhéran, ce taux s'est élevé à 58 %, contre 30 % généralement.

Cette réussite montre la maturité du régime : après les instabilités et la répression de 2009, le gouvernement a voulu éviter toute forme d'incident et donc trié huit candidats, tous compatibles avec le Guide. Or si cette sélection est habituelle, les différences politiques et de carrière entre eux étaient assez vastes.

Il est important qu'il y ait eu un consensus. Au début, les réformateurs ne voulaient pas soutenir M. Rohani, qui n'était pas de leur camp. Mais, dans les cinq jours qui ont précédé l'élection, ils l'ont finalement soutenu face à la perspective de l'arrivée au pouvoir de M. Jalili, un apparatchik, négociateur sur le nucléaire, qui défendait une ligne dure et avait annoncé que s'il était élu, son premier voyage serait pour soutenir Bachar el-Assad en Syrie.

Les travaux que nous avons réalisés sur la géographie électorale montrent qu'il y a en Iran des rapports de force politiques assez stables. Si juridiquement le Guide a beaucoup de pouvoirs, croire qu'il peut tout et que le pays est une dictature militaire et religieuse dirigée avec les Gardiens de la Révolution est une erreur : tous les think tanks américains en conviennent aujourd'hui. Il existe en Iran – les mouvements de 2009 l'ont montré – des revendications politiques et des couches sociales différentes, avec des ambitions et des moyens différents. Il y a un équilibre entre trois forces importantes, qui ne se traduisent pas sous la forme de partis politiques – la démocratie iranienne n'étant pas arrivée jusque-là – : 10 à 20 % d'islamistes purs et durs, d'extrême droite, voulant libérer Jérusalem et rayer Israël de la carte ; des internationalistes, constitués par la nouvelle bourgeoisie citadine occidentalisée qui désire une ouverture internationale ; des nationalistes, composés d'Iraniens ordinaires souhaitant vivre dans leur pays et s'en sortir.

L'élection de 1997 a également donné lieu à un raz-de-marée en faveur de M. Khatami, sauf qu'à l'époque, il était le seul candidat réformateur et qu'aujourd'hui, quelqu'un comme M. Khalibaf, le maire de Téhéran, un technocrate issu des Gardiens de la Révolution, aurait pu partager les voix progressistes.

Deuxièmement, M. Rohani est un président respectable, qui a les moyens de se faire entendre : il n'a pas de sang sur les mains et a fait partie de toutes les assemblées de la République islamique. Ayant suivi, en tant que religieux contestataire, le cursus honorum d'un député, il a fini par devenir entre 2003 et 2005 le responsable du Conseil national de sécurité et, à ce titre, le négociateur sur le nucléaire. Il a été soutenu par les clergés et a la confiance du Guide, même s'ils n'ont pas toujours le même point de vue. Ainsi, en 2003, alors que le Guide ne souhaitait pas signer l'accord sur le nucléaire, il s'est finalement laissé convaincre par lui de le faire. C'est un personnage de consensus et de compromis, mais qui a affirmé depuis son élection qu'il prendrait des décisions claires. Cela dit, malgré l'état de grâce dont il jouit, il est confronté à une opposition importante.

Troisièmement, M. Rohani a signé le 21 octobre 2003 le projet d'accord sur le nucléaire avec MM. de Villepin, Straw et Fisher. Ce fut une révolution politique : c'était la première fois que la République islamique signait un projet d'accord international sur un sujet aussi stratégique. Si cet accord n'a finalement été validé ni par les Iraniens, ni par les Occidentaux, notamment les Américains, M. Rohani a arrêté le programme nucléaire militaire iranien et obtenu, après une négociation avec l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), de fermer tous les bureaux qui travaillaient sur ce sujet. D'ailleurs, le Mossad comme la CIA disent que ce programme n'a pas repris en tant que projet industriel – ce qui ne signifie pas qu'un ingénieur en énergie atomique n'ait pas collecté des éléments permettant de fabriquer une bombe.

Les sanctions, qui devaient conduire à arrêter le programme nucléaire, n'ont eu aucun effet à cet égard puisque l'enrichissement de l'uranium s'est poursuivi. En outre, alors qu'elles visaient à faire tomber le régime, elles ont affaibli la population et renforcé le gouvernement. Les émeutes de 2009 ont obligé celui-ci à bien organiser les élections et le régime islamique est devenu plus solide et respectable.

Or M. Rohani connaît bien la réalité et veut relier les questions de sécurité nationale, d'ouverture internationale et de développement économique qui se posent aujourd'hui à l'Iran.

Dès lors, que peut-on faire avec ce pays ? Ses dirigeants ont le sentiment d'avoir fait un pas en avant en organisant des élections claires, où les perdants ont accepté leur défaite de façon démocratique. L'Iran, qui estime avoir été diabolisé pendant des années, aspire à être bien accueilli : il est donc très attentif à tous les gestes diplomatiques à son égard. Aux États-Unis comme en France, les avis sont donc partagés sur le fait de savoir s'il faut lui tendre la main ou attendre qu'il soit mis à genoux ou demande pardon – ce qui est une illusion quand on connaît la fierté nationale iranienne.

Les personnes gravitant autour de M. Rohani ou comme M. Moussavian – l'ancien négociateur sur le nucléaire, qui était présent à Paris la semaine dernière – disent qu'il serait bon que la France – dont on ne comprend pas l'hostilité si marquée depuis plusieurs années – fasse un geste. Alors que les Anglais ont autorisé la banque Saderat à exercer à nouveau en Grande-Bretagne et que les Allemands ont permis que des lettres de crédit soient ouvertes pour certaines industries travaillant avec l'Iran – ce qui est un moyen de biaiser les sanctions –, notre ministère des affaires étrangères a seulement pris acte de l'élection de M. Rohani, ce qui est un peu sec sur le plan diplomatique. Ces personnes verraient donc d'un bon oeil, par exemple, que quelques parlementaires français se rendent en voyage en Iran avant la prise de fonctions de celui-ci, qui a lieu le 13 août, pour le rencontrer en tant que citoyen.

L'autre enjeu important est la Syrie : si la bombe nucléaire iranienne n'est pas sur le point d'exploser, dans ce pays, les bombardements sont quotidiens. On assiste à un duel entre l'Iran et l'Arabie Saoudite, qui constituent les deux puissances régionales du golfe Persique, l'Égypte et l'Irak étant hors course. Elles se font déjà face en Irak et il en sera sans doute de même en Afghanistan.

Or le premier article publié par le think tank dont M. Rohani est le directeur indiquait que l'élection de celui-ci pouvait changer la donne en Syrie. La question de ce pays et des relations avec l'Arabie saoudite sont peut-être la clé tant des rapports avec les États-Unis, qui sont si importantes, qu'avec Israël. Une normalisation des relations avec Washington, qui avait été commencée par M. Rafsandjani dès la fin de la guerre avec l'Irak, serait, pour l'Iran, un moyen d'apaiser la situation et de le faire sortir du ghetto et de la crise économique dans lesquels il se trouve.

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