Intervention de Hélène Périvier

Réunion du 9 juillet 2013 à 16h00
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Hélène Périvier, économiste au département des études de l'Observatoire français des conjonctures économiques, OFCE, coresponsable du programme de recherche et d'enseignement des savoirs sur le genre :

Il y eu entre les années 1970 et les années 2000 une augmentation massive de la scolarisation des enfants de deux ans et demi à trois ans. À partir des années 2000, l'effectif a chuté, pour des raisons essentiellement budgétaires – l'État n'ayant pas d'obligation de scolariser les enfants de trois à six ans, c'est souvent sur l'école maternelle que portent les économies.

La question est d'abord de savoir comment scolariser les jeunes enfants, et ce point suscite une importante contestation. Il ne s'agit pas de scolariser cette tranche d'âge dans les mêmes conditions que les enfants de cinq ans, mais on constate aujourd'hui que certains enfants sont gardés en crèche ou chez une assistante maternelle à trois ans et demi, tandis que d'autres sont à l'école maternelle à deux ans et demi parce qu'ils sont nés en décembre, cette distinction s'expliquant plus souvent par le fait que des places sont disponibles à l'école que par une plus ou moins grande aptitude des enfants concernés à la scolarisation. La politique publique en la matière n'est pas pensée du point de vue du bien-être de l'enfant, de l'égalité entre les femmes et les hommes ou de l'efficacité, mais en fonction seulement des restrictions budgétaires, la scolarisation de l'enfant étant au bout du compte déterminée par son lieu de résidence et son mois de naissance.

Repensons cette question à rebours : si un enfant doit être socialisé à deux ans, cette socialisation n'est pas la même entre deux et trois ans qu'entre trois et quatre ans ou entre quatre et cinq ans. Il faudrait donc mettre en place les classes passerelles qui existent déjà dans certaines écoles et permettent le passage de la petite enfance à la préscolarisation, avec un accueil adapté à cet âge. Rattacher cette passerelle à l'école maternelle assure un ancrage physique sur le territoire. Ces classes accueilleraient au fil de l'année un flux d'entrées au coup par coup : l'enfant y entrerait à deux ans au titre de son droit à être socialisé. On éviterait ainsi l'effet massif de calendrier selon lequel les places en crèche se libèrent en septembre parce que les enfants sont scolarisés – de telle sorte qu'une femme qui accouche en janvier et veut reprendre son travail en avril doit attendre jusqu'à septembre une place pour son enfant. Ce système, je le répète, n'est pensé ni du point de vue de l'égalité des femmes, ni de celui de la socialisation de l'enfant. Les classes passerelles limiteraient cet effet et l'enfant serait accueilli à deux ans dans des conditions adaptées – qu'il conviendrait évidemment de définir en s'appuyant sur les travaux des pédopsychiatres et des psychologues, par exemple ceux de Sylviane Giampino. Il s'agirait donc de construire un droit à une socialisation de qualité à deux ans, sous la forme d'un service public conçu comme celui de l'école.

Ce service peut être financé par l'impôt, comme l'école, ou demander une participation des familles. Il s'agit, en tout état de cause, d'un modèle très différent de celui des jardins d'éveil, car il est foncièrement tourné vers la préscolarisation. Si un enfant peut être scolarisé à deux ans, tous les enfants doivent pouvoir l'être : c'est un droit fondamental.

Cette réorganisation permettrait de désengorger le système d'accueil collectif et de libérer des places en crèche. Or, la création de ces places est coûteuse et difficile à mettre en oeuvre sur le territoire, car elle suppose un cumul de besoins stables – une petite collectivité territoriale ne peut pas s'engager dans la construction d'une crèche si elle ignore comment les besoins évolueront. Une partie des fonds d'investissement destinés à la petite enfance dans les années 2000 n'a pas été dépensée, du fait des problèmes de gouvernance du développement des modes d'accueil mis en lumière notamment par un article de Sylvain Lemoine publié par le Centre d'analyse stratégique – article qui préconise la création d'une agence nationale ou régionale de la petite enfance destinée à gérer l'accueil des enfants de moins de deux ans. On pourrait ainsi analyser plus efficacement les freins à la création de structures collectives et envisager une organisation mieux maîtrisée des assistantes maternelles – métier dont la population vieillit et qu'il faut rendre attractif et professionnaliser, en offrant notamment des parcours professionnels plus ouverts. Il faut donc concevoir un parcours balisé et accompagné par les politiques publiques, avec un accueil collectif entre un et deux ans et un peu plus individualisé pour les moins d'un an.

L'investissement privé doit être secondaire, car ces parcours doivent d'abord être pensés collectivement. Nous ne devons certes pas nous interdire d'y faire entrer les acteurs privés – qui y sont du reste déjà –, mais ce ne sera jamais neutre pour les politiques publiques, car cette intervention s'accompagne d'une dépense fiscale sous forme d'aide de l'État, comme le crédit d'impôt lié aux crèches d'entreprise. L'intervention du privé peut être une aide, mais on ne peut fonder sur elle une politique de prise en charge de la petite enfance, qui doit être pensée en termes de service public de la petite enfance, avec une reconstruction des sommes allouées et des parcours conçus autour d'un enfant citoyen, investi de droits. Le droit de l'enfant est un droit plus fondamental que le congé parental, qui peut être réduit.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion