Cela dépendra aussi des hommes.
Passons à l'échec financier. La dérive générale des coûts n'a pas été maîtrisée. Certes, une convention lie SNCF Infra et RFF. Mais en cas d'arbitrage sur les coûts, l'État donne systématiquement raison à la SNCF. C'est un vrai problème.
Cela m'amène à évoquer le problème du renoncement qui avait été soulevé, dans un rapport que le Sénat lui avait demandé, par la Cour des comptes. Il arrive en effet assez régulièrement que SNCF Infra considère qu'elle n'a pas les moyens financiers de réaliser la totalité des opérations qui font pourtant l'objet d'une convention spécifiant clairement ce qui doit être fait. Donc elle ne le fait pas. Depuis l'année dernière, RFF exerce un certain contrôle. Mais ce contrôle est un peu ténu. Ce qui est surprenant, c'est qu'on ne connaît ni les raisons de ces renoncements, ni leur montant.
Comme je l'ai dit, en cas de différend entre la SNCF et RFF, l'arbitrage se fait la plupart du temps en faveur de la SNCF. Il faut dire qu'à la SNCF, il y a plus de 100 000 salariés, contre 1 200 à RFF. Bien sûr, ce n'est qu'un constat et on ne peut pas accuser systématiquement qui que ce soit. Reste que, dans le cadre de la réforme, il faudrait faire en sorte que l'État retrouve son rôle de stratège
En outre, RFF qui, à l'origine, devait seulement gérer la dette de la SNCF, a dû assurer l'entretien, plus l'extension du réseau, soit toutes les lignes à grande vitesse. Ce n'était pas prévu. On peut donc comprendre pourquoi la dette de RFF a crû et dépasse aujourd'hui 32 milliards. Et si on y rajoute celle de la SNCF, on tourne autour de 40 milliards.
J'en arrive maintenant au projet de réforme ferroviaire.
Nous souhaitons que cette réforme refonde de façon pérenne le système ferroviaire, et qu'elle respecte les équilibres et les rôles des acteurs. Ce ne sera pas facile et il faudra du temps, mais c'est envisageable. Pour cela, l'État doit retrouver son rôle de stratège. Ce n'est pas parce qu'il existe une autorité indépendante que l'État, en tant que tel, perd son pouvoir. Nous-mêmes, nous ne sommes là que pour exécuter ce que demande le législateur et ce que veut l'État.
Il nous paraît important de donner aux régions une réelle dimension d'AOT – autorité organisatrice de transports. Elles doivent pouvoir connaître les coûts. Ainsi, elles seront éclairées sur les choix de desserte et de fréquence à opérer sur leur territoire. Il faut qu'elles soient totalement responsables.
Il nous paraît évident que le GIU doit être un gestionnaire d'infrastructures de plein exercice, disposant d'un pouvoir réel, parce qu'il doit à tout prix réussir son intégration industrielle.
Pour terminer, j'insisterai sur deux nécessités. En premier lieu, il faut optimiser l'utilisation du réseau avec l'arbitrage des redevances, des incitations par la tarification. En second lieu, il faut que la réforme soit eurocompatible. Sinon, demain, vous serez obligés de revoter.
J'en viens à l'aspect organisationnel de la réforme, qui fait apparaître trois EPIC – établissements publics industriels et commerciaux – au lieu de deux.
Le premier est le GIU, c'est-à-dire l'ancien RFF regroupé avec SNCF Infra et la DCF, c'est-à-dire tout ce qui concerne le réseau. RFF étant propriétaire du réseau, le GIU serait donc le propriétaire, chargé de l'entretien, de la rénovation et de l'attribution des sillons. On peut espérer, s'ils se parlent enfin entre eux, que cette coordination permettra d'optimiser l'utilisation du système. Lors des Assises du ferroviaire, tout le monde, ou presque, était d'accord pour la constitution d'un gestionnaire d'infrastructures unifié. Mais ce rapprochement physique n'est pas une garantie en soi de réussite. Il faudra suivre, sur le terrain, les échanges d'information entre les structures.
Le deuxième EPIC est l'EPIC transporteur, qui est aujourd'hui la SNCF et qui pourrait s'appeler « SNCF Mobilité ». Reste à savoir si l'opérateur historique pourra conserver son statut d'EPIC. En effet, l'Union européenne ne conteste pas le recours à des EPIC, mais elle peut contester le fait que ce transporteur, qui est soumis à la concurrence, possède un tel statut – problème qui ne se pose pas pour le GIU, puisqu'il s'agira d'un monopole. Le fait que la dette de la SNCF soit adossée à l'État peut amener l'Europe à y voir un avantage susceptible de fausser la concurrence.
Le troisième est l'EPIC de tête – ou l'EPIC mère – dont la mission et les pouvoirs nous semblent définis de façon relativement imprécise. De nombreuses questions se posent. Mais qui va y répondre ? Le législateur ou le pouvoir réglementaire, par le biais des décrets, ou les présidents des différents EPIC ? Cela mérite pour le moins réflexion de la part du Parlement.
La stratégie globale du système ferroviaire serait définie par l'EPIC de tête. Dans ce cas, si on veut un État stratège, l'EPIC ne prendra-t-il pas la place de l'État ? Par ailleurs, comment la stratégie définie par l'EPIC de tête s'appliquera-t-elle au GIU, sachant que l'opérateur historique fera partie de son directoire ?
Ensuite, l'EPIC de tête pourrait se voir confier la gestion des ressources humaines. Dans ce domaine, chaque EPIC doit avoir son propre personnel et le gérer lui-même. D'où cette interrogation : qu'est-ce qui revient à l'EPIC de tête, qu'est-ce qui revient au GIU et qu'est-ce qui revient au transporteur ? Comment se fera la répartition ?
Enfin, il est envisagé de retrouver, au sein de l'EPIC de tête, des fonctions dites communes. Mais communes entre qui et qui ? Logiquement, entre le GIU et l'EPIC transporteur, qui est l'opérateur historique. Mais ces fonctions seront-elles ouvertes aux autres opérateurs et si oui, dans quelles conditions ?
Toutes ces questions devront être approfondies, ne serait-ce que pour éviter des recours par rapport à ce que la Commission européenne appelle des « murailles de Chine ». Pour l'instant, dans le cadre de cette réforme, nous serions chargés de nous occuper essentiellement du GIU et des flux le concernant. Mais si l'EPIC de tête regroupe des fonctions concernant, notamment, le transporteur, cela posera un problème de flux. En effet, il y a un sens dans lequel les éléments financiers ne peuvent pas aller. Par ailleurs, la prise en charge par l'EPIC de tête de certaines fonctions concernant l'opérateur historique peut entraîner des difficultés. Cela mérite pour le moins qu'on y regarde de près. Je pense notamment à la police ferroviaire. Sera-t-elle prise en charge par l'EPIC de tête ? Et pour qui assurera-t-elle la sécurité ?
Ensuite, se posera la question de la relation entre les trois EPIC. Il est en tout cas indispensable que la dette soit maintenue dans le GIU. A priori, il n'y a pas de problème, sauf si une relation avec l'EPIC de tête était discutée.
J'en reviens à la question de la séparation des fonctions essentielles et aux « murailles de Chine » dont la mise en place est suggérée par la Commission européenne. Peut considérer que les murailles de Chine sont toujours efficaces ? Il faudrait en parler aux Chinois ! (Sourires) À mon avis non. Il se trouve qu'on m'a demandé d'en dresser une entre Gares et Connexions et la SNCF : nous avons mis plus de deux ans pour arriver à nous mettre d'accord sur les principes de séparation, et nous n'avons toujours pas abouti sur un certain nombre d'aspects plus concrets comme, par exemple, le taux de rémunération du capital.
Dans le futur système, les liaisons exactes entre les EPIC devront être précisées. Je rappelle qu'à loi constante, un EPIC ne peut être filiale d'un autre EPIC. Cela relève de la loi, et donc du Parlement. Une modification législative est possible, mais il faudra y penser. Par ailleurs, tel qu'il apparaît, ce système verticalement intégré a une faible eurocompatibilité. Cela signifie que l'Europe, si elle l'accepte, demandera des garanties.
Au-delà du problème des murailles de Chine, il semble qu'aussi bien l'Europe, le président de la SNCF et les différents acteurs du ferroviaire considèrent que, dans un tel système, le pouvoir du régulateur doit être à tout prix être renforcé.