Intervention de Ramon Fernandez

Réunion du 3 juillet 2013 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Ramon Fernandez, directeur général du Trésor :

La direction générale des finances publiques (DGFiP) pilote l'action administrative dans la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, mais la direction générale du Trésor (DG Trésor) travaille en étroite collaboration avec elle sur ces sujets. Mon homologue de la DGFiP, M. Bruno Bézard, et moi-même avons d'ailleurs mis en place il y a quelques mois un groupe de coordination chargé de préparer les réunions internationales – du G20, du G8 et de l'Ecofin, notamment – où sont traitées les matières fiscales.

Notre action a connu une accélération ces dernières semaines ; elle s'inscrit dans un cadre général de combat contre les juridictions non coopératives (JNC) et s'articule autour de trois grands axes.

Le premier concerne l'identification des JNC – les pays qui présentent des défaillances et qui ne coopèrent pas au niveau international en matière de transparence fiscale, de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, et de supervision prudentielle –, tâche réalisée au sein du conseil de stabilité financière pour le volet prudentiel, du GAFI pour la partie blanchiment, de l'OCDE et surtout du Forum mondial pour la dimension fiscale. Cette identification – que les Anglo-Saxons appellent « name and shame » – vise à inscrire des États sur des listes afin que la pression médiatique permette quelques changements ; on notera toutefois que certains pays considèrent que cette approche est excessive et va à l'encontre de l'esprit de coopération.

Le deuxième pivot de notre politique repose sur la promotion d'une plus grande transparence des personnes morales et des « constructions juridiques » – terme pudique pour évoquer les trusts –, action essentielle pour les luttes contre le blanchiment et contre la fraude fiscale, qui sont étroitement liées.

Le dernier pilier vise à renforcer le cadre législatif et réglementaire – international comme national – afin de rendre la traque de l'évasion fiscale et du blanchiment plus efficace.

Tous ces thèmes comportent une forte dimension internationale, puisque l'action dans un seul pays est condamnée à l'impuissance. Lorsque les Etats opposés à toute évolution parviennent à bloquer les avancées dans les instances internationales en charge, le rôle d'impulsion du G20 est fondamental. Le G20 de Londres, en 2009, a lancé un mouvement qui, s'il n'a pas donné tous les résultats escomptés, a permis de fonder le concept de JNC autour des questions fiscales, prudentielles et de blanchiment ; depuis 2009, la France a obtenu qu'une référence à ce thème figure dans chaque communiqué du G20. Cela donne de la visibilité aux instances compétentes – OCDE, Forum mondial, GAFI et conseil de stabilité financière – et permet de réaliser quelques avancées. L'OCDE publia une première liste de paradis fiscaux en 2009, innovation importante, mais obtenue de haute lutte. Si aujourd'hui la liste est presque vide et sa portée limitée, elle a permis d'enclencher un premier mouvement, et d'inciter les Etats qui y figuraient à signer au minimum douze accords de coopération bilatérale pour en sortir.

L'élan de ces derniers mois résulte notamment d'Offshore Leaks et de la lutte contre les déficits publics qui rend insupportable le contournement de l'impôt. Nous avons pu constater ce tournant lors de l'Ecofin informel tenu à Dublin en avril, au cours duquel les ministres des finances français, britannique, allemand, italien, espagnol et polonais ont affirmé la nécessité de prendre des initiatives dans ce domaine. Cela a conduit, dès la semaine suivante lors de la réunion du G20 à Washington, à l'adoption de nouvelles résolutions : échange automatique d'informations – appelé à devenir le nouveau standard international – et nécessité de mettre à l'ordre du jour la question des trusts – mot qu'un communiqué du G20 employait pour la première fois. Ensuite, la réunion du G8 sous présidence britannique en juin a consolidé cette approche. Ainsi, en deux mois, l'initiative européenne fut endossée par le G20, puis par le G8. La prochaine réunion ministérielle du G20, prévue dans quinze jours à Moscou, préparera le prochain sommet du G20, programmé en septembre à Saint-Pétersbourg, et traitera de ces sujets sous quatre angles différents.

Le premier touche à l'échange automatique d'informations à des fins fiscales ; nous sommes en effet convaincus que la coopération internationale ne peut pas reposer exclusivement sur des demandes d'informations. Un échange automatique d'informations permettra d'obtenir beaucoup plus rapidement des identifications utiles ; cette notion ne faisait pas consensus, mais la réunion du G20 à Washington a opéré une rupture. Les États-Unis ont élaboré un standard – qui ne sera pas forcément repris au plan international – avec le Foreign Account Tax Compliance Act (FATCA), loi sur la conformité fiscale des comptes étrangers, dont les Européens s'inspirent. Notre objectif vise à soutenir l'OCDE qui a été mandatée pour élaborer la référence internationale à laquelle se rallieraient l'ensemble des États membres et que pourrait reprendre le G20 à Saint-Pétersbourg.

La deuxième priorité est d'obtenir la transparence des personnes morales et des trusts. Depuis quelques années, les communiqués du G20 promeuvent une transparence des personnes morales conforme aux exigences du GAFI. Comme vous l'avez affirmé, madame la présidente, ces structures juridiques opaques constituent des vecteurs privilégiés pour le blanchiment des capitaux. Le communiqué du G20 d'avril a mentionné pour la première fois l'attention particulière qu'il convenait de porter aux trusts. Le G8 sous présidence britannique a endossé cette position, progrès significatif puisque le Royaume-Uni ne défendait pas cette position précédemment ; en outre, les États du G8 se sont engagés lors du sommet de Lough Erne à publier des plans d'action nationaux pour améliorer la transparence des sociétés et des autres constructions juridiques – y compris les trusts – au moment du G20 de Saint-Pétersbourg. Cette nouvelle orientation permettra d'identifier les bénéficiaires effectifs des personnes morales et des trusts.

Le troisième axe, concernant l'érosion des bases fiscales et la sous-imposition des profits, s'incarne dans l'initiative Base erosion and profit shifting (BEPS). Les textes internationaux ont cherché à éviter la double imposition des profits, ce qui a conduit certains d'entre eux à être doublement exonérés. Dans le contexte de consolidation des finances publiques, ce mode légal d'évasion fiscale s'avère de moins en moins toléré ; sous l'impulsion de la France, du Royaume-Uni et de l'Allemagne, l'OCDE élabore un plan d'action qui sera discuté par les ministres du G20 et par les gouverneurs de banques centrales les 19 et 20 juillet à Moscou, afin qu'il puisse être entériné par les chefs d'État et de gouvernement à Saint-Pétersbourg. L'une des priorités de cette mobilisation se concentrera sur l'économie numérique.

Enfin, le quatrième point a pour objet l'établissement d'une nouvelle liste de JNC en matière fiscale, réalisée en lien avec les travaux du Forum mondial. Nous avons obtenu cette année que le G20 fasse référence aux 14 juridictions non coopératives et que des travaux soient conduits en vue de disposer d'une évaluation globale – utilisant une échelle de quatre notes – du degré de coopération de l'ensemble des juridictions ; le Forum mondial a par ailleurs instauré une procédure d'examen non seulement de la conformité légale, mais également de la mise en oeuvre des textes adoptés.

L'impulsion donnée, notamment par la France, au G20 et au G8 a permis de déclencher un nouveau mouvement. Il y a déjà eu des communiqués et des initiatives dans le passé, mais les initiatives actuelles sont indispensables pour que les droits internationaux et nationaux se mettent en conformité avec les objectifs politiques proclamés.

En Europe, cet agenda se décline avec un temps d'avance, comme l'a montré l'Ecofin informel de Dublin. Les pays de l'UE ont donc défendu une position unie au G20 de Washington, ce qui n'a pas toujours été le cas. La France, l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne, le Royaume-Uni et la Pologne ont affirmé à la suite de la réunion de Dublin vouloir mettre en place un dispositif d'échange automatique d'informations au sein de l'Union européenne, qui soit similaire au FATCA américain. Les ministres des finances de ces pays ont également appelé à une révision de la directive 200348CE sur la fiscalité des revenus de l'épargne, à l'ouverture de négociations avec les pays tiers et ont souhaité transmettre les travaux de l'Union européenne sur l'érosion des bases fiscales à l'OCDE et au G20. Des discussions sur la directive Épargne et sur la directive 201116EU relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal se sont amorcées, même si l'engagement des États varie face au risque de voir des flux financiers quitter certaines places situées dans l'Union. Les États membres ont décidé, lors de l'Ecofin du 21 juin, de donner un mandat à la Commission européenne pour négocier la directive épargne avec les États tiers et de réviser la directive Épargne avant la fin de l'année, sachant que certains Etats membres posent pour condition à la renégociation de cette directive la conclusion préalable des négociations sur le sujet avec les pays tiers. Beaucoup de travail reste à faire, mais l'orientation politique a été clairement affichée.

Les négociations sur le projet de quatrième directive anti-blanchiment ont débuté ; ce sujet est lié à celui de la fraude fiscale, puisque celle-ci est définie comme l'une des infractions sous-jacentes au blanchiment d'argent. M. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances, et son homologue allemand, M. Wolfgang Schäuble, ont écrit à la Commission européenne en avril pour faire part de leurs attentes, qui impliqueraient un texte plus ambitieux dans ce domaine. Les deux ministres souhaitent que la Commission s'implique dans la mise en oeuvre d'une politique européenne de lutte contre le blanchiment reposant sur une évaluation des risques auxquels le marché unique est exposé et sur l'application des dispositifs nationaux, et permettant de réaliser des progrès dans l'identification des structures juridiques opaques. Sur ce dernier point, l'un des moyens soulignés par la France serait que chaque État membre produise un registre faisant apparaître les personnes physiques bénéficiaires des sociétés. Enfin, les ministres pensent que l'Union européenne doit disposer d'une politique active de lutte contre les JNC, comprenant une liste des JNC européennes – établie sur des critères plus ambitieux que la liste internationale – et un répertoire de sanctions pouvant leur être appliquées.

En outre, nous souhaitons accroître la transparence et la responsabilité des entreprises européennes, et obliger les établissements financiers et les grands groupes à publier leurs lieux d'activité pour identifier d'éventuelles anomalies et pour comprendre les raisons incitant une entité à se localiser dans un endroit particulier. De ce point de vue, avec le projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires, vous êtes sur le point d'insérer dans le droit français, mesdames et messieurs les députés, des dispositions permettant des avancées comparables à celles obtenues par la France à l'échelon de l'Union européenne ; en effet, le projet de directive CRD IV sur les exigences de fonds propres se limitait d'abord aux seuls standards prudentiels internationaux ; son champ concerne désormais également la transparence, imposée aux activités des banques dans tous les territoires. Cette obligation de transparence devrait également être étendue par la future directive comptable à l'ensemble des grands groupes dans tous les secteurs.

Une commission mixte paritaire, prévue la semaine prochaine, permettra un accord sur le texte puis le vote du projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires, qui crée des obligations de transparence en matière de chiffre d'affaires, d'effectif, de résultat, de subventions publiques et d'impôt sur les sociétés (IS) pour les établissements bancaires, et qui met la France en pointe en la matière dans l'Union européenne. Le ministère va également publier prochainement la mise à jour annuelle de la liste française des paradis fiscaux, qui identifiera les États n'ayant pas souhaité négocier des accords de coopération bilatérale – huit pays sont à ce jour inscrits sur la base de ce critère –, et ceux ayant consenti à l'échange d'informations, mais qui ne respectent en pratique pas les engagements souscrits. En outre, le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude, voté en première lecture par l'Assemblée nationale le 25 juin, prévoit pour 2016 l'introduction d'un nouveau critère correspondant à l'existence d'un accord d'échange automatique d'information avec la France, et l'utilisation concrète de cet accord. Nous avons promu cette démarche auprès d'établissements impliqués dans les échanges internationaux, comme l'Agence française de développement (AFD) qui, à notre demande, a renforcé depuis un an son système de lutte contre le blanchiment, la corruption, la fraude et les paradis fiscaux ; le conseil d'administration de l'AFD a adopté, à la fin de l'année dernière, un nouveau dispositif de sécurité financière qui utilise à la fois la liste internationale du Forum mondial et la liste française des paradis fiscaux. Une réflexion similaire est actuellement conduite avec la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et avec la Banque publique d'investissement (BPI).

Au total, nous devons maintenir notre mobilisation au plan international et dans l'Union européenne, qui nous permettent de conforter nos dispositions nationales – sachant que par ailleurs donner l'exemple peut avoir un effet d'entraînement. Depuis quelques mois, un mouvement s'est en tout cas enclenché pour que le fléau de la fraude et de l'évasion fiscales soit plus fortement combattu.

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