Intervention de Andreas Kortenkamp

Réunion du 17 juillet 2013 à 15h00
Commission des affaires européennes

Andreas Kortenkamp :

Vous voulez sans doute parler des effets dits « épigénétiques » des pesticides. Des articles sont parus dans des revues scientifiques à ce sujet, un débat est en cours et il faut continuer les recherches. D'un point de vue plus pratique, des expériences impliquant des pesticides menées en laboratoire sur des animaux, notamment des rats, ont montré qu'une exposition pendant la grossesse entraîne des effets irrémédiables de démasculinisation mais l'on ignore encore si ces effets sont transmis sur plusieurs générations.

Nous de possédons pas de preuves scientifiques concernant les effets sur les êtres humains et, compte tenu de la réglementation européenne, fondée sur l'épidémiologie, il est impossible de les vérifier. Pour prouver des effets délétères sur l'être humain, il faut que ceux-ci soient déjà très forts et donc que le danger soit par conséquent très grand. Or c'est précisément ce que nous voulons éviter. Il n'est pas admissible d'attendre de voir les impacts sur la population humaine car ce serait alors déjà trop tard.

Oui, il existe bien un lien entre bisphénol A et diabète, des éléments tendent à le prouver. La France a donc pris une excellente décision en interdisant l'utilisation du Bisphénol dans les emballages et conditionnements. Mais la France n'est pas une île : pour que le décret soit pleinement efficace, cette mesure doit également être adoptée par les autres États de l'Union européenne.

Des pseudo-mesures sont motivées par la volonté de faire croire que l'on agit et calmer le grand public, comme l'interdiction des phtalates dans les jouets, afin d'éviter que de de jeunes enfants « machouillent » des substances nocives. Mais il ressort des recherches sur les perturbateurs endocriniens que l'intervalle de temps le plus problématique est la période où l'enfant est dans le ventre de sa mère. Cette réglementation est donc insuffisante : ce sont les femmes enceintes qu'il faudrait prioritairement protéger d'une exposition.

Le principe de précaution, défini et ancré dans les traités de l'Union européenne, découlant aussi de la Conférence de Rio de 1992, n'a rien à voir avec l'esprit du règlement sur les produits phytosanitaires, qui pose des limites fondées sur le risque inhérent aux produits cancérigènes, mutagènes, etc., ayant un impact sur le système reproductif. Mais le principe de précaution n'est pas en cause car il y a de bonnes raisons pour refuser, sur les marchés, la présence de produits chimiques comportant ces caractéristiques. Telle est l'analyse de la Commission européenne, qui essaye donc de mettre en oeuvre une législation appropriée, mais il existe un risque de confusion. Des sociétés et des experts en toxicologie aiment les études de risques et cherchent surtout à établir la dangerosité d'un produit chimique présent dans la nature et ayant un impact sur l'organisme. Mais la législation prévoit, pour certains pesticides, de ne pas attendre qu'ils passent dans la nature et la chaîne alimentaire, afin d'assurer une protection en amont. Les scientifiques n'ont pas à en discuter car cela relève de la volonté du peuple européen, c'est un règlement européen, avec des mesures d'application à mettre en oeuvre.

Le règlement sur les pesticides n'est pas inspiré par le principe de précaution mais par le principe de prévention, selon lequel, en cas de danger, il ne faut pas attendre des éléments scientifiques solides pour agir. C'est dans cet esprit que le prince Charles, furieux de se voir opposer des doutes sur le changement climatique, avait répondu par l'analogie de l'enfant malade : le médecin n'attend pas pour soigner l'enfant malade ; il n'attend pas de connaître les mécanismes sous-tendant la maladie dont l'enfant est victime.

Si le règlement sur les pesticides n'applique pas le principe de précaution, il n'en est pas moins utile : les perturbateurs endocriniens existent, ils sont dangereux ; il convient donc de ne pas attendre, de ne pas prendre prétexte de quelques doutes pour repousser le moment de légiférer.

Dans la déclaration de Berlaymont, nous avons suivi les avis de conseillers scientifiques du président Barroso : nous avons été convaincus et avons déclaré qu'il nous appartient de faire des recherches. Nous sommes financés par les deniers publics européens, c'est à nous de procéder aux recherches scientifiques.

Le consensus scientifique va au-delà des définitions, il porte sur de nombreux éléments scientifiques, sur des incertitudes aussi.

Pour définir les perturbateurs endocriniens, c'est la définition de l'OMS qui prévaut et elle est limpide. Mais il existe aussi des perturbateurs endocriniens potentiels. L'activité sur le système endocrinien n'est, pour sa part, pas définie. Si certains laboratoires emploient l'expression « substance active », c'est pour démontrer l'impact de certains facteurs chimiques sur des systèmes hormonaux. Pour démontrer l'effet délétère des perturbateurs endocriniens, il reste néanmoins nécessaire de procéder à des expérimentations sur l'animal.

Le besoin de définir des critères horizontaux, plutôt que des critères différents pour les pesticides, les produits industriels, les cosmétiques, etc., est manifeste. Toxicologie et toxicité ne suivent en effet pas nécessairement les arcanes juridico-politico-administratives ! C'est précisément à cet exercice de définition que la Commission européenne se livre.

La question des pesticides est bien abordée dans le règlement sur les produits phytosanitaires et nous n'avons jamais dénoncé les tests de l'OCDE, qui effectue un très bon travail. Ceux-ci permettent de détecter les perturbateurs endocriniens mais aussi de procéder à des validations : par exemple, si des tests effectués au Japon peuvent être validés aux États-Unis sans y être reproduits, c'est très bien. La législation européenne ne tire cependant pas toujours les leçons d'un test « validé OCDE » ; cela prendra du temps.

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