Intervention de Bernard Hourcade

Réunion du 2 juillet 2013 à 16h00
Commission des affaires étrangères

Bernard Hourcade, directeur de recherche émérite au CNRS :

La probabilité est plus forte de voir le comte de Paris renverser la République française que de voir les moudjahidins faire de même avec la République islamique ! Une des conséquences des élections est que la République islamique est stabilisée et que les oppositions situées à l'extérieur du pays ont échoué.

S'agissant de la question de la confiance, je pense qu'en politique, il n'y a que des rapports de force. L'Iran n'a pris des décisions que parce qu'il était contraint de le faire pour sauver le régime. Or les sanctions nous ont enlevé tout moyen de pression sur lui : Peugeot ne peut se retirer du pays puisqu'il n'est plus sur place et Renault est en train de partir car les Américains ont ciblé des sanctions sur cette entreprise. Par ailleurs, depuis l'arrestation de Clotilde Reiss, il est interdit aux fonctionnaires français de se rendre dans ce pays et, en tant qu'universitaires, nous n'échangeons plus que par voie électronique.

Le seul moyen de pression qui reste repose sur les bombardements, qui sont utopiques à court terme.

Encore une fois, les sanctions ont permis à l'Iran de renforcer son programme nucléaire, sans aucun contrôle, alors que M. Rohani avait accepté l'essentiel le 21 octobre 2003 : enrichir l'uranium de façon limitée, à 3,5 %, sous contrôle complet de l'AIEA dans le cadre du protocole additionnel – que l'Iran a signé et appliqué pendant deux ans. En outre, le Guide a été le premier à dire que la bombe était anti-islamique et que son pays ne voulait pas de l'arme atomique. Le gouvernement de M. Ahmadinejad, qui a confirmé cette position, a seulement souhaité que l'État ait, en tant que pays industriel moderne, une technologie d'enrichissement de l'uranium. Et s'il y a eu au départ des raisons militaires à cela, M. Rohani a obtenu en décembre 2003 l'arrêt du programme militaire contrôlé par l'AIEA.

Aujourd'hui, les rapports de force imposent à l'Iran de ne plus faire peur avec la perspective d'une bombe atomique en enrichissant l'uranium – cette option s'étant révélée contre-productive, non pour le régime qui peut se bunkériser, mais pour la nation. Ils conduisent les autorités du pays à dire que celui-ci doit avoir la capacité industrielle, technologique et scientifique d'enrichir l'uranium, comme le Japon, l'Allemagne, la Suisse, la Suède et beaucoup d'États dans le monde, et d'être un producteur en la matière, sous contrôle total de l'AIEA – sachant que le protocole additionnel permet de contrôler beaucoup de choses.

Par ailleurs, pour contrôler la situation, il faut que les expatriés occidentaux – qui ne sont plus que 3 000 - soient plus nombreux, alors qu'aujourd'hui, aucun service de renseignement n'est en mesure de savoir ce qui s'y passe vraiment. Autrement dit, le rapport de force ne doit pas passer par des sanctions, qui conduisent l'Iran à faire ce qu'il veut en matière de droits de l'homme, de nucléaire ou d'économie, mais par une présence plus importante de notre part. Quand Peugeot et Renault ont un projet industriel dans ce pays, si on les oblige à repartir, on se prive d'armes à son égard.

Rien n'est donc joué sur le nucléaire et on peut aboutir rapidement à un accord technique, en appliquant le protocole additionnel. On pourrait à cet égard raser les sites nucléaires iraniens, mais il faudrait aussi tuer tous les professeurs de mathématiques et de physique ! Quel que soit le régime en place, la nation iranienne est en effet capable aujourd'hui d'enrichir l'uranium à 90 % et de fabriquer une arme atomique. En revanche, la militarisation, c'est autre chose : le fait d'avoir 240 kilos d'uranium enrichi à 90 % ne suffit pas à soi seul pour produire une bombe.

S'agissant de la guerre en Syrie, elle devait permettre, pour certains, de libérer Jérusalem grâce au Hezbollah et aux Gardiens de la Révolution. Mais le fait important est que dès que les rebelles démocrates sont partis de ce pays, ils ont été immédiatement soutenus par les djihadistes. L'arrivée des Saoudiens et des Qataris a permis d'aider massivement ceux-ci. Or si Damas tombait entre les mains d'un pouvoir sunnite radical, Bagdad serait déstabilisé – ce qui est déjà le cas depuis six mois à un an. Cela serait inacceptable politiquement pour l'Iran, qui ne veut pas être encerclé : il a, d'un côté, les talibans, qui vont retourner au pouvoir dans quelques mois à l'est et, de l'autre, les sunnites, déjà présents au sud, qui pourraient revenir à l'ouest.

Autrement dit, si les ultra-islamistes se battent en Syrie, ce qui compte pour l'Iran c'est la sécurité de son territoire. C'est la raison pour laquelle tout le gouvernement iranien dit qu'il ne laissera pas tomber Bachar el-Assad, que l'on déteste par ailleurs.

Concernant le rapport avec l'Arabie saoudite, la France, qui a dans la péninsule arabique des relations privilégiées, a un rôle à jouer. Or, sur la rive sud du golfe Persique, les pays n'existaient pas il y a trente-cinq ans – Bahrein, Qatar, les Émirats arabes unis ont acquis leur indépendance en 1971. Quand la République islamique est mise en place, ni Abou Dabi ni Dubaï n'existent réellement : l'Arabie saoudite est alors une principauté monarchique féodale. Aujourd'hui, les choses ont changé : la capitale économique de l'Iran est Dubaï. La question n'est pas tant l'opposition entre chiites et sunnites que son instrumentalisation dans un but national : les États saoudien, qatari, émirati, koweiti et de Bahrein, notamment, en tant qu'États nouveaux ayant émergé depuis trente ans, ne veulent pas à être mis de côté, ni que la France abandonne ses relations avec eux au profit de l'Iran.

Les Israéliens disent justement à cet égard qu'ils ne sont pas contre un accord, à condition qu'ils n'en fassent pas les frais.

La France et l'Europe doivent donc rassurer les monarchies du golfe Persique et Israël en les convainquant que l'Iran ne peut rester isolé et doit trouver une place normale dans l'équilibre régional. On ne peut se prononcer en faveur de la démocratie iranienne et, en même temps, anéantir la bourgeoisie moyenne de ce pays qui essaie de s'en sortir.

D'ailleurs, l'Iran – qui a le sentiment d'avoir écrasé les Occidentaux sur le nucléaire, dans la mesure où il peut enrichir l'uranium à 90 % – est prêt à céder et à signer un accord limité à un enrichissement à 5 %, avec une production commençant six mois plus tard. À nous, ensuite, d'élaborer une stratégie d'intégration économique, politique et culturelle d'un pays qui a été longtemps un adversaire.

L'Iran est gouverné et sera encore gouverné pendant vingt ans par les anciens combattants de la guerre contre l'Irak, que ce soit des Gardiens de la Révolution ou des généraux faisant des affaires, ou bien de petites gens ayant des postes réservés que la République islamique leur a également donnés. Il ne faut pas s'attendre à ce qu'ils crachent dans la soupe ! Il faut faire avec eux, sachant qu'ils ont évolué et que les rapports de force ont changé.

Il convient donc de prendre les Iraniens au mot lorsqu'ils disent qu'ils ne veulent pas de la bombe, en leur donnant l'occasion de ne pas l'avoir tout en restant un pays victorieux sur le plan de la technologie nucléaire. Pour le reste, seule l'entrée en Iran par l'économie ou par les relations universitaires peut permettre de l'accompagner comme pays émergent. On peut à cet égard davantage faire confiance à M. Rohani, qui connaît bien les secteurs de l'économie et les questions de sécurité, qu'à M. Khatami.

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