Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires économiques, madame et monsieur les rapporteurs, messieurs les rapporteurs pour avis, comme notre rapporteur Jean-Louis Bricout l’a indiqué, la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire s’est saisie pour avis du projet de loi relatif à la consommation, afin d’examiner quelques articles concernant quatre thèmes : le champ d’application de l’action de groupe, la réparation des biens meubles qui pose la question du recyclage et de l’économie circulaire, les indications géographiques et les transports.
En fait, sur les deux premiers thèmes, nos débats – comme ceux qui se sont déroulés en commission des affaires économiques – ont davantage posé de questions qu’ils n’ont réellement modifié le texte.
Nous voyons bien que l’introduction dans le droit français de l’action de groupe en faveur des consommateurs renvoie à la question de l’action de groupe en matière de santé et d’environnement, tant est peu satisfaisante la situation actuelle, qui laisse les citoyens seuls face aux responsables des dégâts voire des désastres écologiques ou sanitaires.
Nous vous avons entendu, monsieur le ministre, lorsque vous avez annoncé que le Gouvernement envisageait, dans un autre texte, d’élargir l’action de groupe au domaine de la santé, dans la mesure où l’actuel projet de loi est centré sur la notion de préjudice matériel et économique.
Mais la mise en oeuvre de l’action de groupe dans le domaine de la consommation conduit inévitablement à s’interroger sur les conditions et les délais dans lesquels nous devrons étendre le champ d’application aux questions environnementales. Sachant bien entendu que la question est complexe et que, en l’état actuel des choses, un débat s’impose.
En effet, élargir le mécanisme proposé par ce projet de loi imposerait de désigner quelles sont les associations de défense de l’environnement habilitées à introduire l’action de groupe, sujet d’autant plus sensible, que parmi les associations concernées, il n’existe pas de véritable consensus sur le principe et les critères de représentativité des associations environnementales.
De même, défendre les intérêts de consommateurs personnes physiques est une tout autre chose que défendre l’intérêt qui s’attache à la protection de l’environnement, sauf à réduire l’action de groupe à la seule réparation des préjudices personnels nés d’une atteinte à l’environnement.
De plus, l’action de groupe n’a de sens que si les préjudices à réparer sont sensiblement identiques. Or les conséquences morales, matérielles, sanitaires de dommages environnementaux peuvent ne pas être les mêmes d’une personne à l’autre.
Monsieur le ministre, à propos des mesures envisagées, dans votre texte en matière de garanties apportées aux consommateurs et pour améliorer leur information, il n’est pas inutile de rappeler, qu’elles ne doivent pas masquer les questions sous-jacentes à notre modèle de société de consommation, vous l’avez du reste rappelé dans votre intervention liminaire.
Nous sommes bien sûr tous d’accord pour dire qu’il faut renoncer à l’économie linéaire, qui trouve sa limite dans la rareté des ressources naturelles, pour privilégier une approche circulaire. Producteurs et acheteurs ne peuvent plus ignorer la phase finale de la vie des produits liée à leur récupération, au recyclage des matériaux et à la gestion des déchets, qui doivent s’appréhender dès la conception des biens et via l’organisation spatiale des entreprises, coopérant dans un lieu privilégié, afin d’optimiser l’usage des ressources et la valorisation des déchets. L’Allemagne en 1994, le Japon en 2000, la Chine en 2008 ont adopté des lois pour promouvoir l’économie circulaire, qui économise les matières premières, réduit la consommation d’énergie et les émissions de carbone, limite les pollutions, encourage l’innovation et crée de nouveaux emplois.
Cet aspect n’a pas été pris en compte par le projet de loi. Or il est essentiel : la durée de vie d’un produit conditionne les choix et les relations commerciales entre fabricants et consommateurs. On se doute bien que leurs objectifs diffèrent.
Mais de réelles questions se posent sur l’éco-participation et la mise en place de véritables filières ; sur l’obsolescence programmée des matériels qui n’est pas une vue de l’esprit même si le phénomène n’a pas révélé encore toute sa complexité. L’ADEME la définit comme « un stratagème par lequel un bien verrait sa durée de fonctionnement moyen sciemment réduite, dès sa conception, limitant ainsi sa durée d’usage pour des raisons de modèle économique ». Or ce mode de production entre aujourd’hui en contradiction avec la nécessité de réduire notre consommation de matières premières, tout comme notre production de déchets. Selon l’OCDE, 62 milliards de tonnes de ressources – minéraux, métaux, bois, combustibles fossiles, matériaux de construction – sont extraites chaque année de la planète, une consommation en hausse de 65 % depuis vingt-cinq ans. Cette augmentation phénoménale n’est pas régulée par le marché qui ne prend en compte aucune externalité environnementale ou sociale, pour fixer le prix de ces matières premières. À l’autre bout du cycle, les déchets sont, soit insuffisamment traités en France, soit envoyés dans les pays pauvres, ce qui entraîne des conséquences environnementales etou sanitaires désastreuses.
La fondation Ellen MacArthur estime que, si la moitié des téléphones portables étaient collectés en Europe, pour être réutilisés et reconditionnés, on économiserait un milliard de dollars de matières premières et 60 millions de dollars d’énergie chaque année.
Pourtant, fabriquer des biens qui durent est évidemment possible et correspond déjà à la réalité dans de nombreux secteurs qui ne s’accommodent pas de l’obsolescence. C’est le cas d’un centre d’usinage d’un moteur d’avion, voire des voitures actuelles, qui atteignent des durées d’existence bien plus longues que leurs ancêtres. Elles « tiennent » en général les dix ans ou les 300 000 kilomètres pour lesquels elles ont été conçues. L’idée est donc de généraliser ce modèle de production.
Il est également sans doute trop tôt pour instaurer un double affichage des produits et introduire le prix d’usage. Mais n’en doutons pas, l’économie de la fonctionnalité est un sujet de fond.
Car produire des biens, qui durent davantage, peut se traduire par une augmentation de leur prix de vente. Ce qui peut favoriser un autre mode de consommation, qui privilégie la location par rapport à la propriété, l’usage par rapport à la possession. Louer le service que procure un lave-linge installé dans un immeuble collectif, un outil pour des travaux de restauration ou une voiture dans une ville à la circulation limitée par un péage, plutôt qu’acheter ces biens devrait séduire des consommateurs de plus en plus nombreux, intéressés par l’usage plus que par le produit lui-même et engagés dans une démarche de consommation collaborative. L’auteur de l’ouvrage La troisième révolution industrielle, Jeremy Rifkin, prédit ainsi le passage de l’échange de propriété sur des marchés à l’accès à des services pour un temps déterminé au sein de réseaux.
L’examen pour avis effectué par la commission du développement durable nous conduira donc à approfondir notre réflexion sur ces sujets qui, s’ils n’apparaissent pas au coeur de la transition écologique, correspondent à de véritables enjeux et détermineront la nature de la société que nous voulons pour demain.
En ce qui concerne les articles relatifs au code des transports, je regrette que les amendements adoptés par la commission du développement durable à l’article 69 – relatif à l’activité de motos-taxis – n’aient pas été pris en considération ; notre rapporteur les a retirés pour les redéposer en séance publique. Notre préoccupation est légitime notamment pour améliorer la formation des conducteurs et les relations commerciales avec le passager client.
En conclusion, à l’instar du rapporteur de la commission du développement durable, j’invite l’Assemblée à adopter le projet de loi en discussion.