Intervention de Philippe Nauche

Réunion du 17 juillet 2013 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Nauche, rapporteur :

Je partage ce qui vient d'être dit. Il me revient maintenant d'exposer les enseignements que l'on peut tirer de l'opération Serval.

Le premier enseignement à tirer a trait à la coopération sur le terrain et au rôle joué par la Mission internationale de soutien au Mali (MISMA) mais aussi par la population malienne. En effet, il faut souligner que les contingents africains de la MISMA et ceux qui leur sont associés, comme ceux du Tchad par exemple, l'armée malienne et, de plus en plus fréquemment, la population elle-même - qui rassurée par la reconquête du territoire malien et le retour progressif des institutions étatiques, n'hésite plus à fournir des renseignements humains aux militaires qui contribuent ainsi utilement à la découverte de caches d'armes et de stock de munitions- ont fourni une contribution non négligeable à l'opération Serval.

Il y a également des leçons à tirer en termes de déficits capacitaires qui n'ont pu être comblés – au moins partiellement – qu'avec l'appui de nos alliés. Si la France a démontré sa capacité à entrer en premier sur le théâtre malien, le constat doit être modéré par le fait que l'on avait affaire, en face, à une force technologique de niveau moyen.

Des lacunes capacitaires ont ainsi été relevées en matière de capacités de projection, tant stratégique que tactique. Si plus de la moitié des capacités françaises en matière de ravitaillement en vol ont été déployées sur le théâtre malien, celles-ci se sont révélées insuffisantes. Cette dépendance à nos alliés limite fortement notre autonomie stratégique, qui est pourtant le fondement de la stratégie française depuis plusieurs décennies.

En second lieu, l'opération Serval a confirmé les limites de certains matériels existants, le plus souvent anciens. On peut citer comme exemple le cas de l'hélicoptère Gazelle, qu'il est impossible, aux dires des utilisateurs, de faire évoluer pour recevoir des kits de protection en fonction du niveau de menace. La perte de deux hélicoptères Gazelle et le décès tragique d'un des pilotes, le chef de bataillon Damien Boiteux, dès les premiers temps de l'opération Serval, rappellent la vulnérabilité intrinsèque de ce modèle d'hélicoptère. On peut également citer le cas du drone Harfang, qui n'offrait sur la totalité des zones d'opérations que 14 heures de présence continue en vol et ne permettait donc pas de remplir des missions de couverture « information, surveillance et renseignement » (ISR) de façon permanente, compte tenu des élongations. On peut encore citer le cas de l'hélicoptère Puma qui a un rayon d'action trop faible pour couvrir la totalité des zones d'intervention de nos forces au Mali, ce qui a nécessité de disposer de points de ravitaillement au sol.

Par ailleurs, notre rapport insiste sur le fait que la crise malienne a montré les limites des mécanismes européens de gestion de crise existants, même si la détérioration de la situation sécuritaire en janvier 2013 et le déclenchement de l'opération Serval a significativement accéléré le processus de planification opérationnelle de la mission européenne de formation de l'armée malienne (EUTM Mali), créée plusieurs mois auparavant. La mutualisation de fait de moyens européens, sur la base du volontariat, montre qu'une Europe pragmatique de la sécurité et de la défense n'est peut-être pas hors d'atteinte mais qu'elle a un certain nombre de limites qui ont trait à la capacité à décider. Une des caractéristiques de l'opération Serval est en effet d'avoir été menée de façon autonome, avec un processus de décision d'une grande rapidité, ce qui n'est pas une caractéristique du processus de décision européen.

Notre rapport indique également que si l'opération Serval a confirmé les progrès de l'interarmisation, celle-ci peut encore être approfondie, en particulier dans le domaine de l'interopérabilité des moyens d'information et de communication conventionnels, satellitaires et en transmissions de données. Il ressort également de nos travaux que l'opération Serval a montré certaines limites dans le partage et la fusion en temps réel du renseignement, notamment avec les forces spéciales.

Comme d'habitude, le problème du financement des opérations extérieures s'est posé à l'occasion de l'opération Serval qui a engendré, comme pour toute opération extérieure, des surcoûts importants et difficilement maîtrisables. Selon les évaluations fournies à vos rapporteurs par le ministère de la Défense, les opérations au Mali entraînent des surcoûts qui peuvent être évalués à 250 millions d'euros à la fin du mois de mai 2013, constitués à la fois de dépenses de masse salariale et de dépenses de fonctionnement.

Nous sommes heureux de voir que le Livre blanc de 2013 intègre déjà certains enseignements de l'opération Serval : importance du principe d'autonomie stratégique pour nos interventions extérieures ; mention des lacunes capacitaires observées à l'occasion de l'intervention française ; confirmation de la place et du rôle des forces spéciales ; pertinence des forces pré positionnées en Afrique ; nécessité de consolider le dispositif d'alerte de l'armée de terre « Guépard » ; rappel de l'articulation du dispositif de défense français avec les mécanismes européens et internationaux de sécurité et de défense.

Toutefois, la prochaine loi de programmation militaire devra organiser le comblement de ces lacunes et devra en préciser les conditions de réalisation. C'est véritablement un des enjeux majeurs de cette LPM.

Enfin, la dernière partie de notre rapport se penche sur le scénario de sortie de la crise malienne. En effet, si la guerre est gagnée, la paix ne l'est pas encore.

Avec le désengagement progressif, relativement rapide quoiqu'un peu en retard par rapport au calendrier annoncé, de l'armée française, la sécurité du Mali devrait reposer à l'avenir sur les forces armées maliennes, sur les casques bleus de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) et sur les éléments français appelés à rester sur place à plus long terme. Ces derniers joueront, à partir de 2014, un rôle d'appui aux Forces armées maliennes ainsi qu'à la MINUSMA.

Par ailleurs, nous analysons dans notre rapport la transition vers les forces africaines et multinationales, avec la MINUSMA qui a entamé sa montée en puissance – avec un objectif final de 11 000 soldats, 1 400 policiers et un millier de civils – et le rôle des pays frontaliers du Mali (Algérie, Burkina Faso, Mauritanie, Niger) dans la stabilisation du pays.

S'agissant du règlement de la crise politique malienne, le processus électoral semble enfin en bonne voie, avec l'annonce des dates de l'élection présidentielle, dont le premier tour devrait se tenir le 28 juillet et le second le 11 août, tandis que le processus de réconciliation nationale, qui demandera du temps, connaît de premiers succès avec la mise en place d'une Commission nationale de dialogue et de réconciliation, et la signature, en juin 2013, d'un accord de cessez-le-feu entre les autorités maliennes et les groupes touaregs stationnés autour de Kidal.

Notre conviction est que la stabilisation du Mali ne sera pas accomplie par la seule résolution de la question sécuritaire : elle nécessite aussi de reconstruire un État et une économie que des années de clientélisme et de tolérance à divers trafics avaient minés, sinon détruits.

Après la reconstruction de l'État dans ses missions régaliennes – avec notamment la mise en place de services douaniers suffisamment robustes pour lutter contre les trafics et la corruption – le redéploiement des services publics élémentaires – eau, électricité, structures sanitaires, infrastructures scolaires – constitue donc une priorité, mise en avant par les autorités civiles rencontrées à Gao. Les membres de la mission d'information ont pu mesurer combien la population locale appréciait la reconstruction, financée par la force Serval, du marché couvert de Gao. Symboliquement, ce marché porte le nom du lieutenant Damien Boiteux, premier mort français de l'opération.

En conclusion, la France a certes remporté une victoire militaire au Mali, mais le pays n'est pas encore totalement stabilisé, la reconstitution des forces armées maliennes prendra du temps et le risque djihadiste au Sahel n'est pas éliminé. Nul doute que la stabilisation de l'ensemble de la région nécessitera donc une approche politique globale dépassant largement un cadre purement militaire.

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