…mais lucide, car il s'appuie sur le texte soumis à notre examen et sur le dispositif qui en découle.
D'abord, pour mieux intégrer le fait métropolitain, le projet de loi dans sa version actuelle passe du choix volontaire à l'application automatique du statut de métropole dès lors que les conditions seront réunies. Ainsi, selon l'article 31, seront automatiquement transformés en une métropole les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre qui forment, à la date de sa création, un ensemble de plus de 400 000 habitants dans une aire urbaine – au sens de l'INSEE – de plus de 650 000 habitants, ou un ensemble de plus de 400 000 habitants dans le périmètre duquel se trouve le chef-lieu de région.
Ensuite, les compétences et le rôle des métropoles sont renforcés pour en faire les vrais lieux de pouvoir. Elles se voient ainsi dotées de l'essentiel des ressources de développement disponibles et des compétences dans une logique de compétitivité qui, pour les plus grandes aires urbaines, s'étend au niveau européen, voire mondial. Leurs compétences sont d'ailleurs étendues par rapport à celles qui étaient définies en 2010, particulièrement en matière de développement économique, d'innovation, de transition énergétique ou de politique de la ville. Toutes les compétences acquises librement par un EPCI avant sa transformation ou fusion au sein de la métropole sont transférées de plein droit à la métropole.
En outre, les métropoles vont bénéficier de transferts de compétences de plein droit des communes en matière de développement et d'aménagement économique, social et culturel, en matière d'aménagement de l'espace métropolitain, de politique locale de l'habitat, de politique de la ville, de gestion des services d'intérêt collectif, de protection et de mise en valeur de l'environnement et de politique du cadre de vie.
Les métropoles pourront aussi bénéficier de délégations de compétence de l'État qui, dans la pratique et quoi qu'on en dise, s'apparenteront immanquablement à de véritables transferts à la carte. C'est la remise en cause de la distinction entre l'habilitation générale de la collectivité à prendre en charge l'intérêt public local et le principe de spécialité qui caractérise les EPCI.
En effet, la liste des compétences d'attribution ne cesse de s'allonger. La métropole élargit ses compétences de nature communale, garde les principales compétences départementales et acquiert de surcroît des compétences régionales par convention. Les marges de manoeuvre qu'offrent ces compétences obligatoires ou facultatives sont telles que la question de la clause de compétence générale, restituée aux régions et aux départements, n'a plus qu'un intérêt marginal lorsqu'il y a une métropole sur le territoire régional.
À cet égard, le rétablissement de la clause de compétence générale pour les départements et les régions à l'article 1er A est limité, pour ne pas dire entravé en pratique, par la mise en place des conférences territoriales et leur pacte de gouvernance, qui édictera des schémas prescriptifs, et la reconnaissance, pour certaines compétences, d'un chef de file.
Au sein de la conférence territoriale de l'action publique, les collectivités territoriales organiseront librement les modalités d'exercice de leurs compétences dans le cadre d'un pacte de gouvernance territoriale. Ainsi, d'une région à l'autre, les compétences de telles ou telles collectivités pourront ne pas être les mêmes. Cette conférence, présidée par le président du conseil régional, se substitue à la conférence des exécutifs, qui a pourtant fait ses preuves dans plusieurs régions.
De plus, si les collectivités territoriales ne se mettent pas d'accord par convention sur l'exercice d'une compétence partagée, elles ne pourront cofinancer des projets portés par d'autres collectivités. De même, si une commune n'approuve pas le schéma régional, elle devra se passer des cofinancements. Autrement dit, les collectivités qui ne signent pas le pacte de gouvernance territoriale et n'approuvent pas les schémas ne pourront plus bénéficier de financements croisés. Il y a là, effectivement, une atteinte à la libre administration des collectivités territoriales.
Bref, mesdames les ministres, nous sommes loin d'un nouvel acte de décentralisation qui serait conforme aux principes fondateurs des lois de 1982.
Pour notre part, nous considérons que la décentralisation doit être organisée en fonction du principe de proximité permettant d'optimiser les décisions publiques dans le sens d'une plus grande satisfaction de l'intérêt général, tout en définissant les rôles respectifs de l'État et des différents échelons territoriaux. Nous faisons le choix du développement des coopérations et non de la mise en concurrence des territoires.
Nous considérons que l'autonomie des collectivités territoriales devrait être assurée grâce à l'actualisation du principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales et à une réforme de la fiscalité locale garantissant des moyens financiers pérennes et justes.
Une véritable décentralisation démocratique et républicaine doit être fondée sur la souveraineté populaire, le contrôle citoyen, l'égalité de traitement, la coopération entre les collectivités et la solidarité entre les territoires et les populations. Toute nouvelle entité administrative intercommunale devrait répondre aux besoins des administrés et résulter d'une démarche volontaire, transparente et compréhensible, construite progressivement dans le cadre de coopérations, plutôt que d'un rapprochement autoritaire de communes sans projets communs, obéissant exclusivement à une exigence de compétitivité.
C'est ainsi qu'à une conception centralisée et à une gouvernance confisquant le rôle des collectivités qui composent l'aire métropolitaine nous opposons une stratégie de politique publique et de développement, dans un dialogue véritablement démocratique avec toutes les collectivités, à commencer, bien sûr, par les communes.
Pas d'aire urbaine partagée sans prise en compte des projets construits avec les citoyens, sans leur collectivité ; pas de réponse positive aux défis métropolitains, s'ils ne sont pris en compte et fédérés dans des coopératives de projets.
C'est ainsi qu'à la fracture territoriale, qui résultera immanquablement du bouleversement proposé, nous opposons l'égalité entre les territoires, et donc un État qui joue pleinement son rôle péréquateur, garant de l'égalité des citoyens, où que ce soit dans la République, un État partenaire et mobilisateur plutôt qu'un État qui ne cesse de se défausser.
Pour toutes ces raisons, et pour toutes celles que notre groupe développera tout au long de nos débats, compte tenu des graves menaces qu'il fait peser sur l'unité même de la République, notre opposition à votre texte est totale et sans concession.
Mesdames les ministres, devant l'ampleur des mécontentements suscités dès le départ par le projet d'acte III de la décentralisation, le Gouvernement a fait le choix de scinder le texte en trois, plutôt que de revoir l'ensemble de sa copie. C'est une erreur profonde car, sur un sujet aussi essentiel pour l'avenir de la République, il eût fallu donner du temps au temps, pour reprendre la concertation avec les élus, leurs associations et les citoyens, pour organiser un véritable débat dans l'esprit des états généraux de l'automne dernier.
Ce n'est pas, hélas ! la décision qui a été prise, puisque, alors que le déroulement du débat au Sénat aurait au moins dû vous inciter à laisser davantage de temps à la réflexion, le texte nous est soumis aujourd'hui dans la précipitation et la chaleur estivale de cette session extraordinaire.
Dont acte. Mais, compte tenu du chamboulement qui s'annonce et de la gravité des conséquences qui découleront du texte que vous nous proposez sur une question aussi essentielle pour l'avenir de la République, il est une exigence dont le Gouvernement ne devrait pas s'affranchir : celle de consulter le peuple sur l'ensemble de la réforme.