Je vous remercie pour vos nombreuses questions.
Je commencerai par rappeler qu'on ne peut plus raisonner en isolant l'agriculture de son amont et de son aval. Et si nous utilisons souvent la notion de filière, c'est précisément parce que nous avons conscience de l'interdépendance qui existe non seulement entre l'amont et l'aval, mais aussi entre les secteurs de production.
Pendant cinquante ans, on a demandé aux agriculteurs de se spécialiser, d'optimiser leurs coûts et leurs performances, et de nous nourrir. Aujourd'hui, la demande est complètement différente. Elle repose sur un concept d'économie circulaire, que nous allons devoir réinventer. En effet, il y a cinquante ans, voire plus, la même exploitation assurait la production énergétique pour les besoins de l'exploitation, les besoins alimentaires de tous ceux qui vivaient sur et autour de l'exploitation, et abritait des cultures de rente. Tout cela a disparu. Nous devrons trouver des modèles d'économie circulaire, plutôt par territoire, par bassin de production, où le secteur végétal et le secteur animal seront beaucoup plus interactifs et interdépendants. Cela ne répond pas forcément à la question sur la nécessaire solidarité entre ces deux secteurs, que vous avez soulevée. Mais c'est bien dans ce sens-là que nous travaillons.
Prenons cet exemple, qui est un cas d'école : des céréales nourrissent des animaux, lesquels entrent dans la chaîne alimentaire, avec tout ce que cela apporte, derrière, en termes de valeur ajoutée et d'emploi ; les effluents d'élevage sont biométhanisés pour en faire de la production énergétique ; les digestats sont revalorisés en fertilisants. C'est un exemple d'économie circulaire, que nous pouvons organiser à partir d'une approche territoriale, dans la mesure où il paraît difficile de le faire sur la même entité – ou alors en regroupant les exploitations.
Je tiens à insister sur un deuxième point. Nous devons bannir de notre vocabulaire les termes de « productivisme » et d « intensification ». En revanche, nous devons utiliser haut et fort celui de « compétitivité ». En effet, depuis une douzaine ou une quinzaine d'années, nos compétiteurs ne sont plus ni transatlantiques (pour les produits carnés ou céréaliers), ni océaniens (pour les produits laitiers) : ils sont à nos portes. Ce sont les Allemands, les Espagnols, les Néerlandais, les Danois et les Polonais.
Cela m'amène à répondre plus précisément à M. Laurent Furst : la France, qui était leader européen, est aujourd'hui à la troisième place. Les Pays-Bas et l'Allemagne sont passés devant nous. De la même façon, nous avons perdu la deuxième place du podium mondial que nous occupions il y a une douzaine d'années, s'agissant de l'exportation des produits agricoles et alimentaires ou agroalimentaires. Nous sommes relégués à la quatrième place, et nous serons relégués à la cinquième place d'ici peu : les États-Unis restent les premiers, mais l'Allemagne et les Pays-Bas sont passés devant nous, et le Brésil est en train de nous dépasser.
Nous assistons donc à la détérioration de la compétitivité intrinsèque de l'agriculture française. Cela nous renvoie à deux questions qui ont été soulevées de manière tout à fait opportune.
La première est liée aux charges qui pèsent sur l'économie française, et notamment sur les salaires. Nous étions demandeurs d'un dispositif de TVA « emploi ». Je regrette que l'idée n'ait pas été retenue. Nous avons pris acte de la mise en place du Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE). Sauf que dans la filière agroalimentaire et agricole française, le CICE aura d'abord un impact sur la distribution, et beaucoup moins sur l'amont agricole. Et ce n'est pas une intuition : c'est ce qui ressort de nos études.
La deuxième est liée à la valorisation des produits et, notamment, aux prix. Comme vous le savez, dans le domaine de l'alimentation, nous avons le plus grand mal à faire accepter un certain nombre de conséquences liées, en amont, aux effets des marchés mondiaux qu'il faut bien répercuter quelque part. Certains affirment que les céréaliers « s'engraissent » et il est exact que depuis dix-huit mois, les cours des céréales sont très satisfaisants. Pour autant, est-il normal qu'un éleveur, dont les coûts sont représentés à 50 % ou 60 % de charges d'aliment du bétail, ne puisse pas répercuter une partie de cette charge sur ses prix de vente ? C'est bien le sens du débat, difficile, que nous avons aujourd'hui avec la GMS française – les grandes et moyennes surfaces, cinq donneurs d'ordre faisant à peu près 80 % de la mise en rayon des produits alimentaires.
Cela me permet de dire un mot sur le projet de loi relatif à la consommation défendu par Benoît Hamon, et sur lequel nous avons proposé deux amendements.
Le premier, qui est relatif aux conditions générales de vente, a été retenu. Il faut savoir que chaque année, en janvier ou en février, les enseignes fixent les tarifs, sur lesquels nos entreprises, qu'elles soient agricoles ou agroalimentaires, négocient. Or c'est un non- sens absolu en terme commercial : les fournisseurs devraient proposer leurs tarifs et c'est à partir de là que la discussion devrait s'ouvrir. Ce point devrait être a priori amélioré dans la future loi de consommation.
Par ailleurs, j'espère voir traduite dans un amendement une deuxième requête : l'introduction d'une clause de renégociation en cours d'année en cas de volatilités excessives à la baisse ou à la hausse – comme en 2012. Il ne s'agit pas de prendre le consommateur en otage. Nous sommes prêts à jouer le jeu dans les deux sens. Lorsque le cours des matières premières grimpe, les prix doivent être revus à la hausse, et inversement. C'est d'ailleurs ce qui se passe dans la plupart des pays européens. Nous sommes sans doute le seul pays où l'on revendique – à tous les niveaux : pouvoirs publics, consommateurs, etc. – la linéarité des prix alimentaires.
À propos des prix alimentaires, je vous conseille le rapport de Philippe Chalmin, qui préside l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires. Dans la seconde édition, sortie en novembre dernier, il confirme que la part relative consacrée à l'alimentation par les ménages français est de 10 % de l'ensemble de leurs dépenses. Plus intéressant, il indique quelle est la part relative de la matière première, du poids agricole, dans la filière. Nous apprenons ainsi que sur 100 euros de dépenses alimentaires, il n'y a plus de 7,80 euros qui reviennent au monde agricole, le reste allant aux intermédiaires – collecte, transformation, distribution, marketing, emballage, etc. J'imagine que les consommateurs ne font pas la part entre ce qu'ils ont réellement consommé sur le plan nutritionnel, et ce qu'ils ont mis à la poubelle, en emballages et autres. Il y a tout de même là de quoi s'interroger. (Approbations sur divers bancs)
Je terminerai sur ce point : il y a deux mois, nous avons mis en place une association d'aide au plus démunis et je me suis aperçu que, malheureusement, les ménages les plus en difficulté étaient ceux qui, en proportion, achetaient davantage de produits alimentaires très sophistiqués, bien emballés, bien marquetés donc chers.
Vous m'avez interrogé enfin sur la PAC. Là encore, je m'insurge contre une fausse affirmation. Aujourd'hui, en France, ce ne sont pas les céréaliers qui reçoivent les paiements les plus élevés. Ramenés à l'hectare, les paiements les plus élevés vont aux éleveurs, et en particulier aux éleveurs laitiers : 500 euros par hectare pour les éleveurs laitiers ou les éleveurs qui font de l'engraissement bovin, et 300 ou 310 euros par hectare pour les céréaliers. Cela montre bien que vous êtes tous les représentants de vos circonscriptions. D'ailleurs, en fonction de l'orientation agricole de vos territoires, les positions changent. Par rapport à l'application de la future PAC, on peut en compter dix ou quinze, qui sont diamétralement opposées.
Au passage, je tiens à dire que la négociation budgétaire menée par la France a été de bon niveau. Le Président de la République, comme ses prédécesseurs, a défendu notre budget agricole. Une petite partie de ce que nous avons perdu sur le premier pilier se retrouve sur le deuxième pilier. Tant mieux, parce que nous n'avons pas accès au chèque allemand, anglais ou néerlandais. Je m'explique : la France n'a jamais reçu, dans le cadre de l'exécution budgétaire annuelle, un reliquat de non-exécution, à la différence de ces pays, qui étaient, depuis l'origine, contributeurs nets – tout le monde recevait quelque chose, sauf les pays qui étaient receveurs nets par rapport à leur contribution. Je précise tout de même que depuis 2010, la France est devenue contributrice nette, y compris sur le budget agricole.
En ce qui concerne la PAC, la vraie négociation démarre maintenant. Nous souhaitons éviter deux écueils. Premièrement, nous devons éviter qu'entre 2014 – l'année de référence – et 2015 – la première année effective de la nouvelle PAC – la marge ne soit trop importante. Certains verront leurs paiements augmenter – et je comprends la question sur les zones de montagne ; mais d'autres verront leurs paiements baisser et il faut que cette baisse soit digérable. Deuxièmement, nous devons faire en sorte de recombiner, de manière plus intelligente que nous ne l'avons fait jusqu'à maintenant, l'accès au soutien du premier pilier et l'accès aux moyens du deuxième pilier.
M. Gilles Savary m'a interrogé sur la régionalisation du FEADER. Nous n'y sommes pas opposés mais nous serons vigilants. Les grandes politiques d'installation des jeunes, de correction des handicaps, etc. devront être cadrées au niveau national. On n'imagine pas en effet que, par exemple, la politique d'installation des jeunes puisse différer d'une région à l'autre. Au passage, je répondrai à M. David Douillet que le règlement prévoit que les jeunes qui s'installeront recevront, pendant les cinq premières années, un supplément équivalant à 2 % de l'ensemble de leurs paiements. On peut parler d'une incitation à l'installation.
Ensuite, il serait injuste et incorrect de parler de « renationalisation » de la PAC. Mais je reconnais qu'il y a beaucoup de subsidiarité dans les différentes mesures proposées – verdissement, convergence, recouplage et surdotation sur les premiers hectares. Jusqu'à maintenant, le cadre européen était beaucoup plus coercitif. Cette fois-ci, les États membres disposeront d'une marge de manoeuvre bien plus importante pour les appliquer.
Cela ne permet pas de savoir aujourd'hui comment finira la négociation. Nous allons regarder comment ces dispositifs, pris globalement et additionnés, impacteront ou non tel ou tel système ou tel ou tel territoire. Nous nous sommes rencontrés avec le ministre hier et nous avons dit qu'il faudrait procéder à une lecture assez globale avant de nous prononcer, ou non, sur le schéma.
M. Martial Saddier m'a demandé ce que je pensais de la surprime aux cinquante premiers hectares. Eh bien, elle ne m'enthousiasme pas. Ce n'est pas par idéologie, mais parce que les simulations auxquelles nous avons procédé ne permettent pas de penser qu'une telle mesure répondrait à la préoccupation du ministre, qui est plutôt de consolider les systèmes intensifs.
Aujourd'hui, dans notre pays, les productions les plus menacées sont les productions animales. Elles se font le plus souvent – notamment dans le Grand Ouest – sur des exploitations de taille moyenne, de 50 à 80 hectares par unité de production, avec des niveaux élevés de production laitière – 200 000300 000 litres – et une centaine de jeunes bovins à l'engraissement. Ce sont des exploitations intensives, qui ont des niveaux de paiement importants. Le ministre souhaite consolider et, en tout cas, ne pas affaiblir ces exploitations. Il faudra trouver les mécanismes les mieux adaptés à leur situation. Mais il y a aussi en France des systèmes plus extensifs – dans les zones de montagne ou dans la zone intermédiaire qui part de Lorraine pour aller jusqu'en Poitou-Charentes. Ce sont des exploitations de taille plus importante, où les potentiels sont beaucoup plus faibles que sur le Nord-Bassin parisien. Il faudra également faire attention à ne pas déstabiliser ces exploitations. L'équation n'est donc pas facile à résoudre, ni pour le ministre chargé de l'agriculture, ni pour le président de la FNSEA.
Je dirai un mot de la relation foodnon- food, ou alimentairenon alimentaire. Je vous rappelle qu'il y a moins de dix ans, nous avions encore en France des taux de jachère obligatoires. En 1992-1997, ils sont montés jusqu'à 17 %, puis sont redescendus à 10 %. La jachère n'a disparu qu'au début des années 2000. Je vous rappelle aussi que nous perdons chaque année en France entre 70 000 et 90 000 hectares de foncier agricole. Voilà pourquoi le procès que l'on fait aujourd'hui aux biocarburants de première génération me paraît bien mal venu. La surface nette consacrée aux biocarburants, qui n'est que de 1,85 %, comme vient de vous l'indiquer Mme Kristell Guizouarn, nous permet de développer, par l'industrialisation, des productions de protéines végétales dont nous avons besoin pour nos élevages. Faut-il donc « flinguer » définitivement ces carburants de première génération ?