Intervention de Professeur

Réunion du 9 juillet 2013 à 9h00
Commission des affaires sociales

Professeur :

Oui, surtout ceux qui ont moins d'argent. L'effort doit d'ailleurs porter prioritairement sur les jeunes, notamment les moins de 18 ans, ce qui est compliqué car il est difficile d'interdire la vente et la consommation d'alcool et de tabac à cet âge. Une proposition tend à demander aux acheteurs de moins de 25 ans de montrer leur carte d'identité, comme cela s'est fait dans les pays d'Europe du Nord, notamment en Finlande.

Il n'y a pas de réponse simple et univoque : il faut recourir à une série de mesures complémentaires, dont on peut espérer qu'elles feront diminuer petit à petit un certain nombre de dommages.

La réduction considérable de la consommation d'alcool, notamment de vin, en France depuis une dizaine d'années a permis de réduire les complications liées aux consommations régulières, telles que la cirrhose ou l'encéphalopathie alcoolique. Deux tiers de l'alcool consommé étant constitués par le vin, un certain nombre de complications est encore lié à celui-ci, y compris pour des consommations aiguës.

On voit par ailleurs apparaître des alcoolisations industrielles, qui font l'objet de promotion sur Internet. Nous proposons de limiter celle-ci aux sites autorisés. Si l'on maintenait la promotion sur Internet pour les alcools forts et industriels, on ne pourrait s'exonérer d'une responsabilité à l'égard des jeunes de 15 à 30 ans qui sont victimes d'alcoolisme.

Au sujet de la critique qui m'est faite d'attaquer le vin en banalisant la consommation de cannabis, je dirais que le premier fait partie de notre culture et que le second y est entré. Si la contraventionnalisation de l'usage du cannabis que nous proposons – qui implique une modification de la loi – peut être perçue par certains comme une dépénalisation et une forme de laxisme, elle aura l'avantage d'offrir une sanction applicable et de permettre de sensibiliser davantage les familles et les jeunes sur les dangers de ce produit. En effet, aujourd'hui, moins de 10 % des consommateurs de cette drogue sont interpellés et un tout petit nombre d'entre eux se voit réellement infliger une peine. Dans la plupart des cas, ces affaires, qui permettent aux policiers de « faire du chiffre », se terminent par un rappel à la loi, dont on sait qu'il n'a aucun effet : cela n'empêche pas la consommation d'augmenter ni la criminalité de se répandre.

Cela étant, notre société n'est pas prête à une dépénalisation dans ce domaine, même si la question d'une régulation par l'État, comme c'est le cas pour le tabac, l'alcool ou les jeux, devra peut-être se poser un jour.

Si, globalement, l'effort doit porter en priorité sur les jeunes de moins de 18 ans, ce sera plus difficile pour les étudiants, auxquels il n'est pas aussi aisé d'imposer des interdictions, même s'il s'agit d'un public à risques.

Quant aux bars à chicha, ils renvoient à la modification de notre culture. La consommation de chicha pose globalement les mêmes problèmes que le tabac. On pourrait d'ailleurs imaginer d'interdire celui-ci, qui est le produit le plus nocif et apportant le moins de plaisir individuel. Certains pays se sont donné comme objectif de l'éradiquer à un horizon de vingt ou trente ans : je ne sais cependant si c'est raisonnable.

Concernant les jeux d'argent, on constate une évolution des jeux traditionnels vers les jeux en ligne, qui sont plus nocifs et de plus en plus addictogènes – dans la mesure où ils sont faciles et où l'on y joue seul. De plus, on peut faire confiance aux fabricants pour proposer des produits qui séduisent et ne pas se donner les moyens de repérer les personnes consommant trop ! Par ailleurs, si la Française des jeux a un beau site de prévention, il n'est consulté que par moins de 0,5 % des joueurs. Il faudrait en fait pouvoir repérer les gens qui se mettent en danger sur les sites de jeux.

Je rappelle que l'État met des loteries en place lorsqu'il rencontre des difficultés budgétaires : ce fut le cas pour l'ouverture des jeux en ligne. L'inquiétude qu'ils ont suscitée a conduit à la création de l'ARJEL et d'une taxe censée servir à la prévention et aux soins. Mais cette taxe, qui a été instaurée il y a trois ou quatre ans, a été détournée : l'INPES en a été privée et aucune stratégie de prévention n'a été mise en oeuvre. Quant aux dispositifs de soins, ils ont été mis en place il y a un an, pour des raisons aisées à comprendre, et seulement de façon partielle. L'idée est que le payeur est celui qui crée des dommages : ce qui a été mis en place pour les jeux pourrait être utilisé pour les autres produits légaux susceptibles de provoquer des addictions.

Si je ne peux être que d'accord avec M. Aboud sur la place de l'alcool, notamment le vin, dans notre économie, cela ne doit pas empêcher de se donner les moyens de se protéger. On pourrait à cet égard limiter la promotion aux sites de production et d'oenotourisme.

Je rappelle que l'alcool est le produit qui détruit le plus les cellules cérébrales – ce qui n'est pas le cas du cannabis, de l'héroïne ou de la cocaïne, qui ne modifient que les récepteurs et les circuits.

Les moyens dont nous disposons reposent sur les CSAPA et les services hospitaliers. Mais il est presque plus facile d'augmenter les moyens des services de soins et médico-sociaux que d'avoir une action sur la législation ou la fiscalité.

J'ai consacré une fiche aux psychotropes, mais il est très difficile d'agir sur leur surconsommation.

Par ailleurs, je ne pense pas avoir une approche hospitalo-centrée, car j'insiste sur le médico-social, sur les acteurs de première ligne, sur la formation dans les facultés de médecine, de pharmacie et pour les infirmières, sur la nécessité, pour les professionnels de santé, de prendre les addictions en compte.

En ce qui concerne les ivresses publiques, nous souhaitons qu'elles donnent lieu à une évaluation addictologique par un médecin ou un psychologue ayant reçu une formation adéquate.

Enfin, s'agissant des salles de consommation supervisée à moindre risque – je n'aime pas le terme « salle de shoot » –, les données scientifiques montrent qu'elles réduisent les dommages chez les consommateurs et permettent d'accéder aux soins à plus ou moins long terme. Lorsqu'elles sont conçues avec les précautions nécessaires et en collaboration avec la police, elles n'entraînent pas d'augmentation de la délinquance et de la criminalité dans leurs environs, et ne font pas venir plus de toxicomanes qu'auparavant. Mais l'idée que l'on donne une autorisation de consommation suscite des blocages.

Je pense que cet outil aurait dû être présenté dans le cadre d'une palette plus générale de mesures, parmi lesquelles les salles de consommation en milieu médical, qui sont beaucoup plus faciles à contrôler et efficaces, mais nécessitent que les gens veuillent se soigner.

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