Toutes ces considérations doivent nous amener à revisiter nos politiques industrielles.
S'agissant de la tarification, l'ARAF n'a pas de compétence en matière de tarification destinée aux usagers : elle ne se préoccupe que de la tarification des péages versés par les opérateurs.
J'en viens aux 13 millions d'euros de redevance auxquels l'ARAF va renoncer. Dès la première année de fonctionnement, nous nous sommes aperçus que nous n'avions pas consommé l'essentiel du péage que nous avions prélevé. Je tenais pour ma part à rendre l'argent aux opérateurs, considérant que je prélevais une somme qui leur appartenait en échange d'une prestation qui n'existait pas, mais la Cour des comptes, jugeant que cela revenait à les subventionner, m'a interdit de procéder ainsi. Nous avons donc cherché une autre solution.
Entre-temps, l'État avait décidé de plafonner nos recettes à 11 millions d'euros et de limiter nos effectifs à 52 et à 56 équivalents temps pleins au lieu des 60 prévus par la loi, ce que nous avons considéré comme une légère entaille à notre autonomie. Nous avons fait valoir que puisque nous ne pouvions pas rendre l'argent en l'état, il convenait de ne pas le prélever. Les opérateurs conserveront donc cette somme, au moins l'année prochaine.
La loi a créé des autorités publiques indépendantes, mais où est leur indépendance si l'État passe son temps à essayer de les encadrer ? Je pense qu'il faut partir du principe que les présidents des autorités publiques ont le sens des responsabilités et pratiquent une gestion saine. Après tout, ces autorités doivent leur existence à la volonté du Parlement et du Gouvernement.
L'État avait une autre possibilité, celle de plafonner nos recettes à zéro, faisant ainsi de l'argent prélevé sur les opérateurs une taxe prélevée directement par Bercy, ce qui permettrait d'attribuer ces sommes à des projets particuliers. Sauf que l'affectation des recettes nous échappe totalement. Je serais très heureux que l'on me donne la possibilité d'attribuer les suppléments de recettes à tel ou tel fonds.
Si mon équipe compte 38 experts sur les 56 prévus, c'est que le siège de l'ARAF a été installé au Mans. On peut s'en étonner quand on sait que les acteurs du rail se trouvent à Paris, à Bruxelles et dans toute l'Europe. Nous avons donc des bureaux au Mans et un local à Paris. Mais cela pose problème. Dans mon équipe, 12 personnes font chaque jour l'aller-retour entre Paris et Le Mans, ce qui représente 2 heures 30 de trajet, et 4 heures pour ceux qui habitent en grande banlieue. Or en dehors du personnel administratif, nous recrutons des ingénieurs des Ponts, des polytechniciens, des experts comptables, des spécialistes du droit de la concurrence ou du droit européen. Ces personnes devant nécessairement bénéficier d'une expertise, cela exclut les juniors. Nous nous sommes efforcés de recruter des seniors, mais ceux-ci sont le plus souvent installés en région parisienne, leur conjoint a des responsabilités, leurs enfants vont à l'université : très peu d'entre eux acceptent de venir travailler au Mans.
Cela dit, nous réussissons à fonctionner et nous avons démontré notre expertise, même si nos services juridiques et financiers ne pèsent pas lourd face aux services de la SNCF. Pour autant, je ne souhaite pas recruter plus de 40 collaborateurs tant que je ne connais pas exactement le contenu de la réforme. Ce n'est sans doute pas confortable pour les services, mais il ne serait pas raisonnable d'utiliser les fonds qui sont mis à ma disposition simplement pour atteindre l'effectif qui m'a été alloué.
J'en reviens au fret : contrairement au transport de passagers, le fret ne bénéficie pas d'un service minimum en cas de grève, ce qui peut poser des problèmes aux opérateurs.
L'ouverture à la concurrence accordera nécessairement aux régions une plus grande autonomie de décision. Je considère qu'elles seules sont en mesure d'apprécier exactement les lignes qui sont rentables et celles qui ne le sont pas et nécessitent d'autres types de transport.
Dans un grand élan euphorique, nous avons mis en place des TER sur tout le territoire. Il convient aujourd'hui de revoir leur implantation et de faire des régions des AOT de plein exercice, notamment en vue de préparer l'ouverture à la concurrence en 2019 – ou plutôt en 2024, vu la durée des conventions passées avec la SNCF. Il serait intéressant de donner aux régions les moyens de décider du maintien de certaines lignes et d'organiser la comptabilité par ligne qu'elles attendent. Elles nous en font la demande, mais le législateur ne nous en a pas donné les moyens.
La SNCF aurait intérêt à se préparer à l'ouverture à la concurrence, car nous avons l'impression qu'elle est inquiète et fait le dos rond. J'aimerais que la France dispose d'un groupe efficace et compétitif, d'autant que l'alliance objective qui nous lie aux Allemands à propos du « quatrième paquet ferroviaire » pourrait bien ne pas durer longtemps si, dès l'ouverture à la concurrence, la Deutsch Bahn décide d'attaquer une partie du marché français.
J'en viens au statut des personnels, sur lequel, je le rappelle, l'ARAF n'est pas compétente. Pour améliorer la compétitivité du groupe, ce n'est pas le statut qu'il faut revoir mais l'organisation du travail. Il ne m'appartient pas de me prononcer sur cette question, mais je reconnais qu'elle doit être posée. L'ouverture à la concurrence nous placera dans une mauvaise posture par rapport aux Allemands car lorsque nous avons réformé la SNCF, nous avons maintenu sa dette en la transférant sur RFF, tandis que les Allemands l'ont tout simplement supprimée. Ils ont également réglé la question du statut des personnels, ce qui n'est pas notre cas. Nous partons donc avec un boulet au pied. Ce ne sera évident ni pour la SNCF ni pour le système ferroviaire. Nous devons impérativement nous interroger sur la façon dont nous allons résoudre la quadrature du cercle qui s'imposera à nous dans les années qui viennent.
Si nous nous préoccupions des problèmes de compétitivité, nous serions amenés à revoir un certain nombre d'éléments de notre organisation du travail. L'augmentation annuelle de la dette de 1,5 milliard d'euros prouve que l'organisation du travail ne correspond pas à la façon dont il faudrait intervenir sur le réseau ferroviaire, tant pour faire circuler les trains que pour organiser le réseau.
SNCF Infra emploie 35 000 personnes. Il est surprenant d'attendre qu'elle intègre le GIU pour lui demander de faire des économies. Ne peut-elle faire des économies dès maintenant ?
La sécurité n'entre pas dans le champ d'action de l'ARAF, mais dans celui de l'établissement public de sécurité ferroviaire (EPSF) sur lequel l'ARAF n'agit que par le biais de la réglementation en s'assurant que la sécurité ne va pas à l'encontre de l'ouverture à la concurrence.
Nous rencontrons nos homologues européens de deux manières : d'une part, la Commission européenne réunit chaque année tous les régulateurs autour d'un ordre du jour qu'elle a elle-même fixé, et d'autre part l'IRG-Rail – Independent Regulators' Group – réunit tous les régulateurs dits indépendants – même ceux ne le sont pas, comme les Italiens par exemple.
Nos homologues britanniques sont réellement indépendants et disposent d'un important pouvoir de sanction, mais je ne suis pas certain que ce soit une bonne solution. Le rôle limité de l'ARAF s'agissant de l'activité de l'EPSF est une bonne chose dans la mesure où il nous permet de ne pas être à la fois juge et partie.
En Allemagne, l'autorité de la concurrence possède plusieurs branches, dont l'une est constituée par le régulateur ferroviaire. Je suis quelque peu réservé quant à son indépendance réelle dans la mesure où j'observe dans les débats au sein de l'IRG-Rail que les Allemands défendent avec force le système verticalement intégré. La Commission européenne a traduit certains pays devant la Cour de justice, notamment l'Allemagne au motif que la DB utilise les subventions des Länder pour acheter ses concurrents européens. Je m'étonne que cette situation n'ait pas été traitée par le régulateur.
Discuter avec nos homologues est un benchmarking très intéressant, même si nos optiques sont très différentes. Nous avons notamment du mal à leur expliquer que la concurrence n'est pas un but mais un moyen, qu'elle peut être utile mais ne règle pas tous les problèmes et qu'elle doit être encadrée. Pour cette raison, j'affirme la nécessité absolue pour notre pays de pouvoir compter sur un régulateur indépendant et fort qui rassure l'Europe et les acteurs du ferroviaire sur le fait que le système ferroviaire français n'est pas contrôlé par l'opérateur historique mais par le Parlement, la Cour des comptes, la Cour d'appel et le Conseil d'État.