Monsieur le président, mesdames et messieurs les parlementaires, mon propos comportera trois parties : le rôle de l'ARAF ; ce qu'elle a pu en trois ans observer sur le fonctionnement du système ferroviaire ; enfin, la réforme de ce système, sachant que le texte n'est encore définitif et que le Parlement sera consulté à son sujet.
L'Autorité de régulation des activités ferroviaires est une autorité indépendante. Les sept membres de son collège sont nommés pour six ans de façon irrévocable et non renouvelable. Ils ne doivent pas avoir eu de relations particulières ou de responsabilités dans le secteur ferroviaire depuis un certain temps. L'ARAF a la personnalité morale. Elle n'est donc pas une autorité administrative indépendante. C'est une autorité publique indépendante, financièrement autonome. Ses ressources viennent d'un prélèvement opéré sur les péages, à hauteur de 3,7 ‰ – la loi ayant prévu à l'origine 5 ‰.
Nous sommes là pour appliquer la loi et notre fonctionnement dépend donc des directives, lois et règlements. Nous devons vérifier l'application correcte du droit. Nous ne sommes pas des politiques. Nous ne décidons des moyens à donner, ni de l'aménagement du territoire. Nos actions dépendent totalement du Parlement, de la Cour des comptes et des juges : la Cour d'appel de Paris et le Conseil d'État. Parmi toutes les décisions que nous avons prises jusqu'à présent, une seule a été contestée. Elle est passée en Cour d'appel, qui nous a d'ailleurs donné raison. Il s'agissait d'un différend qui opposait des opérateurs entre eux.
Nous ne sommes pas au-dessus de la réalité du secteur ferroviaire. Nous travaillons bien évidemment avec les différents acteurs de ce secteur, et nous sommes à leur écoute – c'est d'autant plus important que le système est d'une complexité redoutable. Ainsi, notre collège organise l'audition de tous ceux qui participent au fonctionnement du ferroviaire : entreprises, syndicats, associations d'usagers et associations de défense de l'environnement. Par ailleurs, nous lançons régulièrement des consultations publiques sur des sujets précis. Les quatre consultations lancées en 2012 concernaient : le problème très concret de la facturation d'électricité ; le coût d'immobilisation du capital en gare ; le cabotage, pour savoir si un service de voyageurs organisé par une compagnie entre deux pays européens est bien un service international ; enfin, nous avons des relations avec les régions, avec lesquelles nous avons un enjeu commun qui est une meilleure connaissance de la comptabilité de la SNCF.
Bien évidemment, nous sommes concernés par le fret, qui est ouvert à la concurrence depuis plusieurs années, et par le service international de voyageurs, qui l'a été plus récemment. Mais nous sommes aussi concernés par le service public ferroviaire, ce qu'on oublie souvent. La loi dispose en effet clairement que l'Autorité doit « contribuer au bon fonctionnement des activités concurrentielles et du service public au bénéfice des voyageurs et des chargeurs ».
Dans la pratique, notre travail consiste à réguler les monopoles de fait – RFF, Gares et Connexions, les cours de marchandises, la fourniture de gasoil, la fourniture d'électricité, etc. 90 % des différends que nous avons à régler portent là-dessus.
Lorsque l'on fait le bilan des règlements de différends, on constate que ce sont les gestionnaires d'infrastructures qui se sont retrouvés au banc des accusés. L'accès au réseau est donc le coeur de la mission du régulateur, sous deux aspects. D'abord l'accès au réseau doit être transparent et sans discrimination, pour toutes les entreprises. L'ARAF joue en l'occurrence un rôle de gendarme et de juge. Ensuite, l'accès au réseau doit se faire dans des conditions d'efficacité suffisante, afin de maintenir les parts de marché du ferroviaire par rapport aux autres modes de transport, notamment le transport routier. L'ARAF a donc là une fonction de régulation économique, que l'on a tendance à oublier. Et dans un système qui connaît aujourd'hui une dérive de 1 à 1,5 milliard d'euros par an, la régulation économique constitue le coeur de notre travail. Cela passe, a priori, par une mise en tension du système, pour plus d'efficacité, grâce à des incitations à davantage de performance, à une meilleure qualité du réseau et à une meilleure maîtrise des coûts.
Au bout de trois ans de fonctionnement, quel bilan pouvons-nous tirer ? D'abord, et ce n'est un secret pour personne, notre réseau est malade, et il est en phase urgente de rénovation. Ensuite, au rattrapage du manque d'entretien du réseau, qui est en cours, il faut ajouter les travaux de raccordement des lignes à grande vitesse, ce qui constitue un deuxième problème. Tout cela génère un encombrement et perturbe l'attribution des sillons.
Comment se fait l'allocation des sillons ? Quand vous voulez aller d'un point à un autre, vous devez demander que l'on vous attribue des sillons. On vous les attribue ou non, à moins qu'on ne vous en attribue à titre précaire. Mais l'outil qui sert à allouer les sillons, le système informatique TOR, qui a été conçu en 1982 par et pour la SNCF, est complètement dépassé. Il faut dire qu'à l'époque, il n'y avait un seul utilisateur, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. Le système actuel est devenu très complexe, et le travail confié à RFF et à la Direction des circulations ferroviaires extrêmement délicat, dans la mesure où cet outil n'a pas été prévu pour de telles conditions. Il faut faire de nombreuses opérations manuellement. D'où les problèmes rencontrés dans l'attribution des sillons, et bien évidemment, par voie de conséquence, dans l'utilisation même du réseau ferroviaire.
Quand on vous attribue un sillon précaire, vous ne savez pas si vous aurez un sillon sur la période et l'itinéraire que vous avez demandés. L'attribution de sillons précaires est un palliatif qui ne satisfait personne, mais pour l'instant, on n'a pas trouvé mieux. Depuis notre création, nous avons déjà traité réglé quatre différends entre des entreprises et RFF, qui portaient sur l'attribution des sillons ; quatre autres sont en cours. Nous allons bientôt lancer une étude avec RFF pour essayer de trouver une réponse plus adaptée. Mais pour le moment, la situation est insatisfaisante, et la certitude onéreuse de la route est préférée à l'incertitude patente du ferroviaire. D'où le transfert modal, en tout cas pour le fret.
Enfin, le fait que l'on n'arrive pas à optimiser l'utilisation du réseau ferroviaire et qu'on ait pris du retard dans différents domaines a abouti au déséquilibre financier actuel.
La réforme de 1997, qui a été marquée par la création de RFF, a eu du bon et du mauvais.
Jusque-là, il n'y avait qu'une seule expertise : celle de la SNCF, qui était à la fois la société qui entretenait le réseau, qui l'étendait, et qui l'utilisait. Maintenant, la situation a changé et les expertises se sont diversifiées.
RFF a eu l'avantage de jouer un rôle d'aiguillon par rapport à SNCF Infrastructure. Cela m'amène à vous rappeler l'organisation actuelle, qui est un peu complexe, et qui aurait dû changer depuis longtemps. De fait, les tensions entre RFF et la SNCF sont énormes.
RFF regroupe 1 200 personnes qui sont chargées de la définition de la politique d'entretien et de rénovation du réseau. Mais l'attribution des sillons est confiée à la Direction des circulations ferroviaire, la DCF, qui compte 14 000 personnes. La DCF est rattachée à la SNCF mais l'ARAF peut donner son avis sur la nomination de son patron, qui est censé être indépendant par rapport à la hiérarchie de la SNCF.
Ensuite, 35 000 personnes appartiennent à SNCF Infra, la direction qui, au sein de la SNCF, est chargée, pour RFF, d'entretenir et de rénover le réseau. À la suite de la convention qui a été passée, RFF reçoit la facture de SNCF Infra pour le travail réalisé.
L'avantage de cette réforme est que nous disposons enfin de deux avis sur l'état du réseau. L'inconvénient est que c'est un échec industriel. La mauvaise coordination entre SNCF Infra qui mène les travaux, et la DCF qui attribue les sillons – même quand ils étaient regroupés - , conduit à s'interroger sur l'opportunité de la création du gestionnaire d'infrastructure unifié qui est censé regrouper SNCF Infra, DCF et RFF. Cela suffira-t-il à les amener à communiquer entre eux et à assurer leur coordination ?
Je vais essayer de vous expliquer ce qui se passe. Vous avez demandé des sillons, mais la rénovation du réseau oblige à lancer des travaux. Les travaux sont plutôt effectués la nuit. SNCF Infra définit des plages de travaux qui concernent certains des sillons qui ont été demandés. On vous attribue donc des sillons précaires. Sauf que, de temps en temps, ces plages de travaux peuvent se déplacer et venir percuter des sillons qui ont fait l'objet d'une attribution ferme. Et à l'inverse, il arrive que des plages de travaux qui ont été demandées ne soient pas utilisées, sans pour autant que les sillons concernés soient attribués à des entreprises.
Il faut espérer que la création du GIU avec un patron qui aura la volonté de générer un outil industriel efficace permettra de lutter contre ces dysfonctionnements qui handicapent fortement aujourd'hui le ferroviaire.