Intervention de Professeur

Réunion du 9 juillet 2013 à 9h00
Commission des affaires sociales

Professeur :

Le débat a un peu progressé : même si l'on retrouve certains blocages habituels, les questions ont pris une tournure différente, ce qui me réjouit.

Madame la présidente, dans le « binge drinking », on trouve majoritairement des alcools industriels, notamment de la bière. Il peut y avoir aussi du vin, mais il ne s'agit pas du produit principal.

L'alcool et le cannabis représentent les deux problèmes les plus graves. Ils entraînent peu d'addictions : moins de 5 % des consommateurs sont dépendants, mais l'alcool étant très consommé, il provoque des dommages relativement importants. Il faut apprendre aux consommateurs à faire la distinction entre consommation et addiction et à savoir à partir de quand ils doivent essayer de modifier leur comportement.

Quant à la prise en charge des seringues en prison, nous l'avons évoquée avec les spécialistes de la justice et de la police et elle a suscité de vastes débats ; nous l'avons proposée de façon expérimentale. Si tous les acteurs considèrent qu'elle conduit à une diminution des infections dans le milieu pénitentiaire, elle suscite des inquiétudes importantes chez les gardiens de prison : il faut donc procéder prudemment.

Par ailleurs, l'expérience a montré que la délivrance de la méthadone en ville serait utile sous certaines conditions de formation et de contrôle des médecins amenés à la prescrire. Cela étant, une politique de réduction des risques peut toujours être perçue comme une autorisation à consommer ou une forme de laxisme, alors que les acteurs de soins constatent au contraire que, globalement, quelles que soient les mesures prises, une telle politique diminue les dommages.

Monsieur Touraine, si l'approche sur les addictions date des années 2000, elle a été reprise par les gouvernements successifs. Cependant, le plan addiction élaboré sous le Président Chirac n'a pas figuré parmi les priorités du Président Sarkozy, et nous avons vu sur le terrain que cela s'est traduit par une diminution notable des investissements. Si ce plan n'est pas repris au plus haut niveau, les mêmes mécanismes de blocage, notamment sur la fiscalité ou le coût des soins, réapparaîtront.

Pour la prévention et l'action précoce, il faut développer les soins aux urgences, dans les hôpitaux avec les équipes de liaison, dans les CSAPA et par les médecins généralistes dans le cadre de réseaux de soins comportant obligatoirement un volet addictions. Sur les 450 questions de l'internat, une seule portait sur l'ensemble des addictions, ce qui montre que les médecins ne sont guère formés à ce sujet. Cela étant, petit à petit, leur entrée à l'hôpital et à l'université leur permet d'être plus compétents sur ces pathologies, de s'y intéresser et de considérer qu'elles font partie de leurs pratiques. Mais à Lyon, par exemple, il n'y a pas de service d'addictologie à l'université, faute de culture universitaire dans ce domaine.

S'agissant du calendrier, Mme Jourdain-Menninger devrait rendre public son plan début septembre.

Monsieur Perrut, je suis parfaitement conscient de la richesse du patrimoine vini-viticole et je sais combien il attire les touristes. J'ai moi-même plaisir à consommer du vin. Toutefois, l'approche binaire, schizophrénique, consistant à dire que c'est excellent, mais que certains en souffrent et doivent être soignés, n'est pas cohérente. Si l'on souhaite que la consommation d'alcool soit moins nocive, il faut faire prendre conscience que ce produit est globalement dangereux. Même les consommations limitées doivent susciter l'attention, de façon à éviter toute banalisation – nous avons un large débat avec la filière vini-viticole sur la modération, sur lequel nous pourrons revenir. En effet, le risque augmente même avec des petites quantités – c'est le cas pour l'alcoolisme foetal –, et ce, de façon exponentielle. Au-delà de cinq à dix verres, le danger devient important.

Cela pose la question du rapport entre les bénéfices et les risques – entre le plaisir pris à consommer et le risque acceptable pour un individu et la société. J'ai essayé de ne pas être culpabilisant, infantilisant ni trop coercitif.

S'agissant de l'éducation et de la prévention, les données dont nous faisons état ont été élaborées par des spécialistes pour l'Organisation mondiale de la santé (OMS), qui montrent que l'information n'apparaît pas comme ayant une efficacité directe, ce qui ne veut pas dire qu'elle n'est pas nécessaire pour créer un fond de compréhension sociale. Les mesures enregistrant la plus grande efficacité sont celles tenant aux soins et aux restrictions de l'offre. Je rappelle que 90 à 95 % de consommateurs d'alcool et de cannabis ne subissent pas de dommage.

En ce qui concerne la fiscalité, j'ai repris les analyses des spécialistes. Pour le tabac, son augmentation entraîne une diminution de la consommation, mais pas telle qu'elle est conçue : une hausse de la fiscalité de 1 % n'aura jamais d'effet, contrairement à celle de 10 à 15 % réalisée en 2007. Cela étant, elle pose en effet d'autres problèmes, tels que le développement des trafics, la possibilité de se fournir sur Internet et le fait que cela met les plus pauvres en difficulté.

Ces questions se poseraient de la même façon pour l'alcool si l'on augmentait la fiscalité qui le frappe.

Reste que, selon les études, l'augmentation du prix entraîne une diminution de la consommation. Si ce n'était pas le cas, la filière viticole ne serait pas inquiète.

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