Intervention de Philippe Bies

Réunion du 17 juillet 2013 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Bies, rapporteur pour avis :

Le projet de loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, présenté par Mme Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement, est un texte ambitieux. Il vise en effet, selon l'exposé de ses motifs, à développer « une stratégie globale, cohérente et de grande ampleur, destinée à réguler les dysfonctionnements du marché, à protéger les propriétaires et les locataires, et à permettre l'accroissement de l'offre de logements dans des conditions respectueuses des équilibres des territoires. »

Le projet de loi comporte 84 articles, distribués entre quatre titres.

Le titre Ier a pour objet de favoriser l'accès de tous à un logement digne et abordable : il instaure ainsi des mécanismes d'encadrement et de garantie universelle des loyers ; il modernise et réorganise les professions immobilières ; il renforce les outils de régulation et de gouvernance qui régissent le secteur de l'hébergement et il reconnaît les nouveaux modes d'habitat, comme l'habitat participatif.

Le titre II est consacré à l'amélioration du parc existant, à travers le renforcement des dispositifs de lutte contre l'habitat indigne, la modernisation des règles de fonctionnement des copropriétés et, pour les plus dégradées de celles-ci, l'engagement d'un effort de requalification.

Le titre III est constitué d'un ensemble de dispositions améliorant la lisibilité et l'efficacité des politiques du logement, comme la transparence dans le processus d'attribution des logements sociaux, ou la modernisation et le renforcement des moyens de pilotage des politiques nationales et locales du logement.

Quant au titre IV, il comprend un ensemble de mesures en matière d'urbanisme, visant à accroître l'effort de construction de logements – objectif que nous partageons tous – tout en freinant l'artificialisation des sols et en luttant contre l'étalement urbain : rénovation des règles d'urbanisme, politique d'anticipation foncière, planification stratégique et modernisation des procédures et des outils d'aménagement.

Alors que la commission des affaires économiques, saisie au fond, a désigné deux rapporteurs en son sein, la nôtre a décidé de se saisir pour avis du titre IV de ce projet de loi, qui entre le plus directement dans le champ de ses attributions.

Le présent projet de loi est le fruit de plusieurs mois de concertation. L'ensemble des acteurs du secteur ont été consultés et invités à faire part de leurs observations, remarques et critiques. Nombre d'entre eux, rencontrés conjointement par les rapporteurs des commissions des affaires économiques et du développement durable, ont tenu à saluer l'ouverture d'esprit des discussions préparatoires et la reprise de certaines de leurs propositions dans le texte.

La qualité du travail réalisé en amont constitue le gage d'une meilleure acceptabilité du projet de loi par les collectivités locales, par les établissements et par les professionnels qui auront à en assurer la mise en oeuvre.

S'agissant du titre IV, nous pouvons nous en remettre aux réflexions de nos collègues de la commission des affaires économiques pour ce qui concerne l'expertise de procédures relevant spécifiquement du droit de l'urbanisme et de l'aménagement foncier, que le projet de loi entreprend de moderniser, de simplifier ou de sécuriser. L'essentiel de mes propositions visera donc à s'assurer que les dispositifs proposés soient réellement applicables et à garantir une prise en compte optimale des objectifs environnementaux et écologiques dans les documents d'urbanisme.

Certains aspects du projet de loi feront légitimement débat entre nous, comme le SCoT intégrateur – seul document auquel le PLU sera demain opposable – et la généralisation des plans locaux d'urbanisme intercommunaux. La définition d'une vision stratégique de l'aménagement à l'échelle régionale devrait être intégrée dans ce texte ou dans un autre à venir pour compléter un dispositif à trois étages : le PLU, le SCoT et le schéma régional d'aménagement et de développement durable du territoire (SRADDT).

Le délai de mise en conformité du droit existant avec les nouvelles dispositions pose également question, tout comme l'existence de capacités d'ingénierie au niveau local ou l'encadrement de l'urbanisme commercial. Sur tous ces aspects, le projet de loi comporte des avancées importantes, qui doivent être soutenues si l'on veut réellement lutter contre l'étalement urbain et proposer un aménagement cohérent.

Il n'en reste pas moins que certaines critiques, nourries de l'expérience pratique des politiques publiques, doivent être entendues. Ainsi, il nous faut prendre en compte les réserves émises par l'Association des maires de France (AMF) sur le transfert automatique de l'élaboration du PLU aux communautés d'agglomération et aux communautés de communes. Il appartiendra aux parlementaires de trouver un compromis qui ne remette pas en cause le mouvement d'ensemble : cela pourrait passer par la garantie explicite que le document intercommunal sera élaboré en coopération avec les élus municipaux, par la révision de certains délais qui rendrait acceptable – voire simplement applicable – certaines dispositions du texte, par l'introduction d'une flexibilité supplémentaire reposant sur une distinction entre la date limite d'engagement de la démarche d'élaboration et la date limite d'approbation du document intercommunal, ou encore par l'organisation d'un débat annuel sur la politique d'urbanisme de l'intercommunalité, associant l'ensemble des maires concernés.

Le fait que divers projets de loi – en cours d'examen devant le Parlement ou simplement annoncés – abordent des questions identiques complique notre tâche : c'est le cas des plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUI) et de la compétence logement – notre Assemblée examine cette semaine le projet de loi relatif à la modernisation de l'action publique territoriale et à l'affirmation des métropoles, adopté en première lecture par le Sénat le 6 juin 2013 –, du rôle de la commission départementale des sites et de la commission départementale de consommation des espaces agricoles (CDCEA) – renvoyé au projet de loi d'avenir agricole, en cours de concertation et attendu pour l'automne 2013 – ou du renforcement des dispositions en faveur de la biodiversité – un projet de loi est attendu au premier semestre 2014.

Je souhaite d'autre part qu'une série de dispositions fiscales permettant d'accompagner et de conforter les objectifs poursuivis par ce texte trouvent leur place dans le projet de loi de finances pour 2014.

D'autres points soulèvent des interrogations et il appartiendra au débat parlementaire de les trancher : il en va ainsi de la suppression des zones d'aménagement commercial – dont devrait découler la suppression du document d'aménagement commercial et l'intégration du commerce dans le cadre normal du SCoT –, de la généralisation de la remise en état des friches commerciales y compris pour des territoires non couverts par un SCoT, de la disparition de l'enquête publique prévue à l'article 82 du projet de loi ou encore de l'opportunité de préciser certains concepts comme celui de « potentiel de densification », utilisé à l'article 73.

J'ai surtout voulu enrichir le projet de loi sur la prise en compte de la biodiversité et des continuités écologiques ; je soumettrai donc à votre appréciation un certain nombre d'amendements allant en ce sens. Je vous proposerai ainsi la création d'un nouvel outil : les « espaces de continuité écologique », auxquels sera dédié un nouveau chapitre II au titre III du livre I du code de l'urbanisme ; je souhaiterais de même que vous me suiviez sur l'extension de la possibilité de réserver certains emplacements à la préservation des continuités écologiques. Il y a également lieu de mieux prendre en compte les enjeux de biodiversité dans le diagnostic du rapport de présentation du SCoT et du PLU, sans toutefois aller jusqu'à proposer un inventaire spécifique.

Il conviendrait en outre d'introduire dans notre droit le concept de « coefficient biotope de surface » (CBS), pensé comme une compensation à la suppression du coefficient d'occupation des sols. Ce CBS pourrait être introduit dans le code de l'urbanisme – à titre facultatif dans un premier temps – pour encourager les territoires vertueux s'inspirant de l'expérience berlinoise, et pour sécuriser leurs démarches. Un rapport pourrait évaluer ce dispositif et se prononcer sur sa généralisation.

J'espère également que vous soutiendrez mes amendements tendant à lutter contre l'artificialisation des sols par la limitation de la création de parkings de surface et par la clarification du rôle et de la composition des commissions départementales des sites et des commissions départementales de consommation des espaces agricoles.

Nous devons apporter toute notre attention au texte qui nous est aujourd'hui soumis, car il est bien évident qu'il constituera l'un des projets de loi les plus importants de la présente législature et qu'il réorientera substantiellement certaines composantes de notre droit pour plusieurs années. Les membres de notre Commission ne s'y sont d'ailleurs pas trompés au vu du nombre et de la qualité des amendements déposés.

Ce texte tire aussi les leçons de la crise d'un modèle de développement arrivé à bout de souffle – nous sommes nombreux à en avoir conscience quelles que soient nos sensibilités politiques – en tentant de proposer une alternative à un urbanisme qui consomme l'espace, repousse l'agriculture loin des lieux de consommation, génère des dépenses inutiles et provoque aussi parfois le repli sur soi et le rejet de l'autre.

Cette alternative réside dans la densité – ou plutôt dans l'intensité – urbaine, qui permet le mélange de plusieurs fonctions en un même lieu. Elle est la seule à même de lutter efficacement contre l'étalement urbain et l'artificialisation des sols, mais elle ne peut pas être déclinée uniformément dans chaque partie du territoire et elle doit intégrer les exigences de la biodiversité. Tel est le point d'équilibre que nos débats devront faire émerger.

Je vous proposerai naturellement d'adopter ce projet, après l'avoir amélioré pour qu'il prenne mieux en compte les enjeux de développement durable auxquels nous sommes tous sensibles.

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