Nous nous prêtons aujourd'hui à un exercice devenu classique depuis une quinzaine d'années pour le rapporteur général : le rapport sur l'examen de l'application de la loi fiscale.
En l'espèce, la fin de l'année 2012 a été marquée par un profond renouvellement de la présentation de la doctrine fiscale administrative, prenant désormais la forme d'une nouvelle base documentaire, le Bulletin officiel des finances publiques en ligne (BOFiP) dont la mise en place a entraîné la disparation des instructions fiscales dans leur précédente forme, c'est-à-dire la publication d'une instruction globale par mesure. Ce projet réalisé par la DGFiP trouve son origine dans le rapport Fouquet du 23 juin 2008 sur la sécurité juridique en matière fiscale. Ce bulletin officiel en ligne constitue un remarquable succès en termes d'accès à la norme fiscale pour les citoyens, contribuables comme professionnels, et doit être salué comme tel. Les internautes ne s'y sont pas trompés : la moyenne mensuelle des visites est ainsi passée de 150 000 internautes en janvier 2013 à 250 000 en juin – avec un pic de 400 000 internautes en mai pour la déclaration des revenus 2012.
Mais cette évolution modifie la manière dont le Parlement peut utilement contrôler l'action du Gouvernement dans la mise en oeuvre de la loi fiscale.
En effet, jusqu'à présent ce rapport avait pour objet d'indiquer, article par article de chaque loi de finances promulguée, le détail du contenu du texte réglementaire (décret, arrêté, …) ou de l'instruction fiscale correspondants. La mise en place des nouvelles fonctionnalités du BOFiP-I, a fait perdre de sa pertinence à cette présentation.
Cette année, j'ai donc prévu que l'examen des conditions de l'application des dispositions fiscales comprendrait les éléments suivants:
– en introduction, un bilan synthétique des mesures d'application prises ou en attente, à la date du 31 mai 2013, c'est-à-dire une date comparable à celle retenue pour les rapports des années précédentes ;
– dans une première partie, le détail de l'évolution de la présentation de la doctrine administrative que je viens de résumer sommairement,
– ensuite, dans une deuxième partie, l'analyse des mesures d'application au regard de la loi votée pour une vingtaine de dispositifs importants concernant les différents impôts. Ces dispositifs incluent notamment le crédit d'impôt compétitivité-emploi, la réduction de l'avantage lié à l'exonération des plus-values de long terme sur les cessions par les entreprises de certains titres de participation, dite « niche Copé », la TVA sur les livres, ou encore l'impôt de solidarité sur la fortune ;
– puis, dans une troisième partie, la présentation d'éléments plus quantitatifs (nombre de bénéficiaires, montants, effets observés…) pour une quinzaine de mesures mises en place antérieurement, introduisant ainsi un début d'évaluation des dispositions fiscales entrées en vigueur récemment, y compris sous la précédente législature. Il s'agit par exemple de la taxe sur les transactions financières (TTF), des rabots sur le plafond des niches fiscales, de la révision des bases locatives, ou de la contribution exceptionnelle sur le revenu fiscal de référence.
En ce qui concerne globalement la prise des mesures réglementaires d'application de la loi fiscale, que constatait-on à fin mai 2013 ?
Dans l'ensemble, pour les 163 dispositions fiscales prises en compte, car adoptées postérieurement au dernier rapport d'application de la loi fiscale ou qui demeuraient en attente d'un texte d'application au 31 mai de l'année dernière, 83 d'entre elles, soit près de 51 %, demeuraient en attente d'un texte d'application.
S'agissant plus spécifiquement des dispositions fiscales les plus récentes, sur les 39 dispositions fiscales contenues dans la LFI 2013, 15 seulement étaient pleinement en application au 31 mai 2013, c'est-à-dire environ 38 %, soit que cette application ne nécessite pas, selon l'administration, de dispositions particulières (1 article), soit que les textes d'application nécessaires aient déjà été pris (14 articles).
Même si la nature des dispositions fiscales adoptées n'est pas identique entre la LFI 2012 et la LFI 2013 du fait de l'alternance, ce taux apparaît sensiblement inférieur à celui de l'année précédente à la même période pour la LFI 2012 (40 dispositions sur 54, soit plus des deux tiers).
Au 31 mai 2013, ce sont donc 24 mesures fiscales de la LFI 2013 qui restaient en attente d'application, soit environ 62 % des mesures prises en compte.
Pour les trois LFR pour 2012, toujours fin mai 2013, on constate qu'exactement la moitié, soit 39 des 78 dispositifs fiscaux de ces textes avaient soit fait l'objet d'un texte d'application, soit reçu application sans nécessiter de mesure réglementaire. 39 autres dispositions fiscales demeuraient en attente d'un texte d'application, dont 33 au titre du dernier collectif budgétaire de décembre. L'an passé, pour les quatre lois de finances rectificative pour 2011, 63 des 83 articles fiscaux pris en compte par l'administration fiscale avaient fait l'objet d'un texte d'application à la fin mai.
Pour éviter à chacun de tirer des conclusions trop hâtives, il faut cependant rappeler en premier lieu qu'à la différence des décrets ou des arrêtés, les instructions fiscales ne conditionnent pas l'entrée en vigueur d'un dispositif, du moins dans ses dispositions essentielles. Elles en facilitent uniquement l'application, en éclairant l'intention du législateur. On notera cependant que, dans certains cas, le défaut de parution de textes d'application s'oppose à la mise en oeuvre effective de la disposition en cause, ou la rend difficile.
On peut observer également que, si la proportion des dispositions demeurant en attente d'un texte d'application reste trop élevée à la fin mai 2013 pour les textes les plus récents par rapport à la situation prévalant l'an passé à la fin de la précédente législature, l'écart est moindre avec le début de la précédente législature, il y a cinq ans, qui correspond à une période plus comparable par son calendrier. Je vous renvoie à mon rapport pour le détail des chiffres.
Par ailleurs, l'administration fiscale a été interrogée sur les causes de cette proportion relativement faible de mesures ayant fait l'objet de textes d'application au 31 mai dernier. Elle a répondu que, en tout état de cause, le passage au BOFiP en ligne avait de fait entraîné un changement dans la comptabilisation des instructions. Ainsi, jusqu'à présent, seuls les dispositifs qui nécessitaient des commentaires de la part de l'administration pour éclairer la portée des dispositifs faisaient l'objet d'une instruction.
J'en viens maintenant à quelques remarques concernant l'application par l'administration de certaines mesures importantes adoptées depuis juillet 2012. Je vous renvoie pour le détail des autres mesures au rapport, qui sera en ligne ce soir ou demain.
J'insisterai sur trois mesures, qui ont pu donner lieu à de riches débats parlementaires : le CICE, la réduction de la niche Copé, et la baisse du taux de TVA sur les livres.
Pour le CICE, le choix fait a été globalement de la simplicité pour les entreprises. C'est pourquoi le Gouvernement a par exemple retenu que les heures supplémentaires et leur majoration seraient prises en compte à la fois pour vérifier si le salarié demeure en dessous du seuil de 2,5 SMIC brut, et pour le calcul de l'assiette du crédit d'impôt, de façon à ce que cette assiette corresponde à celle applicable pour les allègements Fillon, que les entreprises qui en bénéficient connaissent maintenant bien. Peut-être faudra-t-il débattre de ce choix à l'automne prochain.
Par ailleurs, la mise en oeuvre du CICE s'est aussi accompagnée d'une évolution jurisprudentielle défavorable aux salariés, en tout cas à ceux percevant de la participation. En effet, par un arrêt Schlumberger de mars 2013, le Conseil d'État a mis fin à la doctrine administrative qui depuis longtemps considérait que la formule de calcul de la réserve de participation devait porter sur le résultat imposable après prise en compte de tous les crédits d'impôt, qu'il s'agisse des crédits d'impôts préexistants comme le CIR, ou nouveau comme le CICE. Cela peut changer substantiellement les choses pour les salariés. J'ai soulevé la question lors de la discussion de la proposition de loi portant déblocage exceptionnel de la participation et de l'intéressement que j'avais déposée, avec mon président de groupe et avec la présidente de la commission des Affaires sociales, dans le prolongement de l'engagement du Président de la République. Je souhaite que le PLF 2014 permette de trouver une solution acceptable pour les salariés.
Plus généralement, je profite de l'occasion pour rappeler que, pour ce qui concerne le CICE, il n'est nullement prévu de recentrer le dispositif à l'avenir, ni de le limiter dans le temps : le crédit d'impôt est général et pérenne, et a vocation à le demeurer sauf si des effets pervers manifestes étaient constatés, par exemple des « rackets » au CICE de la part notamment de certaines grandes entreprises donneuses d'ordre à leurs fournisseurs PME.
Dans le cadre de ces travaux, j'ai également regardé les résultats des demandes de préfinancement du CICE : la BPI m'a ainsi indiqué que l'objectif de préfinancement pour 2013, de 800 millions d'euros, était presque atteint à mi-année. À ce préfinancement direct s'ajoute un objectif de préfinancement par les banques privées – garanti par la BPI –, à hauteur de 1,2 milliard d'euros. Mais malgré la signature d'un accord de place le 24 mai, la contribution des banques privées au préfinancement garanti du CICE est pour l'heure très faible. Cela ne signifie pas nécessairement que les banques ne préfinancent pas ; mais si elles le font, c'est – étonnamment – sans la garantie de la BPI.
Pour la réduction de la « niche Copé », consistant à faire porter la quote-part de frais et charges sur la plus-value brute et portant par ailleurs son taux de 10 % à 12 %, l'administration fiscale a retenu une interprétation de la loi particulière, pour la définition du fait générateur de la réintégration de la quote-part à l'assiette taxable.
Les rapports des deux rapporteurs généraux de l'Assemblée et du Sénat ont de leur côté indiqué que le fait générateur de la réintégration de la quote-part restait, comme antérieurement, la réalisation d'une plus-value nette. Mais l'administration a prévu que « cette quote-part est prise en compte dans le résultat imposable au taux normal de l'impôt sur les sociétés, quel que soit le résultat net des plus ou moins-values de cession de titres ». Elle considère donc que même en cas de moins-value nette, une quote-part de 12 % des plus-values brutes doit être réintégrée.
Ce choix pose une question de fond : est-il souhaitable d'imposer, au moyen de la réintégration de la quote-part, la perte que constitue une moins-value nette ? Cette divergence d'interprétation devra être réglée au moment de la discussion du projet de loi de finances pour 2014, compte tenu de son enjeu budgétaire potentiel : le rendement attendu de la mesure est en effet d'au moins 1 milliard d'euros en année pleine.
Un dernier exemple de mesure d'application, avec laquelle il n'y a en revanche pas de débat car la solution s'imposait pour éviter une excessive complexité pour les libraires : comme vous le savez, le taux de TVA applicable aux ventes et locations de livres qui avait été relevé à 7 % à compter du 1er avril 2012 par la précédente majorité, a été abaissé à 5,5 % à compter du 1er janvier 2013 dès le collectif de juillet 2012. Se posait cependant la question du traitement pour la TVA des retours de livres réalisés après le 1er janvier 2013. Le principe général retenu par l'administration fiscale pour les retours de livres invendus consiste à ce que la note d'avoir émise lors du retour est soumise au même taux de TVA que l'opération initiale. Les retours de livres réalisés après le 31 décembre 2012 relatifs à des ouvrages livrés avant cette date au taux de TVA de 7 % auraient donc dû en principe être opérés au taux de 7 %. Afin de prendre en compte les difficultés rencontrées par les professionnels du secteur pour distinguer les livres dans leurs stocks selon leur date de livraison initiale (avant ou après le 1er janvier 2013), il a été admis que l'ensemble des retours soient soumis au taux de 7 % jusqu'au 31 mars 2013. Le taux de 5,5 % s'appliquera en revanche aux retours à compter du 1er avril 2013, indépendamment de la date de livraison initiale du livre retourné. Cela me paraît une solution de bon sens.
Pour conclure, quelques mots sur les premières évaluations de résultats de la quinzaine de mesures prises antérieurement à 2012, retenues pour la dernière partie de ce rapport d'application de la loi fiscale « nouvelle » formule.
En premier lieu, malgré un délai qui paraissait raisonnable, puisque les demandes d'information ont été transmises à la DLF avant la fin avril, les réponses de l'administration apparaissent globalement très partielles. Nous en tirerons les conséquences pour l'an prochain et ferons le nécessaire pour une meilleure qualité de réponse de l'administration fiscale.
Je renvoie pour l'ensemble à mon rapport, mais insisterai sur quelques éléments qui méritent d'être indiqués à ce stade.
Ainsi, en ce qui concerne l'effet des rabots successifs et progressifs sur les niches fiscales depuis la LFI 2009, il m'a été indiqué que pour les revenus de l'année 2009, le nombre de foyers considérés concernés par le plafonnement global était d'environ 70, et le gain budgétaire résultant du plafonnement de 1,1 million d'euros. Pour les revenus de l'année 2010, ce nombre de foyers passe à 370, tandis que le gain atteint 3,5 millions d'euros. Enfin, au titre de l'année 2011, le nombre de foyers concernés s'est élevé à 820, avec une économie de 4,7 millions d'euros.
Ces chiffres manifestent la forte croissance du nombre de foyers concernés et des gains retirés, même si ceux-ci restent limités. Toutefois les questions posées sur les différentes dépenses fiscales, notamment sur les principaux bénéficiaires de ces dépenses, sur le nombre de contribuables parvenant à annuler leur imposition par le biais des réductions d'impôt, sur le profil des contribuables ayant recours à différents types de dépenses fiscales, sur le nombre de contribuables recourant à un, deux, trois, quatre (ou plus) niches… sont restées sans réponse.
En ce qui concerne la contribution exceptionnelle sur le RFR, le rendement, dans sa version initiale, était estimé à 200 millions d'euros, pour 4 500 contribuables concernés. In fine, le dispositif voté, tel qu'issu des travaux de l'Assemblée, devait permettre de réaliser des recettes de 400 millions d'euros, et concerner 25 000 personnes.
Le rendement de la contribution constaté en 2012, pour les revenus de 2011, est très nettement supérieur aux estimations du Gouvernement d'alors, puisqu'il s'établit à 630 millions d'euros (soit 58 % de plus que les prévisions), concernant 29 683 foyers. L'écart très sensible sur le montant résulterait de la difficulté à estimer le RFR servant de base à la contribution, ainsi que de l'année retenue pour le chiffrage de la mesure, à savoir les revenus de 2009.
Les montants versés au titre de cette contribution peuvent être symboliques, de l'ordre de quelques euros, jusqu'à atteindre plusieurs millions d'euros : en effet, la contribution versée par les dix contribuables redevables de la contribution exceptionnelle la moins élevée est de 18 euros, tandis que la contribution versée par les dix contribuables redevables de la contribution la plus élevée atteint en moyenne 20,4 millions d'euros.
Enfin, la ventilation géographique des redevables de la contribution reflète la forte concentration de ces derniers en Île-de-France, qui réunit la moitié des redevables et plus de la moitié du montant total de la contribution. Les régions Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d'Azur réunissent à elles deux environ 15 % des redevables et du total des contributions.
En ce qui concerne la réforme du régime d'imposition des plus-values immobilières, sur laquelle le Président de la République a annoncé vouloir revenir partiellement, son rendement est revu à la baisse par rapport aux estimations initiales, puisqu'il ne serait que de 790 millions d'euros en 2012 et de 920 millions d'euros en 2013 contre 1,3 milliard d'euros prévus initialement en année pleine.
Cet écart s'explique principalement par la baisse des transactions, en volume et en prix, enregistrée en 2012, et par l'anticipation des effets de la mesure qui a incité de nombreux contribuables à céder leur bien avant l'entrée en vigueur de la mesure au 1er février 2012. Les recettes recouvrées au titre de l'imposition des plus-values immobilières à la fin de l'année 2011 et surtout au début de l'année 2012 représentaient ainsi le double des recettes recouvrées l'année précédente sur la même période.
Pour la TTF, présente dans le débat public ces jours-ci, l'administration fiscale a précisé le rendement constaté en 2012. D'un montant total de 199 millions d'euros, il se répartit comme suit :
– 198 millions d'euros au titre de la taxe sur les acquisitions de titres de capital ou assimilé ;
– 1 million d'euros au titre de la taxe sur les contrats d'échange sur défaut d'un État de l'Union européenne.
Le troisième élément de la TTF, la taxe sur les opérations à haute fréquence, n'a pour sa part produit aucun rendement en 2012.
Ces montants sont beaucoup plus faibles que celui estimé lors de l'examen de la deuxième loi de finances rectificative pour 2012, qui était alors de 530 millions d'euros en 2012 et de 1,6 milliard d'euros en année pleine.
L'administration fiscale justifie cet écart pour la taxe sur les acquisitions de titre de capital par un niveau historiquement faible des volumes échangés en 2012 (en baisse de 20 % par rapport à 2011 sur Euronext).
Les exonérations jouent également un rôle : le nombre d'acquisitions de titres au sens de la taxe a été de l'ordre de 45 millions au titre de 2012, dont 39,5 millions d'acquisitions exonérées et 6 millions d'opérations taxables. En se basant sur ce constat, le nombre d'acquisitions en 2013 pourrait être de l'ordre de 110 millions, dont 14 millions d'opérations taxables seulement.
En matière de fiscalité locale, le rapport fait le point sur la mise en oeuvre de l'article 34 de la dernière LFR pour 2010, modifié par l'article 37 de la deuxième LFR pour 2012 d'août dernier, à savoir la révision des valeurs locatives foncières servant de base à plusieurs impôts directs locaux, en commençant par les valeurs locatives foncières des locaux commerciaux et des professions libérales.