Intervention de Bernard Lesterlin

Réunion du 3 octobre 2012 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBernard Lesterlin, rapporteur pour avis :

Alors que la France et plus largement l'Europe font face à l'une des crises économiques et financières les plus profondes de l'après-guerre, la situation économique et sociale de nos outre-mer est plus que jamais fragile. Depuis plusieurs années, la vie des départements et collectivités d'outre-mer est régulièrement émaillée par des mouvements sociaux de grande ampleur, qui ont tous en commun la protestation contre la vie chère. Ce fut le cas dans l'ensemble des départements d'outre-mer en 2009, puis à La Réunion en 2010 et enfin à Mayotte en 2011.

De l'expression de ce large mécontentement, le Gouvernement a tiré la conviction qu'il était indispensable de soutenir le développement économique et social de nos départements et collectivités d'outre-mer. Tel est l'objet du présent projet de loi relatif à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives à l'outre-mer, adopté en première lecture par le Sénat le 28 septembre 2012 et dont notre commission des Lois s'est saisie pour avis.

Le texte que nous nous apprêtons à examiner a vocation à améliorer durablement et efficacement les conditions de vie de nos compatriotes vivant outre-mer. Il regroupe, dans cette perspective, deux séries de dispositions : la première concerne la restauration du libre jeu concurrentiel dans les outre-mer, afin de permettre une baisse effective des prix à la consommation ; la seconde consolide la législation applicable outre-mer.

Le chapitre Ier comporte un ensemble de dispositions dont l'objet est de renforcer le libre jeu de la concurrence dans les outre-mer, afin d'y faire baisser les prix. Votre Commission s'est saisie pour avis des articles 1er à 5 et 7 bis B de ce chapitre.

Depuis 2009, les outre-mer ont été secoués par des crises sociales, parfois violentes, souvent très dures, qui ont eu pour facteur de déclenchement la cherté de la vie, notamment des produits alimentaires. Dans son avis du 8 septembre 2009 sur le commerce de détail outre-mer, l'Autorité de la concurrence estimait ainsi que les écarts de prix en magasin avec la métropole étaient supérieurs de 55 % pour plus de 50 % des produits retenus pour l'enquête. L'Institut national des statistiques et des études économiques (INSEE) a d'ailleurs confirmé cette analyse dans une enquête de 2010 : si elle estime que le coût général des prix à la caisse est supérieur de 6 à 13 % dans les départements d'outre-mer par rapport à ceux pratiqués dans l'Hexagone, ce qui peut apparaître peu élevé, cet écart s'élève en revanche de 34 à 49 % pour les produits alimentaires. Ces deux études récentes attestent bien de l'importance des différentiels objectifs de prix pratiqués dans les outre-mer par rapport à ceux de la métropole.

Plusieurs facteurs permettent d'expliquer ce niveau élevé des prix dans les territoires ultramarins. On peut citer l'éloignement, l'insularité, ainsi que l'étroitesse des marchés domiens, à l'origine de coûts structurels particuliers. Ces facteurs, bien que fondamentaux, ne sont toutefois pas les seuls à expliquer cette situation. Il convient également de s'intéresser à l'insuffisance de la concurrence entre les opérateurs économiques locaux. Le manque de concurrence dans les marchés ultramarins trouve son origine dans des barrières spécifiques à l'entrée, des situations d'oligopole, voire de monopole, notamment sur l'importation de certains produits, la présence des importateurs-grossistes – qui représentent une spécificité des marchés outre-mer – le cumul des activités d'importation et de distribution dans le commerce de détail et, enfin, l'application de marges élevées par les distributeurs.

Face à ce constat, nos collectivités ultramarines ont besoin de nouveaux outils pour combattre la vie chère et restaurer le libre jeu de la concurrence.

En ce sens, l'article 1er du projet de loi prévoit d'autoriser le Gouvernement à prendre les mesures nécessaires pour remédier aux dysfonctionnements des marchés de gros, en matière d'accès à ces marchés, de loyauté des transactions, de marges des opérateurs, de gestion des infrastructures essentielles et de protection des consommateurs, dans les secteurs où le libre jeu de la concurrence est entravé. En cas de violation des règles édictées, l'Autorité de la concurrence pourra prononcer des injonctions et infliger des sanctions pécuniaires.

L'article 2 vise à interdire les accords qui ont pour objet ou pour effet d'accorder des droits exclusifs d'importation à un opérateur, sauf lorsqu'ils sont justifiés par des motifs objectifs tirés de l'efficacité économique au bénéfice des consommateurs. Il s'appliquera aux contrats et pratiques en cours.

L'article 2 bis, ajouté par le Sénat, regroupe l'ensemble des dispositions de conséquence des articles 1er et 2.

L'article 3 permet aux régions d'outre-mer et aux autres collectivités d'outre-mer détenant une compétence économique, comme le département de Mayotte, de saisir l'Autorité de la concurrence des pratiques anticoncurrentielles qui concernent leur territoire respectif.

L'article 4 abaisse de 7,5 millions d'euros à 5 millions d'euros le seuil prévu pour le contrôle des concentrations dans le commerce de détail en outre-mer, afin de contrôler la plupart des opérations portant sur des surfaces de vente supérieures à 600 mètres carrés.

L'article 5 confère à l'Autorité de la concurrence un pouvoir d'« injonction structurelle » en matière de commerce de détail pour l'outre-mer, en cas de position dominante détenue par une entreprise ou un groupe d'entreprises soulevant des préoccupations de concurrence du fait de prix ou de marges élevés. L'Autorité de la concurrence pourra, sur ce fondement, enjoindre à l'entreprise ou au groupe d'entreprises en cause de modifier, compléter ou résilier tous accords et tous actes par lesquels s'est constituée la puissance économique permettant ces pratiques. En dernier recours, s'il s'agit du seul moyen permettant de garantir une concurrence effective, l'Autorité de la concurrence pourra même les forcer à céder des actifs : il s'agit d'une disposition très novatrice, au sujet de laquelle je vous proposerai quelques amendements rédactionnels. Je signale, d'ores et déjà, que le « standard » d'intervention de l'Autorité a été modifié par le Sénat : alors que le projet de loi initial exigeait des « prix ou des marges abusifs », le Sénat a substitué à cette notion celle de « prix ou de marges élevés ».

Enfin, le Sénat a complété le chapitre Ier par un nouvel article 7 bis B qui crée un comité de suivi chargé d'évaluer l'application de la présente loi, à l'issue de son adoption. Je constate cependant que l'article 74 de la loi du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer (LODEOM) a d'ores et déjà institué une commission nationale d'évaluation des politiques de l'État outre-mer, chargée de suivre la mise en oeuvre des politiques publiques de l'État outre-mer, en particulier des mesures destinées à favoriser le développement économique et social des collectivités ultramarines. Compte tenu de l'existence et du rôle de cette commission nationale, à laquelle est dévolue une fonction générale d'évaluation de l'ensemble des politiques économiques menées par l'État outre-mer, l'opportunité et la pertinence de créer un nouveau comité ad hoc dédié à la seule évaluation du présent projet de loi ne me semblent pas avérées. C'est pourquoi je vous proposerai, au cours de l'examen des articles, un amendement supprimant l'article 7 bis B, d'autant que la rapporteure de la commission des Affaires économiques a la même intention.

Les dispositions contenues dans le chapitre II du présent projet de loi poursuivent, pour leur part, un double objectif.

Il s'agit, en premier lieu, de poursuivre l'extension de la législation dans les départements d'outre-mer, et plus particulièrement à Mayotte, dans le cadre de la mise en place de la départementalisation de cette collectivité et de l'accession de celle-ci au statut de région ultrapériphérique (RUP) de l'Union européenne, à compter du 1er janvier 2014.

À cet effet, l'article 9 habilite le Gouvernement à étendre et à adapter, par voie d'ordonnance, la législation de droit commun relative à l'adoption, à l'allocation personnalisée d'autonomie et à la prestation de compensation du handicap, la législation relative à la couverture des risques vieillesse, maladie, maternité, invalidité et accidents du travail, ainsi qu'aux prestations familiales, la législation du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle et, enfin, celle relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers à Mayotte.

Cette dernière habilitation, relative à l'entrée et au séjour des étrangers à Mayotte, est rendue nécessaire par l'accès de ce département au statut de région ultrapériphérique de l'Union européenne, ce changement de statut nécessitant une reprise de l'acquis communautaire en matière de droit d'entrée et de séjour des étrangers. Le Sénat a souhaité mieux encadrer cette habilitation, en lui donnant pour finalité de créer un nouveau visa applicable à Mayotte, à la place du visa actuel dit «  visa Balladur ». Cet ajout pose problème, car il restreint le champ de l'habilitation à ce seul visa, alors que la modification devra nécessairement porter sur d'autres sujets, tels que l'adaptation à deux directives européennes. C'est pourquoi je vous propose, dans un amendement à cet article, une autre rédaction qui a recueilli l'assentiment de nos collègues parlementaires du département de Mayotte.

Au-delà des habilitations conférées en amont au Gouvernement pour étendre la législation dans le département de Mayotte, l'article 11 du présent projet de loi procède, en aval, à la ratification de vingt-six ordonnances, dont cinq sont prises en application de l'article 74-1 de la Constitution, et vingt et une en application de l'article 38 de la Constitution. Sur ces vingt-six ordonnances, sept relèvent de la compétence de notre Commission.

Pour ce qui concerne chacune de ces sept ordonnances, j'observe que le délai d'habilitation, le champ de cette dernière, ainsi que le délai de dépôt du projet de loi de ratification ont été respectés par le Gouvernement. Aucun élément de fond ni de forme ne fait donc obstacle à la ratification des sept ordonnances relevant du champ de compétence de notre Commission.

Il s'agit, en second lieu, de mettre en oeuvre des dispositifs propres aux départements et aux collectivités d'outre-mer.

Dans cette perspective, l'article 8 exonère les départements d'outre-mer, ainsi que les collectivités de Saint-Pierre-et-Miquelon, de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin de l'application des dispositions prévues par l'article L. 1111-10 du code général des collectivités territoriales, lequel oblige les collectivités territoriales ou leurs groupements à financer au moins 20 % des projets d'investissement dont ils assurent la maîtrise d'ouvrage. L'application de ce principe aux territoires ultramarins pénalise actuellement leurs projets d'investissement, compte tenu notamment de leurs difficultés budgétaires chroniques et de leurs besoins d'équipements sensiblement plus élevés qu'en métropole.

L'article 10 vise, pour sa part, à homologuer les peines d'emprisonnement prévues dans la réglementation de la Nouvelle-Calédonie ou de la Polynésie française. En effet, les statuts respectifs de ces deux collectivités les autorisent à assortir de telles peines la sanction des infractions instituées par elles dans leurs domaines de compétence, sous réserve, d'une part, de respecter l'échelle des peines et, d'autre part, de ne pas excéder les peines prévues dans le droit commun. Pour chacune des peines que nous sommes invités à homologuer aujourd'hui, je constate que les exigences constitutionnelles et organiques, que je viens de présenter, sont toutes respectées.

Enfin, le Sénat a complété le chapitre II du présent projet de loi par deux nouveaux articles 11 bis et 11 ter, qui ont pour objet de transférer la gestion du registre du commerce et des sociétés aux chambres de commerce et d'industrie dans les départements d'outre-mer, et à la chambre économique multiprofessionnelle à Saint-Barthélemy.

Pour conclure, je rappelle que le présent projet de loi met en place de nouveaux outils afin de combattre efficacement la vie chère dans les outre-mer. Les attentes de nos concitoyens vivant outre-mer sont si fortes dans ce domaine que nous nous devons de poursuivre notre mobilisation sur ce sujet. Pour toutes ces raisons, je ne peux que vous inviter, mes chers collègues, au nom de la commission des Lois, à émettre un avis favorable à l'adoption des articles dont nous sommes saisis pour avis.

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