Intervention de Jérôme Ballarin

Réunion du 9 juillet 2013 à 16h00
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Jérôme Ballarin, président de l'Observatoire de la parentalité en entreprise :

Il importe que les hommes soient impliqués eux aussi dans le débat sur l'égalité et sur le projet de loi en préparation.

Alors que l'Observatoire de la parentalité en entreprise fêtera à la fin de cette année son cinquième anniversaire, 76 % des salariés parents déclarent que leur employeur ne fait pas grand-chose pour les aider à concilier vie professionnelle et vie familiale, deux adolescents sur trois décrivent le travail de leurs parents comme stressant, fatigant, voire très dur et, selon une ancienne enquête, quatre femmes sur dix se déclarent stressées à l'idée d'annoncer leur grossesse à leur manager. Ces trois chiffres témoignent qu'il faut inciter les entreprises à agir en faveur des salariés parents.

L'Observatoire promeut la signature d'une charte de la parentalité, signée à ce jour par près de 500 employeurs représentant quelque 3,5 millions de salariés, soit largement plus de 10 % de la population active. Nous avons également lancé voici quelques années un Tour de France des PME, qui nous a conduits notamment à Brest, sur la Côte d'Azur, à Lyon, au Puy-en-Velay ou à Thionville pour expliquer aux patrons de PME pourquoi ces sujets les concernent également et en quoi ils sont aussi des leviers de performance pour leurs entreprises – il est important de le rappeler en période de crise.

L'Observatoire de la parentalité s'emploie, par le biais de groupes de travail, de guides pratiques et de diverses actions, à pousser les employeurs à agir sur quatre champs principaux.

Le premier concerne tous les services qui facilitent le quotidien des salariés parents. Ce sont notamment les crèches et conciergeries d'entreprise, sur lesquelles nous avons publié un guide. Il peut s'agir aussi, comme c'est le cas dans une grande entreprise de conseil et d'audit, de la permanence d'un médecin pédiatre qui a accompagné 250 jeunes parents depuis trois ans. Ce dispositif, initialement fléché vers les jeunes mamans quittant le cabinet à partir de leur premier enfant, a été élargi aux jeunes pères. Ce pédiatre, qui a 30 ans d'expérience de l'accompagnement des familles et connaît bien le monde de l'entreprise, peut être saisi de sujets aussi divers que la culpabilité des jeunes mères qui laissent leur enfant à la crèche ou les difficultés de dialogue qu'éprouvent les jeunes pères avec des managers qui ne comprennent pas pourquoi ils doivent quitter une réunion à 18 heures.

La deuxième catégorie d'actions concerne le soutien financier, qui passe notamment par la compensation du salaire pour les hommes qui prennent leur congé de paternité, par des mutuelles avantageuses pour les familles – dont nos enquêtes révèlent que la moitié seulement des salariés déclarent en bénéficier – ou par la rémunération des examens prénataux, qui figure dans certaines conventions. Le soutien financier est la catégorie d'actions la plus plébiscitée par les salariés, ce qui est assez normal dans une période où il est beaucoup question du pouvoir d'achat.

La troisième catégorie d'actions, sans doute la plus structurante, concerne l'organisation du travail. Ces actions peuvent être toutes simples, comme celles qui consistent à éviter les réunions tôt le matin ou tard le soir, mais elles se heurtent à une culture du présentéisme à la française, où le fait de partir après 19 heures est un signe de motivation aux yeux de l'employeur, alors qu'il est plutôt perçu comme un signe d'inefficacité dans les pays anglo-saxons. Cette culture pénalise les femmes, qu'une deuxième journée attend souvent à la maison et qui doivent partir plus tôt, laissant les hommes créer le soir dans les couloirs ou les bureaux des réseaux informels où se font les carrières – y compris celles des femmes.

Les mesures dans ce domaine sont notamment l'application d'une certaine souplesse en matière d'horaires et de prise des congés, notamment du congé parental, ainsi que le télétravail. Celui-ci peine à se développer en France, où il concerne 16 % environ des salariés, contre 40 % au Royaume-Uni. Nous prônons un télétravail encadré, alors que des salariés de plus nombreux sont assujettis à un télétravail « gris » – qui consiste à rallumer son téléphone ou son ordinateur portable à la maison, voire le week-end.

Le télétravail permet à des salariés qui peuvent passer jusqu'à trois heures par jour dans les transports en commun de faire une pause. Il permet également de travailler sur des sujets de fond sans être dérangé, de réorganiser sa semaine et d'être plus disponible au bureau pour des réunions et pour le travail en réseau. Il devrait cependant être limité à un ou deux jours par semaine, afin de ne pas désocialiser les collaborateurs concernés.

Ainsi, aux termes d'un accord signé en 2007 à l'unanimité avec les syndicats, 2 000 des 7 000 salariés d'Alcatel Lucent en France télétravaillent depuis chez eux un ou deux jours par semaine. On pourrait également imaginer, en complément du télétravail à domicile, des formes de télécentres interentreprises situés en lointaine banlieue et où les entreprises pourraient réserver des places pour que leurs salariés puissent aller travailler, à proximité de leur domicile, un ou deux jours par semaine, lorsqu'ils ne peuvent pas le faire dans de bonnes conditions chez eux.

La quatrième catégorie d'actions, qui sera demain l'une des plus importantes, est la prise en compte de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale dans les processus de ressources humaines, afin de s'assurer que les parents ne soient pas discriminés dans leurs carrières. Entre également dans cette catégorie la sensibilisation des managers de proximité – les « N+1 », à qui l'on s'adresse pour demander un temps partiel ou un télétravail –, qui doivent porter au quotidien ces dispositifs. Nous agissons beaucoup et avons rédigé dans ce domaine un guide présentant, au moyen notamment de saynètes, des situations concrètes, comme l'annonce d'une grossesse ou de l'intention de prendre un congé de paternité, avec des conseils aux managers pour savoir quoi dire ou ne pas dire face à une telle situation.

Nos actions concernent autant les pères que les mères, car la nouvelle frontière de l'égalité entre les hommes et les femmes tient à l'implication des hommes dans ce domaine. Ceux-ci, en effet, qui sont encore souvent en position de pouvoir dans le monde professionnel, se sentent parfois menacés par l'égalité ou ne se sentent pas concernés par la question, et pourraient donc bloquer ce mouvement ou ne pas le soutenir, ce qui conduirait à adopter toujours plus de lois et de dispositifs coercitifs. Il faut donc montrer aux hommes que l'égalité entre hommes et femmes est une chance aussi pour eux, en réexaminant des concepts comme celui de « réussir sa vie ».

Il y a trente ans, « réussir » signifiait, au masculin, réussir professionnellement et, au féminin, réussir familialement. Aujourd'hui, les lignes se brouillent et tant les hommes que les femmes désirent réussir dans une pluralité de sphères d'épanouissement – familiale, mais aussi, entre autres, artistique, spirituelle ou sportive – et chaque individu doit forger son propre projet de vie. Travailler à ce que les femmes aient une meilleure place dans le monde professionnel, c'est travailler à faire évoluer les cultures et les organisations des entreprises au bénéfice des hommes aussi, qui sont parfois cantonnés dans une sorte de prison existentielle où ils ont l'obligation de réussir professionnellement. En leur faisant comprendre qu'une société plus équilibrée leur permettra d'avoir eux aussi leur propre projet et qu'ils pourront eux aussi partir un peu plus tôt pour aller faire du sport ou s'impliquer dans une association, on libèrera des énergies.

Tout ce qui précède explique que j'aie du projet de loi réformant le congé parental une vision tout à fait positive. C'est en effet la première fois, depuis la création du congé de paternité en 2001 par le gouvernement Jospin, qu'un projet de loi insiste autant sur l'implication des hommes. C'est un bon premier pas.

Il faut rappeler que le congé parental ne doit pas forcément être pris comme un bloc de six mois – ce qui peut effrayer certains hommes peu habitués aux congés –, mais qu'il peut être pris aussi à temps partiel ou pour une durée moins longue. Lors d'une émission de radio, Mme Neuville et moi-même avions demandé confirmation du fait que, dans le contexte de la réduction envisagée de la durée de ce congé, un congé de six mois pourrait bien être pris dès le premier enfant par le premier parent et par le second.

Le congé parental pourrait également permettre au père de prolonger son congé de paternité – dont je préconise par ailleurs l'allongement.

Le projet de loi prévoit également la conversion du compte épargne-temps en chèque emploi service universel (CESU), dispositif qui s'annonce intéressant.

Pour conclure, la puissance publique pourrait par exemple intervenir sur les points suivants.

Il conviendrait tout d'abord que tous les salariés aient un droit à télétravailler un jour par semaine, sauf dérogation obtenue d'une direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) pour des métiers ne le permettant pas, comme l'hôtellerie ou la restauration – mais je suis persuadé qu'en s'organisant, 70 % des emplois sont aujourd'hui éligibles au télétravail, y compris certains emplois de service où les tâches administratives pourraient être faites chez soi.

En deuxième lieu, il faudrait créer une protection juridique anti-licenciement pour les nouveaux pères dans le mois suivant la naissance d'un enfant : un père fatigué parce qu'il se lève plusieurs fois dans la nuit pour donner le biberon à son bébé bénéficierait ainsi d'une sécurité qui serait aussi, symboliquement, une reconnaissance de cette paternité active. Plus les pères s'impliquent tôt dans la vie des enfants, plus durablement ils seront impliqués : il ne faut pas attendre que l'enfant soit devenu un adolescent à problèmes pour se demander où est passé le père, mais plutôt s'efforcer d'impliquer ce dernier le plus tôt possible.

Il faut aussi, en troisième lieu, réfléchir au financement des absences des futurs pères pour assister aux examens prénataux et aux formations de puériculture dispensées dans les maternités. J'ai moi-même suivi ces séances et ma compagne a été rassurée de savoir que j'avais le même niveau de formation et de « compétence » qu'elle. C'était aussi une façon de m'impliquer davantage. Or, si les conventions collectives prévoient la participation des futures mères à ces formations, elles ne prévoient pas celle des futurs pères.

Il conviendrait enfin d'orienter, par l'intermédiaire des organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA), davantage de fonds de formation en direction des ateliers de sensibilisation des managers de proximité à tous ces sujets. On pourrait ainsi, dans le cadre d'une formation-action, faire jouer à ces managers l'annonce d'une grossesse, car certains hommes peuvent être mal à l'aise et ne pas savoir ce qu'ils peuvent dire ou ce qu'il convient de faire dans une pareille situation. On peut notamment leur conseiller d'accueillir la nouvelle avec le sourire plutôt que d'une façon culpabilisante, et d'accompagner cette situation dans un esprit positif.

Je conclurai en disant à nouveau combien l'égalité entre hommes et femmes constitue une arme anti-crise.

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