Intervention de Antoine Frérot

Réunion du 9 juillet 2013 à 16h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Antoine Frérot, président-directeur général de Veolia Environnement :

En fait, dans la mesure où nous sommes convenus avec la Caisse des dépôts et consignations qu'elle reprendrait notre opérateur de transport, l'activité de Veolia Environnement se concentre désormais sur trois métiers seulement : les services de l'eau, les services de la propreté et les services locaux de l'énergie. Dans chacun de ces trois domaines, Veolia Environnement est leader mondial dans sa spécialité. Son chiffre d'affaires a atteint environ 30 milliards d'euros en 2012, selon les normes comptables de l'époque ; pour un peu plus de 11 milliards – soit 38 % –, il a été réalisé en France. En 1999, la proportion dépassait 90 % : on mesure là l'effet de notre développement à l'international, au demeurant récent. Notre groupe réalise désormais entre 2,5 et 3 milliards d'euros de chiffre d'affaires dans chacune des zones géographiques suivantes : Amérique du Nord, Grande-Bretagne, Allemagne, Europe orientale et Asie. Hors transports, il emploie 220 000 salariés dans le monde, dont environ 65 000 en France.

Veolia Environnement intervient sur des marchés porteurs, voire très porteurs à long terme, tant pour une clientèle de collectivités publiques que pour une clientèle d'industriels. Néanmoins, sa situation financière est tendue. L'entreprise a été extraite du groupe Vivendi il y a onze ans, dans des conditions difficiles et avec une dette qui s'élevait à 17 milliards d'euros. Cet endettement a été bien supporté et accepté durant les années 2000, qui étaient des années de croissance ; il n'a donc pas diminué durant cette période, ce qui nous a permis d'assurer notre développement, notamment à l'étranger. Mais depuis la crise, il est jugé fortement excessif. J'ai donc engagé une politique visant à le réduire rapidement, afin de redonner au groupe flexibilité et marges de manoeuvre.

D'autre part, en France, nous souffrons du contexte économique qui a conduit à une importante baisse du volume des déchets, notamment des déchets industriels, et à une tension sur les prix des matières recyclées. De surcroît, chaque renouvellement de contrat – notamment dans le domaine de l'eau, mais pas seulement – donne lieu à une forte pression pour que nous baissions nos prix, de sorte que nous devons souvent consentir des rabais qui excèdent nos marges.

Nos activités souffrent également en Allemagne. En revanche, elles sont relativement épargnées en Grande-Bretagne, pour des raisons particulières liées à la politique de traitement des déchets menée dans ce pays.

Tirant parti de la flexibilité retrouvée grâce à un important programme de cessions, le groupe cherche désormais une croissance rentable et profitable dans de nouvelles zones géographiques, notamment en Europe centrale et orientale, en Asie – plus particulièrement en Asie du nord –, au Moyen-Orient et en Amérique latine. Sa stratégie consiste d'une part à abaisser ses coûts de structure mais aussi ses coûts opérationnels grâce à d'importants programmes de reengineering, visant à industrialiser ce métier de services : automatisation d'un certain nombre de tâches, industrialisation des process, standardisation des manières de travailler, spécialisation des équipes… ; d'autre part, à accélérer sa projection vers les activités offrant des possibilités de croissance, en volume comme en valeur. Je souhaite ainsi accroître la part de notre activité consacrée à notre clientèle industrielle, pour la porter de 30 % à 50 % en quatre ans. De même, j'entends faire évoluer l'empreinte géographique du groupe, dont l'activité s'exerce actuellement à 70 % dans les pays développés – à raison de 40 % pour la France et de 10 % pour l'Allemagne comme pour la Grande-Bretagne et pour les Etats-Unis. La part des autres zones géographiques, en croissance, devrait ainsi passer de 30 % à plus de 50 % d'ici quatre ans.

J'en viens aux grands défis auxquels sont confrontés nos métiers et les services à l'environnement.

Le premier est le traitement des pollutions les plus difficiles. Un certain nombre sont connues – et Veolia est fortement présent dans ce secteur. Je pense aux déchets industriels toxiques et dangereux, aux boues des stations d'épuration, aux émissions de CO2 et aux gaz à effet de serre. D'autres ont été plus récemment identifiées : c'est le cas des résidus médicamenteux et des perturbateurs endocriniens présents dans l'eau, mais aussi de la pollution de l'eau liée à la mobilisation d'énergies alternatives telles que les gaz de schiste et les pétroles de schiste. À cela s'ajoutent enfin le démantèlement et la « remise au vert » des sites nucléaires.

Le deuxième grand défi de nos métiers consiste à faire face à la raréfaction de l'eau, des matières premières, des énergies fossiles et, demain, des quotas de CO2. Dans chacun de ces cas, nous cherchons à inventer des solutions pour les proposer à notre clientèle. Pour l'eau, les axes de travail sont au nombre de trois : la réduction du gaspillage et l'économie de la ressource à usage constant, la mobilisation des ressources alternatives comme l'eau de mer ou le recyclage des eaux usées, qui est aujourd'hui la solution la plus prometteuse, et enfin des actions de gestion de la ressource, telle que la recharge de nappes, encore peu utilisée en France.

Pour remédier à la rareté des matières premières, nous devons privilégier l'économie circulaire et le recyclage. Nous avons commencé par le plus simple, en recyclant le papier, le carton et la ferraille. Mais ces matières aisément recyclables n'ont que peu de valeur, à la différence du cuivre, du lithium et des terres rares qu'il est en revanche bien plus compliqué d'extraire et de recycler – d'autant que les industriels exigent de pouvoir les réutiliser sans modifier leurs process industriels, ce qui suppose de leur fournir des matières d'une qualité au moins égale à celle des matières qui leur sont fournies par le secteur minier, et dans la même forme. Néanmoins, notre groupe est déjà très actif dans le traitement des huiles de moteur usagées, du cuivre et du lithium, grâce à ses efforts de recherche et développement (R&D) et à la construction d'usines de recyclage, qui a assuré l'essentiel de notre développement en France au cours des dernières années et reste une niche à l'échelle de la planète. Ces usines, qui sont des innovations mondiales, sont appelées à se multiplier. La maîtrise du coût du tri – encore largement manuel – est ici un enjeu important : tant que la valeur extraite restera insuffisante, l'automatisation du tri et la baisse de la part de la main-d'oeuvre dans son coût seront décisifs. Nous ouvrons ainsi chaque année en France un nouveau centre de tri plus automatisé que le précédent.

Pour surmonter la raréfaction des sources d'énergie, nous devons agir pour plus d'efficacité énergétique, travailler sur le stockage de l'énergie et utiliser les ressources alternatives que sont la biomasse et la cogénération au gaz. Cette dernière, mise en oeuvre en France depuis une douzaine d'années, a bien failli disparaître il y a quelques semaines : les grosses cogénérations sont sans doute sauvées, mais la survie des petites est encore en débat. Si nous n'y prenons pas garde, il pourrait en résulter de fortes hausses du prix du chauffage pour nombre d'habitations, au détriment notamment des plus modestes.

Le troisième grand défi que nous avons à relever est celui de la gestion de grands services publics complexes dans des villes qui regroupent de plus en plus d'habitants. Chaque mois, la population urbaine s'accroît de l'équivalent d'une ville comme Madrid, soit de trois millions d'habitants – dont une bonne moitié en Asie. La moitié de la population mondiale est aujourd'hui urbanisée ; en 2035, ce sera 70 %. La France a donc une carte à jouer là, grâce à son savoir-faire et à ses entreprises. Le paradoxe est qu'au moment où de nombreux marchés s'ouvrent à nous dans les grandes métropoles étrangères, le modèle français de gestion déléguée est contesté. Les principaux risques sont de deux ordres : la tentation du low cost pour les services publics, particulièrement ceux de l'eau, et le danger de voir le dénigrement de notre savoir-faire auquel certains se livrent en France nous desservir à l'étranger. Il nous faut faire évoluer notre modèle – à la fois les offres et les modes de rémunération –pour satisfaire les nouvelles attentes, mais nous devons également contribuer au décloisonnement du fonctionnement technique de la ville, aujourd'hui trop organisé en silos.

Pour relever ces trois grands défis, il nous faut d'abord innover. Nous ne connaissons ou maîtrisons aujourd'hui que la moitié des services que nous proposerons à nos clients dans vingt ans. Les autres restent à inventer, un peu comme la biologie et la chimie fine ont supplanté le camion-poubelle et le bulldozer, qui formaient l'essentiel des outils à la disposition des services de propreté il y a vingt ans. Bref, l'innovation est la clé de l'avenir.

Il faut ensuite tout un travail de reengineering pour industrialiser nos services. La pression sur les prix, très forte en Europe, nous contraint à imaginer les voies grâce auxquelles nous pourrons abaisser nos coûts sans pour autant tomber dans le piège du low cost.

Enfin, il nous faut former. Les métiers des services à l'environnement se caractérisent à la fois – ce qui est assez rare – par une forte intensité technique et par une forte intensité de main-d'oeuvre. Il est donc impératif, au-delà de la formation initiale, de former nos salariés tout au long de leur vie professionnelle, à mesure que naissent de nouveaux savoir-faire et de nouvelles technologies de plus en plus sophistiqués. Cela s'impose d'autant plus que 90 % d'entre eux sont des « cols bleus ». Nous nous sommes donc dotés de vingt centres de formation, dont six en France, et nous en avons ouvert trois l'an dernier à Lyon, à Tarbes et à Lille.

La qualité des services à l'environnement est importante pour les territoires pour trois raisons : parce qu'elle contribue à leur attractivité ; parce que leurs responsables peuvent, en collaboration avec les grands groupes et avec les petites entreprises locales élaborer des écosystèmes économiques d'où sortira un savoir-faire exportable ; enfin, parce que ces services sont porteurs de nombreux emplois non délocalisables et bien adaptés aux jeunes qui sortent du système scolaire sans qualification, l'apprentissage permettant de leur donner une formation diplômante et un métier.

En quoi les pouvoirs publics peuvent-ils nous aider à relever ces grands défis ? Ils doivent d'abord fixer des objectifs ambitieux mais réalistes, en fonction des capacités du pays, et adapter en conséquence les normes réglementaires. La baisse de la consommation d'énergies primaires carbonées au profit de la biomasse, de la cogénération au gaz ou de l'exploitation du potentiel énergétique des déchets – nous n'en exploitons aujourd'hui que la moitié – est une première voie. La seconde est la rénovation énergétique des bâtiments, à condition que soient résolues deux difficultés. En premier lieu, il faut garantir aux particuliers que l'investissement qu'ils devront consentir leur assurera bien les résultats promis. Or cela ne peut être le fait de l'installateur de fenêtres ou de chaudières et on sait que l'absence actuelle de garantie à long terme est le premier facteur qui fait hésiter les candidats à la rénovation thermique. En second lieu, il faut organiser un financement long adapté à ces travaux. En effet, cette rénovation est économiquement rentable, mais à long terme : le retour intervient au bout de sept à dix ans. Il faudrait donc pouvoir financer ces travaux sur une quinzaine d'années.

Je l'ai dit, la réutilisation des eaux usées est certainement la voie la plus prometteuse pour remédier à la rareté de l'eau dans le monde. Mais nous manquons, en France, d'une norme pour transformer cette eau usée, aujourd'hui considérée comme un déchet, en un produit. Nous avons réussi à le faire pour les boues de stations d'épuration, pour « normer » le compost et transformer la boue épandue en un vrai produit, à condition qu'il soit traçable – et tracé. Nous n'avons pas l'équivalent pour le recyclage des eaux usées, pourtant largement utilisé dans d'autres parties du monde, pour des usages parfois peu « nobles » tels que le nettoyage, le lavage ou l'irrigation, mais pas seulement : la moitié de la population de Berlin et la totalité de celle de Windhoek, la capitale de la Namibie, sont alimentées en eau potable provenant du recyclage de l'eau usée ; toutes les usines de microélectronique de Singapour sont alimentées en eau ultra-pure avec de l'eau recyclée… La transformation de l'eau usée en eau potable, voire ultra-pure, ne se heurte en effet à aucune difficulté technique. Nous manquons simplement d'une norme permettant de faire « décoller » cette activité.

Pour finir, j'appelle votre attention sur une contradiction de plus en plus fréquente entre le droit du travail et le droit de la concurrence. Les services que nous fournissons ne sont pas délocalisables, mais le droit du travail exigeait jusqu'à présent qu'en cas de mise en concurrence, le lauréat, nouveau titulaire du contrat, reprenne les salariés. Le droit de la concurrence s'y oppose désormais, au motif que cette obligation constituerait une entrave à la concurrence. C'est donc le juge qui tranche au cas par cas.

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