Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis en ce lundi 24 juin pour célébrer le centenaire de la naissance d’un homme qui, bien avant nous, laissa son empreinte à l’Assemblée nationale. Un homme, qui, par bien des aspects, aura marqué son siècle et apporté une contribution, peut-être inégalée, à la France, à sa culture et à la communauté républicaine.
Aimé Fernand David Césaire est né à Basse-Pointe en Martinique dans une famille modeste, puis il a étudié à Fort-de-France et à Paris, dans les lycées Victor-Schoelcher et Louis-le-Grand. Il y fera la connaissance de Léopold Sédar Senghor, avant d’intégrer l’École normale supérieure. Frappé par les inégalités économiques qui règnent dans cette société coloniale, il réalise que s’y ajoute l’aliénation culturelle. C’est en réaction à ce constat qu’il fera, dès 1936, le choix de la plume, un choix qui sera au crépuscule de sa vie une libération ultime. Il esquisse rapidement le concept de « négritude », quelquefois malhonnêtement critiqué et faussement dévoyé. Car la négritude, et je le dis ici, est un particularisme, mais avant tout, un universalisme.
Ce concept lui permettra de s’opposer à l’assimilation, celle qui broie la particularité, celle qui nie l’identité et qui confond unité et uniformité.
Humaniste militant, il emploie déjà le vocable qu’on retrouvera notamment chez Frantz Fanon – malgré les débats qui ont pu opposer les deux hommes – en affirmant être « de la race de ceux qu’on opprime », faisant ainsi référence à des individus qu’on ne détermine ni par leur couleur de peau ni par leurs origines.
Après avoir décroché l’agrégation de lettres, Aimé Césaire retourne en Martinique, où il enseigne, publie son célèbre recueil Cahier d’un retour au pays natal et fonde la revue Tropiques avec de nombreux intellectuels.
Les difficultés qu’il connaîtra l’amèneront à l’engagement, celui d’un homme politique qui ne cessera de confondre le combat culturel avec le combat politique, l’un étant le prolongement de l’autre, et inversement.
La culture est encore et toujours au coeur de son engagement. Pour lui, il s’agit à la fois de permettre un meilleur accès du peuple à la culture et de valoriser les artistes, afin de faire valoir ce qu’il y a de plus fort dans cette notion qui mêle universalisme et particularisme. Ces objectifs seront notamment placés au coeur du festival annuel de Fort-de-France, lancé dès 1972.
Si nous célébrons aujourd’hui la mémoire d’Aimé Césaire, nous n’oublions pas pour autant les difficultés que nous traversons – bien au contraire ! Son souvenir doit nous aider à refuser de céder à la peur, surtout à la peur de l’autre, au rejet de l’autre qui s’expriment ici ou là, aux surenchères, car il aurait pour sa part préconisé la paix et la réconciliation. Un tel voeu n’est pourtant pas chose facile, et Césaire le savait. Les premiers mots du Discours sur le colonialisme sont à cet égard particulièrement pertinents : « Une civilisation qui s’avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente ». Cette exigence absolue doit nous armer de courage dans le difficile contexte actuel.
C’est meurtris par la mémoire de cette perte que nous appréhendons aujourd’hui le départ des grands héros que nous comptons encore parmi nous. Nos pensées se tournent naturellement vers Nelson Mandela : comment ne pas songer aujourd’hui même à un tel rapprochement, à la façon dont celui qui porta la nation arc-en-ciel fait écho à celui qui permit de faire résonner avec culture et poésie la notion d’une nation véritablement républicaine parce que véritablement égalitaire ?
Ainsi que l’écrit Césaire dans La Tragédie du Roi Christophe : « Tous les hommes ont mêmes droits. [… ] Mais du commun lot, il en est qui ont plus de devoirs que d’autres. » Cela, Nelson Mandela l’avait compris.
Je remercie donc Aimé Césaire, et tous ceux qui permettent de faire vivre dans la politique et dans la culture son héritage.