Intervention de Pierre Cardo

Réunion du 24 juillet 2013 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Pierre Cardo, président de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires, ARAF :

Le renforcement de son pouvoir contribuerait donc à l'eurocompatibilité du dispositif.

Mais revenons au projet de loi. Nous ne sommes pas des politiques et nous n'avons pas à nous prononcer pour ou contre tel ou tel système. Je vous mets simplement en garde sur les conséquences qu'aurait, au sein du directoire, une double gouvernance. En effet, il est prévu que l'EPIC de tête soit doté et d'un conseil de surveillance et d'un directoire. Ce directoire serait bicéphale : le président du GIU et le président de l'opérateur historique. À deux, je ne sais pas très bien comment il pourra y avoir une majorité, sauf quand les deux seront d'accord. Le président du conseil de surveillance ne pourrait-il pas jouer le rôle d'arbitre, dans le cas contraire ? Est-ce réaliste ? Est-ce eurocompatible ?

Même si le président de la SNCF m'a garanti qu'a priori le sujet ne sera pas abordé, je m'interroge à propos de la tarification. Il n'est pas irréaliste de penser que l'État voudra à la fois que le GIU réduise sa dette, et que la tarification n'augmente pas trop. Dans la pratique, le président du GIU demandera une augmentation de la tarification pour équilibrer ses comptes et réduire sa dette, mais le président de l'opérateur historique ne sera pas forcément d'accord. Dans ces conditions, on peut se demander comment arbitrer le différend.

S'agissant du rôle de l'ARAF, je note un glissement de sémantique entre ce qui m'a été dit il y a deux ans, qui a été confirmé il y a quelques mois encore, et ce que qui ressort des textes qui m'ont été fournis. De fait, on a parlé de renforcement du rôle du régulateur jusqu'à il y a deux ou trois mois et aujourd'hui, on parle de rénovation du rôle du régulateur, ce qui me semble très différent.

D'abord, nous risquons de ne plus avoir à rendre d'avis conforme sur la tarification, qui est le seul pouvoir « dur » que nous ayons. Les autres avis sont des avis motivés, des avis simples qui n'engagent pas. L'avis conforme est différent, puisque l'on doit s'y conformer. Je vous ai expliqué tout à l'heure que la régulation économique était importante aujourd'hui pour résoudre le problème du déficit, voire pour revoir l'optimisation du système ferroviaire. L'abandon de l'avis conforme sur la tarification ne va donc pas du tout dans le sens d'une augmentation des pouvoirs du régulateur.

En revanche, on nous demandera beaucoup plus d'avis simples. Ainsi, nous allons nous prononcer sur de nombreux sujets, sur lesquels nous n'étions pas obligés de nous prononcer auparavant. Cela dit, il est inutile de nous donner ce pouvoir, dans la mesure où rien n'interdit, dans la loi actuelle, que nous donnions notre avis sur tel ou tel sujet, dès lors qu'on nous le demande. Je vous rappelle que nous sommes à la disposition du Parlement et du Gouvernement. Nous sommes là pour faire part de nos observations sur un système qui besoin d'être rénové.

Mais revenons à l'avis conforme. Cette année nous avons donné un avis négatif sur la tarification de RFF, puis nous avons négocié pendant deux mois, et nous avons fini par l'approuver. À partir de ce moment-là, cette tarification ne pouvait plus être contestée par les opérateurs, que ce soit SNCF ou la concurrence.

Imaginons que demain, nous n'ayons plus d'avis conforme à donner. Nous donnerons donc un avis motivé. Peut-être le collège sera-t-il amené à formuler des remarques négatives à propos de cette tarification, laquelle se trouvera immédiatement fragilisée. En effet, n'importe lequel opérateur pourra la contester. Sa mise en oeuvre prendra donc un certain temps.

Cela ne signifie pas pour autant que l'ARAF perdra toute possibilité d'action. Effectivement, a posteriori, elle aura sans doute à se prononcer sur le différend qui opposera l'opérateur à RFF. Mais son intervention, au lieu d'être préventive, sera curative. Je ne sais pas si c'est l'objectif recherché.

En conclusion, si on nous demande mon avis sur de très nombreux sujets, mais qu'on nous ôte tout pouvoir sur la tarification, notre rôle relèvera davantage de la prestation de services que d'un véritable pouvoir.

Autre aspect de cette réforme : le recentrage du rôle de l'ARAF sur les fonctions de gendarme et de juge de la concurrence, aux dépens de sa fonction de régulation économique. On envisage en effet de modifier la composition du collège de l'Autorité, dont la fonction juridique sera accentuée par l'intégration en son sein d'un membre du Conseil d'État et d'un conseiller de la Cour de cassation. Le collège de l'ARAF comprend déjà un membre de la Cour des comptes. En fin de compte, le domaine économique y serait ainsi beaucoup moins représenté, pour ne pas dire absent.

Il y a à peine trois ans que l'ARAF a été créée. Est-il absolument nécessaire de modifier la composition de son collège ? L'État dispose déjà de la possibilité de nommer quatre des sept membres, l'Assemblée un membre, le Sénat un membre et le Conseil économique, social et environnemental, un membre. Les membres de ce collège ont des origines et des formations différentes : des économistes, des juristes, des inspecteurs de finances. Il n'est pas toujours facile de les coordonner, mais on y arrive.

Je ne vois pas l'intérêt d'accentuer l'aspect juridique du collège. Nous disposons d'ailleurs de trois services – un service juridique, un service comptable et un service s'occupant de l'accès au réseau – qui sont indispensables si l'on veut maîtriser la connaissance du système ferroviaire.

Cela ne nous paraît pas conforme avec l'intérêt du régulateur, qui doit également jouer un rôle économique. En outre, notre rôle de gendarme et de juge de la concurrence est lui-même menacé par le fait qu'il y aurait, dans le nouvel ensemble généré dans le cadre de la réforme, un Haut comité qui viendrait concurrencer la compétence que nous avons dans le règlement des différends.

En résumé, je remarque qu'on va regrouper au sein du GIU trois entités, mais qu'on va en créer deux autres : un Haut comité et un EPIC de tête. Je ne sais pas si cela va dans le sens de la simplification. Je peux certes comprendre l'intérêt de mettre en place un Haut comité destiné à réunir, dans la concertation, les différents partenaires du ferroviaire – usagers, associations de défense de l'environnement, politiques, etc. qui ont tendance à se plaindre de la complexité du système – autour de différents sujets comme l'organisation du ferroviaire ou l'attribution des sillons. Mais que ce comité puisse intervenir avant l'ARAF, en première instance, comme médiateur, pour tenter de régler les différends, me cause un vrai problème. Pourquoi l'Agence interviendrait-elle en deuxième instance ? Cette nouvelle structure, dont la composition me semble elle-même bien complexe, va-t-elle vraiment nous simplifier la vie ?

J'observe en outre qu'on envisage, dans ce cadre de cette réforme, l'instauration d'un code du réseau. En France, nous disposons d'un document de référence du réseau, ou DRR, qui renseigne sur l'accès au réseau – nous donnons un avis motivé sur les points qui peuvent paraître un peu complexes – et sur la tarification – sur laquelle nous donnons un avis conforme. Aujourd'hui, les Britanniques, qui ne disposent d'un DRR que depuis que l'Europe l'a imposé à l'ensemble des pays de l'Union, sont les seuls à être dotés, pour des raisons historiques, d'un code du réseau.

Pour l'instant, nous avons un DRR conforme à ce que demande l'Europe. Que mettra-t-on donc dans le code du réseau ? Si le code du réseau n'est qu'un élément de chapitre du DRR, cela ne devrait pas poser trop de problème, d'autant que nous pourrons continuer à donner notre avis dessus. Si c'est un élément extérieur au DRR et s'il en retire des éléments, cela ne risque-t-il pas de nous causer des difficultés par rapport à la refonte du premier paquet ferroviaire de décembre 2012 ?

Nous nous demandons si nous n'allons pas perdre notre pouvoir sur une partie de ce contenait le DRR. Ce qui serait alors dans ce code du réseau pourrait être contesté par tel ou tel opérateur, et ne pourrait plus être dénoncé devant nous. En effet, ce qui serait sorti du DRR ne nous concernerait plus.

Enfin, il est question de nommer un commissaire du Gouvernement auprès de l'Autorité. J'espère que cela signifie que l'État entend conforter son rôle de stratège et expliquer sa stratégie.

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