Intervention de Claude Guibal

Réunion du 10 juillet 2013 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Claude Guibal, journaliste à France Culture, ancienne correspondante de Radio France en égypte :

Je suis journaliste, je ne suis pas analyste. Moi qui suis censée très bien connaître le pays, je disais le 24 janvier 2011, veille de la révolution, que l'Égypte n'était pas la Tunisie et que Moubarak n'était pas Ben Ali : je me méfie donc de mes dons de prédiction !

Je suis particulièrement inquiète de la polarisation de la société et de sa radicalisation, qui touche des personnes dont je suis très proche et dont je peux mesurer le jusqu'auboutisme. Le pays est épuisé ; il faut en avoir conscience.

Gardons-nous de caricaturer la situation en Égypte et de plaquer sur elle nos propres références. Ce qui s'y passe n'est pas une révolte des laïques contre les religieux. L''Égypte n'est pas un pays laïque, c'est un pays profondément pieux. En revanche, un nombre croissant d'Égyptiens, dont des femmes voilées ou en niqab, demande un État civique et une Constitution dépourvue de référence au religieux, seul moyen de garantir les droits de tous les citoyens. La grande majorité des Égyptiens refuse un État théocratique, ne veut plus d'un État autoritaire, une grande partie d'entre eux écarte un État militaire : elle demande la fondation d'un État sain et civique, la création d'une véritable structure étatique, d'une vraie Constitution. Deux ans après la révolution, le pays n'est toujours pas doté d'une Constitution digne de ce nom : les élections sont annulées, le Parlement suspendu, on gouverne par décret constitutionnel ; ce flou rend fous les Égyptiens, dont le Parlement est l'un des plus anciens au monde.

Les perspectives sont sombres, d'abord sur le plan économique : c'est l'urgence absolue. Oui, il faut un Mandela égyptien. Mais Mohamed el-Baradei, que j'admire moi aussi pour la lucidité implacable de ses diagnostics, n'est pas populaire parce qu'il ne veut pas le pouvoir et que les Égyptiens ont l'impression qu'il ne les aime pas assez pour « y aller ». En suivant sa campagne, j'ai pu constater, malgré mon respect pour ses idées, son absence totale de charisme. Un paysan m'a dit un jour en l'écoutant : « Vous savez, madame, c'est la première fois que l'on a un leader qui parle à notre tête et non à notre coeur ! »

Antoine Basbous l'a dit, la période qui s'ouvre dès demain est extrêmement périlleuse. Comment ne pas laisser sur le bord du chemin les dizaines de millions d'Égyptiens qui ont voté pour les Frères musulmans ? Alors que la révolution devait permettre à chaque voix de compter, ils ont l'impression d'être dépossédés de leur voix sous prétexte que le résultat des élections n'a pas plu. Et on les persuade qu'il ne s'agit pas de se révolter contre un président qui a fait la preuve de son incompétence, mais de refuser l'islam. Il faut y être très attentif.

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