Intervention de Philippe Étienne

Réunion du 16 juillet 2013 à 17h15
Commission des affaires européennes

Philippe Étienne, ambassadeur, représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne :

Je commencerai par évoquer le cadre financier pluriannuel : celui-ci a fait l'objet, au mois de juin, à la fin de la présidence irlandaise de l'Union européenne, d'un accord très important entre le Parlement européen et le Conseil, qui a été confirmé par une résolution à caractère politique adoptée au début du mois de juillet par le Parlement européen à Strasbourg. Cela étant, les textes du paquet central doivent encore être juridiquement finalisés : le règlement portant cadre financier pluriannuel et l'accord institutionnel puis la décision relative aux ressources propres qui, elle, sera soumise à la ratification des parlements nationaux. Et c'est à l'automne que le Parlement européen et le Conseil donneront leur accord définitif sur les deux premiers textes précités.

Parallèlement, de nombreuses négociations sectorielles sont en train d'aboutir, s'agissant notamment de la politique agricole commune et de la politique de cohésion, sur lesquelles un accord a été trouvé à plus de 95 %. La politique agricole commune a ainsi fait l'objet d'un accord en trilogue, à la fin de la présidence irlandaise, avec le Parlement européen et le Conseil. Ces grandes politiques continuent cependant à faire l'objet de questions ouvertes de la part du Parlement européen sur des points déjà préalablement traités par les chefs d'État et de Gouvernement en février dernier dans le cadre du paquet central et sur lesquels le Parlement européen s'est par conséquent senti dépossédé de son pouvoir de codécision. Cela concerne notamment la conditionnalité macro-économique pour la politique de cohésion, mais aussi des questions de plafonnement et de dégressivité des aides de la politique agricole commune. Quant à la pêche, les ministres européens chargés de ce secteur ont trouvé hier un accord qui doit encore être finalisé avec le Parlement européen sur le Fonds européen pour la pêche et les politiques maritimes.

Dans le cadre de l'accord conclu à la fin du mois de juin, le Parlement européen a obtenu des avancées très importantes en termes de flexibilité qui permettront de dépenser le budget alloué en février dernier concernant les plafonds de crédits de paiement – les fameux 908,4 milliards d'euros. Le Parlement européen a également insisté sur la notion de ressources propres – les États n'ayant pas trouvé d'accord unanime en vue d'en créer de nouvelles. Un programme de travail – c'est-à-dire davantage qu'une simple clause de revoyure à la fin de la période des sept ans à venir – a donc été défini par les institutions afin de dégager de telles ressources qui font de toute évidence défaut, ainsi que nous l'avons constaté en période de difficultés budgétaires nationales, lorsqu'il faut voter les budgets européens.

Si la taxe sur les transactions financières fait précisément partie des recettes susceptibles de constituer de nouvelles ressources propres de l'Union européenne, la question posée par Mme la présidente à ce sujet portait plutôt sur l'état d'avancement de la négociation relative à l'application de la taxe dans le cadre d'une coopération renforcée. Depuis janvier dernier, les institutions européennes ont autorisé onze pays, dont la France, à négocier cette première coopération renforcée en matière fiscale. Si certains commentaires publiés dans la presse ont fait état de la possibilité que le dispositif finalement adopté soit moins ambitieux que prévu, nous souhaitons toujours instaurer une taxe qui aille au-delà d'un simple droit de timbre sur les actions. Depuis le début des négociations sur cette coopération renforcée, la France demande que l'on inclue dans le dispositif une partie au moins des produits dérivés ainsi que les transactions de change – préconisation ne figurant pas dans les propositions de la Commission européenne mais rejoignant l'idée initiale de la taxe Tobin.

Nous visons en même temps, il est vrai, à définir avec précision cette future taxe afin d'en minimiser les effets négatifs sur l'économie et son financement – principal point motivant les travaux des experts fiscaux. Ces derniers négocient actuellement à vingt-huit puisque même les pays qui ne prendront pas part à la coopération renforcée assistent à ces travaux dans un souci de transparence. Cela étant, ce sont évidemment les onze États parties prenantes qui prendront in fine la décision.

Dans le cadre des travaux du groupe, nous essayons d'analyser avec précision les effets de cette taxe et discutons notamment de la méthode à retenir pour taxer les produits dérivés en fonction de la spécificité de chaque type de produit concerné et ainsi éviter que le marché des produits dérivés ne quitte les pays instituant la taxe. Je rappelle que le Royaume-Uni et le Luxembourg, qui ne participent pas au groupe, comptent deux des principales places financières de l'Union européenne, Londres et Luxembourg. Autre exemple de sujet dont nous discutons : selon quel principe de territorialité définit-on la base taxable ? La Commission européenne propose pour sa part de combiner deux principes : le principe de résidence et le principe d'émission. Ce choix peut lui aussi emporter des effets économiques importants.

Les négociations avancent donc : elles ont commencé en début d'année sur la base d'une nouvelle proposition de la Commission européenne, formulée spécifiquement pour cette coopération renforcée, et dont le Parlement européen a achevé l'examen au début de ce mois.

Dans le cadre du grand chantier de rénovation de l'Union économique et monétaire, qui vise à tenir compte de la crise passée et à éviter qu'elle ne se reproduise à l'avenir, c'est le pilier de l'union bancaire qui progresse le plus vite. Un travail considérable a en effet été accompli à ce sujet depuis le Conseil européen de juin 2012, au cours duquel a été formulée la proposition de mécanisme de supervision unique (MSU) des banques des pays de la zone euro et de celles des pays non membres de la zone euro souhaitant s'associer à ce mécanisme. Cette proposition a été adoptée par le Conseil des ministres des finances dès la fin de l'année dernière puis fait l'objet d'un accord avec le Parlement européen au cours de ces derniers mois. Et c'est pour des raisons de procédure parlementaire allemande que le vote final au Parlement européen n'interviendra qu'en septembre prochain. Le mécanisme de supervision entrera alors effectivement en vigueur sans doute en septembre 2014. Au cours de la période transitoire séparant ces deux dates, la Banque centrale européenne se préparera à exercer cette fonction, avec la Banque de France et les autres superviseurs nationaux des banques. Cette mission sera bien séparée de sa fonction monétaire.

Parallèlement, la directive et le règlement fixant des exigences en matière de capitaux pour les banques, en application des accords de Bâle III, entreront en vigueur au début de l'année 2014.

Enfin, nous travaillons à présent sur deux textes relatifs au traitement des crises bancaires : ils concernent notamment le redressement et la résolution des banques, lorsque la supervision nous contraint à agir, de manière ordonnée afin d'éviter des problèmes du type de ceux que nous avons connus récemment.

Il s'agit tout d'abord d'une directive d'harmonisation des mécanismes de résolution des crises bancaires – applicable à toute l'Union européenne et non seulement dans la zone euro : ce texte a fait l'objet d'un accord des ministres de l'économie et des finances au mois de juin, juste avant le Conseil européen, et va donc être à présent examiné en trilogue avec le Parlement européen. Nous espérons qu'il sera définitivement adopté avant la fin de l'année, tout comme la directive sur la garantie des dépôts.

En deuxième lieu, la Commission vient de proposer un mécanisme de résolution unique pour la zone euro et les autres pays participant au MSU. Ce mécanisme s'appuierait non pas sur la Banque centrale européenne mais sur un conseil de résolution central unique, constitué des autorités de résolution existant dans les États-membres et sur des décisions qui devraient être prises par la Commission européenne. Ce conseil de résolution pourrait siéger en deux formations : l'une aurait une compétence réglementaire générale ; l'autre pourrait intervenir dans l'urgence dans des cas spécifiques, en lien direct avec les pays directement concernés. Tirant notamment les leçons de la crise chypriote, il s'agit de faire en sorte que toutes les mesures soient prises de manière ordonnée.

Ces deux textes sont liés : la directive relative à la résolution bancaire fixe en effet une méthodologie de bail in, c'est-à-dire l'ordre dans lequel on appellera les créanciers voire les gros déposants – ces derniers étant cependant protégés, sans parler des dépôts de moins de 100 000 euros qui seront totalement sanctuarisés en cas de problème bancaire. Cette méthodologie sera également utilisée dans le cadre du mécanisme de résolution unique. La directive fait déjà l'objet d'un accord entre les ministres de l'économie et des finances des 28 États membres.

La dernière proposition de la Commission a toutefois suscité, tout comme en son temps le mécanisme de supervision unique, des réactions assez prudentes de la part d'autorités allemandes qui s'interrogent sur la compatibilité de ce texte avec le traité actuel ainsi que sur la pertinence de la base juridique retenue – à savoir l'article 114 du Traité de l'Union européenne qui porte sur le marché intérieur. Si les discussions risquent d'être délicates sur ce sujet, un consensus se dégage bel et bien pour finaliser l'architecture de l'Union bancaire avant les élections européennes – comme l'illustre la contribution franco-allemande du 30 mai dernier ayant largement servi de base au Conseil européen de juin et annoncée en janvier lors de l'anniversaire du Traité de l'Élysée. Cette finalisation est très importante, compte tenu des crises traversées, pour couper le lien pernicieux entre la crise des dettes souveraines et les crises bancaires.

S'agissant des autres piliers de l'Union économique et monétaire, le Conseil européen de juin n'a effectivement pas pris de décision concernant la coordination des politiques économiques, l'échéance ayant été repoussée à décembre, avec un point de passage lors du Conseil européen d'octobre, afin d'évoquer notamment le choix des indicateurs devant figurer sur le tableau de bord de pilotage pour la coordination, la convergence et la compétitivité de nos politiques économiques.

Je signale néanmoins un progrès sur le volet social puisqu'en décembre dernier, la France a obtenu qu'il soit intégré au chantier de l'Union économique et monétaire. Ce point est d'ailleurs développé parmi les conclusions du Conseil européen de juin dernier : c'est la première fois que nous nous accordons sur le principe d'indicateurs dans le domaine des politiques sociales et de l'emploi qui seront intégrés dans le semestre européen – l'accent étant mis aussi sur le dialogue social. À cet égard, peut-être aurez-vous constaté que lors du Conseil européen de juin – fait tout à fait inhabituel –, les partenaires sociaux ont été reçus par les chefs d'État et de Gouvernement. Ils ont bien évidemment beaucoup parlé de l'emploi des jeunes et du financement de l'économie. Une communication de la Commission européenne est en outre attendue à l'automne sur le volet social, dans le cadre des travaux sur l'avenir de l'Union économique et monétaire. Cela ne veut pas dire qu'il sera facile de développer ces aspects sur le plan opérationnel mais il reste que l'on a bel et bien progressé.

La directive sur le détachement des travailleurs constitue effectivement un texte extrêmement important et sensible. Sur le plan de la procédure, nous en sommes au stade où la commission compétente en matière d'emploi au sein du Parlement européen a adopté sur ce texte sa position de négociation. En revanche, le Conseil est divisé sur les deux articles les plus sensibles du texte que sont l'article 9 relatif aux mesures de contrôle et l'article 12 relatif à la responsabilité solidaire des contractants. Un groupe d'Etats se montre ainsi assez réticent à renforcer la discipline en ce domaine, tandis que la France fait à l'inverse partie d'un groupe volontariste assez nombreux. Ce texte constitue de fait une très grande priorité pour notre pays. Si l'on peut espérer que son adoption aboutisse à l'automne, le processus n'en sera pas moins difficile.

Parallèlement aboutira la discussion sur le Fonds européen d'aide aux plus démunis, qui a été intégré dans le paquet central du cadre financier pluriannuel, de même que le Fonds social européen, qui constituera le principal instrument de financement des politiques de l'emploi, notamment l'emploi des jeunes. Il s'agit là d'un des points principaux sur lesquels a porté le Conseil européen de juin, et notamment la mise en oeuvre, non plus sur sept ans mais dès janvier prochain et sur deux ans seulement, de l'Initiative emploi des jeunes de six milliards d'euros que les chefs d'État et de Gouvernement avaient prise en février dernier.

Quant au projet d'accord entre l'Union européenne et les États-Unis, un mandat excluant les services audiovisuels a été obtenu (conformément à votre demande) au sein du Conseil. Il a donné lieu à une première séance de négociations initiales à Washington la semaine dernière qui a confirmé semble-t-il que l'un des points à la fois les plus importants et les plus complexes de ces discussions portera sur l'agriculture et l'agroalimentaire. L'exercice a débuté dans le contexte que vous connaissez puisque d'autres discussions se sont tenues en parallèle sur la protection des données.

Enfin, concernant le climat et l'énergie, le 22 mai dernier, les chefs d'État et de Gouvernement ont décidé – en vue de la 21e Conférence sur le climat que la France se propose d'accueillir à la fin de l'année 2015 et dont l'objectif est d'aboutir à un accord mondial – de se retrouver en mars 2014 afin notamment de réfléchir aux objectifs climatiques et énergétiques de l'Union européenne pour 2030.

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