Intervention de Gilles Bouvenot

Réunion du 3 octobre 2012 à 9h00
Commission des affaires sociales

Gilles Bouvenot, président de la commission de la transparence :

Je me réjouis que votre commission ait souhaité entendre un rapport sur l'évaluation des médicaments. C'est renouer avec une tradition, puisque ce n'est qu'en 2005 que cette obligation a été levée, pour des raisons que j'ignore.

Régie par un décret de 1999, la commission de la transparence est chargée d'évaluer les nouveaux médicaments et de réévaluer au bout de cinq ans les médicaments déjà inscrits, en vue de se prononcer sur le bien-fondé de leur prise en charge par l'assurance maladie. Elle oeuvre en faveur du bon usage du médicament en produisant des documents d'information destinés aux prescripteurs. Son rôle essentiel consiste par conséquent à rendre un avis, favorable ou non, sur l'inscription ministérielle d'une spécialité au tableau des spécialités remboursables.

La commission est en outre chargée de quantifier le niveau de service médical rendu (SMR) des nouveaux médicaments et de proposer en fonction de ce critère le taux de remboursement adéquat : 65 %, 30 % ou 15 %. Il nous revient également de nous prononcer sur l'apport des nouveaux médicaments par rapport aux anciens, ce qui revient à mesurer le progrès thérapeutique induit, le cas échéant, par leur introduction. C'est la notion d'amélioration du service médical rendu (ASMR) ; selon la note d'ASMR attribuée, le prix du nouveau médicament est établi, sans que ce critère soit exclusif dans le choix tarifaire final du Comité économique des produits de santé.

La commission de la transparence est composée de vingt membres titulaires et de six suppléants, dont tous sont des professionnels de santé. Les administrations associées à ses travaux – direction générale de la santé, direction de la sécurité sociale, caisses d'assurance maladie… – ne prennent pas part aux votes.

2011 a été une année très productive pour la commission, puisque son activité a augmenté de l'ordre de 25 à 30 % par rapport à 2010, à ressources constantes. Parallèlement à notre activité programmée, qui résulte de saisines des pouvoirs publics, nous avons la faculté de nous autosaisir à tout moment pour réévaluer tout médicament en fonction de l'évolution du contexte médical et scientifique.

Cependant, notre activité prépondérante est une activité de guichet, lorsque nous sommes sollicités par l'industrie pharmaceutique pour inscrire des spécialités sur la liste des médicaments remboursables. On appelle « première inscription » l'arrivée à la commission d'un nouveau médicament en vue de son évaluation et « extension d'indication » le fait qu'un médicament se présente avec une nouvelle indication. Tel médicament envisagé au départ comme traitement en première ligne d'un certain type de cancer peut se révéler utile au bout d'un ou deux ans aussi en traitement de deuxième ligne ou dans le cas de métastases. Certains médicaments se présentent donc une, deux ou trois fois en première inscription devant notre commission, en fonction, pour l'essentiel, du nombre d'indications qu'ils ont obtenues de l'Agence européenne du médicament (EMA, European Medicine Agency) ou de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Je signale que les indications d'autorisation de mise sur le marché (AMM) sont aujourd'hui essentiellement déterminées au niveau européen.

En 2011, hors activité programmée, nous avons enregistré 1 274 demandes d'avis, soit une augmentation considérable par rapport à 2010. Dans le cadre des activités programmées, il y a eu deux saisines ministérielles, l'une pour SMR insuffisants, avec 76 dossiers, et l'autre pour SMR faibles, avec 184 dossiers. Le ministre de l'époque souhaitait avoir confirmation de SMR insuffisants au vu de radiations ; pour ce qui concerne les SMR faibles, il s'agissait de la conséquence d'un arrêt du Conseil d'État annulant le passage de 30 % à 15 % du remboursement de 184 médicaments, par anticipation d'une décision ministérielle sur les conclusions de la commission. À l'occasion de 24 réunions, notre commission a examiné 1 078 demandes en 2011, soit 31 % de plus qu'en 2010. Certaines demandes, parvenues en fin d'année, n'ont pu être examinées que début 2012.

Dès lors qu'un nouveau médicament a obtenu une AMM de la part de l'agence européenne et que son fabricant en sollicite le remboursement, une directive européenne déjà ancienne nous fait obligation de le traiter en 90 jours, étant entendu que le délai compris entre le dépôt du dossier à la Haute Autorité et la publication au Journal officiel du prix du médicament ne doit pas excéder 180 jours – 90 jours pour la Haute Autorité et 90 jours pour le Comité économique des produits de santé. Il y aurait d'ailleurs lieu de s'interroger sur ces délais. Les évaluations par la commission de la transparence prennent en effet du temps car, comme l'a dit le président Harousseau, il nous est particulièrement difficile de recruter des experts totalement indépendants. Hors un accident malheureux, 2011 aura été l'année du zéro conflit d'intérêt dans l'évaluation du médicament.

Les trois quarts des dossiers sont traités dans les temps, le délai moyen d'instruction étant de 80 jours et le délai médian de 67 jours. S'agissant des médicaments extrêmement innovants, nous mettons les bouchées doubles et faisons en sorte de les traiter en 40 ou 50 jours.

Bien qu'ayant obtenu une autorisation de mise sur le marché, nombre de médicaments ne sont pas proposés au remboursement, voire sont passibles d'un déremboursement. Plusieurs facteurs expliquent cette situation. Pour la commission de la transparence, 2011 a été une année de réflexion, à l'occasion de laquelle nous avons rédigé en quelques pages – que vous trouverez dans le rapport d'activité écrit – ce que nous appelons notre doctrine. Cette doctrine était réclamée à la fois par les pouvoirs publics, pour plus de transparence et de prévisibilité de nos avis, et par les industriels. Lorsque la jurisprudence ne suffit plus, il est nécessaire d'écrire quelques principes noir sur blanc et de les faire connaître largement.

En effet, les industriels sont souvent surpris que des produits ayant obtenu une AMM au niveau européen ne soient pas pour autant proposés au remboursement par notre commission. Même avec un rapport bénéfices-risques globalement favorable, ce qui suffit pour obtenir une autorisation de mise sur le marché, l'apport thérapeutique d'un produit n'est pas forcément important. En outre, chaque fois qu'un nouveau médicament arrive et induit un progrès, que deviennent les anciens, menacés d'obsolescence ? Or, dans le souci constant d'amélioration de la qualité des soins sur lequel a insisté le président Harousseau, nous n'imaginons pas de proposer aux patients des médicaments obsolètes ! Dès lors qu'existent des médicaments plus performants, ce sont ceux-là qu'il faut utiliser. Ce que les industriels considèrent souvent comme de la sévérité ne procède en réalité que d'un souci de qualité des soins et d'équité.

Notre doctrine évolue puisque la Haute Autorité envisage de proposer aux pouvoirs publics de nouveaux critères d'évaluation du médicament, dans le cadre d'une comparaison avec l'existant et non in abstracto. Au reste, la commission de la transparence n'avait pas attendu la loi du 29 décembre 2011 pour tenir ce langage. Lorsqu'un nouveau médicament nous est apporté, soit il est meilleur et nous proposons un avis favorable, soit il est strictement équivalent et nous donnons également un avis favorable tout en laissant aux pouvoirs publics le soin de déterminer si nous devons avoir en France cinq ou six médicaments analogues, soit il est moins bon que l'existant – et cela arrive car l'autorisation européenne n'est pas une garantie d'efficience – et nous formulons les réserves d'usage.

Nos statistiques relatives au SMR semblent traduire un accroissement de notre sévérité. En réalité, 2011 n'aura pas été un grand cru médical ! Avec le recul d'un an, nous pouvons affirmer que les performances des nouveaux médicaments n'ont rien eu d'extraordinaire. La commission n'a pas été sévère, elle a été juste, du moins a-t-elle cherché à l'être. Les nouveaux médicaments arrivent dans un contexte d'abondance. Il y a vingt ans, presque chaque nouvelle spécialité apportait un progrès thérapeutique. À notre époque – et je parle sous le contrôle de M. Bapt –, dans des domaines comme le traitement de l'hypertension artérielle, il faut se « lever très tôt » pour enregistrer des améliorations notables.

Sur 240 avis rendus, 191 ont constaté un SMR important justifiant un remboursement à hauteur de 65 %, 19 un SMR modéré motivant un remboursement de 30 %, 10 un SMR faible appelant un remboursement de 15 % et 27, soit plus de 10 %, un SMR insuffisant. Sur les 27 médicaments présentant un SMR insuffisant, 16 ont été reconnus comme tels de manière définitive, les 11 autres ayant été retirés par les industriels à la seule vue du projet d'avis de SMR insuffisant, pour que cette évaluation a priori défavorable n'apparaisse pas.

Il n'y a pas lieu de dissimuler nos avis et nous avons modifié notre règlement intérieur de telle manière qu'il nous soit désormais loisible de les publier même lorsqu'ils ne sont pas définitifs ou que la firme a retiré son dossier. Nous n'entendons pas subir la loi du marketing en passant sous silence des SMR insuffisants.

J'en viens aux produits que les industriels considèrent comme particulièrement prometteurs et qui ont été évalués dans le cadre de ce que nous appelons une procédure complète. En 2011, il y en a eu 41 et le pourcentage d'avis défavorables au remboursement pour SMR insuffisant s'est établi à 17,1 %, ce qui constitue à l'évidence un changement.

D'autres facteurs attestent que 2011 a été une année d'étiage pour les industriels. Parmi les quelque 200 produits que nous avons vus, un seul a obtenu la note « progrès thérapeutique majeur », aucun celle de « progrès thérapeutique important », deux celle de « progrès thérapeutique modéré » et vingt celle de « progrès minime ».

Nous ne sommes pas chargés que d'évaluer ou de réévaluer les médicaments en vue de leur inscription ou de leur maintien dans la liste des spécialités remboursables puisque nous oeuvrons aussi au bon usage du médicament. L'an dernier a vu se poursuivre une initiative lancée en 2010, celle de la publication de synthèses d'avis. De quoi s'agit-il ? D'un document d'une page et demie, disponible sur notre site en deux clics pour donner les informations essentielles sur l'évaluation d'un nouveau médicament. Outre leur lisibilité, l'intérêt de ces synthèses est qu'elles sont produites avant même que ne soit fixé le prix du médicament, c'est-à-dire avant sa commercialisation. Dans les centres hospitaliers, les prescripteurs juniors sont donc mis au courant de ce que nous pensons des nouveaux médicaments avant que les visiteurs médicaux ne viennent leur en chanter les louanges. Nous avons établi une fiche de bon usage du médicament en collaboration avec le Pr Dubernard sur les hémostatiques chirurgicaux. Nous en avons également rédigé une sur les médicaments destinés à combattre la maladie d'Alzheimer.

Enfin, une obligation réglementaire nous conduit à produire, pour publication au Journal Officiel, des fiches d'information thérapeutiques, hélas peu lisibles. Elles concernent les médicaments dits d'exception, d'indication extrêmement ciblée ou coûteux, et sont destinées à donner aux prescripteurs des directives très strictes pour leur bon usage.

La commission de la transparence de la Haute Autorité travaille dans des conditions d'équité et de justice qui ne sont plus à démontrer.

En conclusion, j'appelle votre attention sur le recrutement des experts. Force est en effet d'admettre que nous ne les attirons plus. En outre, liés par leurs intérêts, certains sont récusés. Nous avons décidé de rechercher le zéro lien d'intérêt. Pour autant, nous ne sommes pas maximalistes. Je pense en particulier aux maladies orphelines appelant des traitements de même nature. Les médicaments orphelins peuvent concerner 100 à 300 patients – voire moins comme dans le cas de la maladie de Pompe – et leurs spécialistes se comptent sur les doigts d'une demi-main ! Étant les seuls à connaître la maladie, tous ont participé à l'évaluation des médicaments et comment pourrait-il en être autrement ? Cependant, nous le déclarons et nous en tenons compte. Pour difficile que cela soit, nous parvenons à recruter des experts sans liens. Cela prend du temps et cela peut expliquer que, dans certains cas, la durée d'évaluation puisse dépasser 90 jours.

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