Intervention de Danielle Auroi

Séance en hémicycle du 12 juin 2013 à 15h00
Respect de l'exception culturelle — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanielle Auroi, rapporteure de la commission des affaires européennes :

Monsieur le président, madame la ministre du commerce extérieur, madame la ministre de la culture et de la communication, mes chers collègues, comme l’a déjà brillamment exposé mon collègue et co-rapporteur Patrick Bloche, nous nous réunissons aujourd’hui pour examiner la nécessité d’exclure le cinéma et les services audiovisuels du mandat pour un « Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement entre l’Union européenne et les États-Unis d’Amérique ».

Le 14 juin prochain, le Conseil de l’Union européenne décidera en effet du contenu et du périmètre du mandat de négociation de la Commission européenne. Les premières propositions de la Commission nous ont inquiétés.

Aussi nous, parlementaires, avons aujourd’hui la responsabilité de donner de la voix pour défendre l’exception culturelle, désormais rebaptisée « respect de la diversité des expressions culturelles ».

Jusqu’ici l’Europe garantit cette diversité d’expression par le Traité de Lisbonne, comme par la convention des Nations unies du 20 octobre 2005, à laquelle l’Union européenne adhère, mais que les États-Unis ont refusé de signer et de ratifier !

Pourtant, la Commission européenne a décidé d’inclure les services audiovisuels dans ces négociations commerciales, menaçant entre autres l’existence du cinéma d’auteur, et, au-delà, la créativité de nombre de supports.

Pourtant, l’OMC elle-même avait fini par entériner le fait que la culture n’est pas une marchandise comme les autres !

L’enjeu est important. Aussi, notre commission, particulièrement attentive aux négociations commerciales et à la préservation de la diversité culturelle, a tenu à s’emparer du sujet en lien étroit avec la Commission des affaires culturelles.

J’en profite pour saluer ici l’implication de nos collègues, rapporteurs pour la commission, Marietta Karamanli et Rudy Salles, qui ont présenté une proposition de résolution sur le changement de réglementation européen quant aux aides de l’État dans le secteur du cinéma et qui travaillent sur le financement européen du cinéma. Je tiens aussi à remercier Seybah Dagoma et Marie-Louise Fort qui ont travaillé sur le juste échange

Le juste échange, voilà bien ce qui doit prévaloir dans nos relations transatlantiques. C’est la raison pour laquelle, notre commission et la commission des affaires étrangères, se sont également penchées sur l’entièreté du mandat de négociation, j’y reviendrai tout à l’heure.

De quoi s’agit-il à travers le texte que nous avons à examiner aujourd’hui ?

Cette résolution doit permettre au Gouvernement français, lors du Conseil d’après-demain, de demander une exclusion explicite des services audiovisuels du champ des négociations.

Les chiffres le montrent, le rapport de forces serait déséquilibré et se montrerait particulièrement favorable aux États-Unis. Il conduirait, à terme, à un déclin rapide de l’industrie du cinéma européen, à un assèchement de la production artistique, avec de très lourdes conséquences en termes d’emploi, de création, de rayonnement culturel.

Les cinéastes ne s’y trompent pas, qu’ils soient européens ou américains, qu’ils s’appellent Costa Gavras, Lucas Belvaux ou Steven Spielberg !

L’exception européenne protège aussi les créateurs américains. Au début du siècle dernier, Constantin Brancusi affrontait la justice pour défendre le statut de ses sculptures, considérées par les douanes américaines comme des objets commerciaux, et non comme des oeuvres d’art. Faut-il rappeler ici qu’il a gagné son procès ?

L’exception culturelle défend la primauté de la création sur le commerce. Les auteurs, de part et d’autre de l’Atlantique, ont besoin de cette protection contre la marchandisation à tout va et dans tous les secteurs !

De fait, le marché américain, déjà dominant, a su s’emparer des nouvelles technologies de l’information, aussi bien en termes de diffusion de contenu que de revenu généré. À cet égard, il importe, comme l’a fait mon collègue Patrick Bloche de rappeler l’attachement au principe de neutralité technologique en vertu duquel la nature du support ne saurait modifier le contenu de l’oeuvre.

Il importe également de souligner que la mention expresse de la protection de la diversité culturelle dans le mandat de négociation de la Commission ne saurait suffire à protéger efficacement cette même diversité. C’est pourquoi il est nécessaire d’exclure l’ensemble des services audiovisuels de cet accord commercial.

Dans l’hypothèse où cette exclusion de principe ne pourrait être tenue, il faudrait que le Gouvernement s’oppose, en vertu de l’article 207 paragraphe 4 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, à ce que les services audiovisuels soient inclus dans le mandat, afin que le respect de la diversité culturelle et linguistique des Européens soit préservé.

La culture, domaine de compétence partagé entre les États et l’Union, est en l’espèce régie par la règle de l’unanimité.

« Pour moi la culture n’est pas un instrument. Comparable à la science, la culture est un moyen nécessaire à l’épanouissement des personnes », croyez-le ou non, il s’agit de propos prononcés par M. Barroso en septembre dernier. A-t-il la mémoire si courte ? Pourquoi dès lors la Commission propose-t-elle un mandat en rupture avec le consensus qui prévalait jusqu’alors ? Est-il besoin de vendre l’Union européenne pour un plat de lentilles ? Pourquoi la Commission veut-elle apporter, la corde au cou, à l’image des Bourgeois de Calais, la clef que les Américains ne lui ont même pas demandée ? Au nom de quoi ? Du libéralisme le plus effréné ? Celui qui a conduit à l’arrêt il y a quarante-huit heures des chaînes de télévision nationales en Grèce ?

L’Europe doit incarner un projet politique qui dépasse le seul libre-échange. La diversité des expressions culturelles est un trait d’union entre les peuples, un symbole fort de la solidarité partagée, ce n’est pas une marchandise ! C’est la raison pour laquelle je vous propose, chers collègues, de soutenir avec force cette résolution qui porte sur le champ culturel.

Je souhaite également profiter de ce débat pour rappeler que l’exception culturelle ne doit être ni l’arbre qui cache la forêt, ni le supplément d’âme qui permettrait de brader tout le reste.

Notre commission s’est penchée sur la globalité du mandat de négociation de cet accord de libre-échange au travers d’une autre proposition de résolution adoptée et par notre commission des affaires européennes et par la commission des affaires étrangères. Si un tel accord doit être « gagnant-gagnant » – et ce sera, je pense, votre position, madame la ministre du commerce extérieur –, il doit préserver les préférences collectives européennes, notamment en matière d’éthique, de travail, de santé, de sécurité environnementale et alimentaire.

II nous faut également être très vigilants sur la question des services publics, des droits des investisseurs et encore de la sûreté des données personnelles. Le Gouvernement lui-même l’a dit, d’autres obstacles doivent être levés avant la signature d’un tel mandat, qu’il s’agisse des services, de la défense, de l’agriculture.

Les manières de produire et la qualité des denrées alimentaires, la défense du consommateur ne peuvent être compatibles avec les OGM, l’utilisation des hormones de croissance dans l’élevage, la décontamination chimique des viandes, le clonage, pour ne citer que ces exemples, que vous avez vous aussi évoqués, madame la ministre. Il nous faut tenir aussi fermement sur ces sujets que sur l’exception culturelle. De la même manière, en matière de choix environnementaux, de protection de l’eau, des sols, de la biodiversité, nos règles collectives ne peuvent être bradées.

Pour revenir au sujet qui nous occupe précisément aujourd’hui, je rappellerai que la représentation nationale et européenne s’est exprimée sans ambiguïté pour défendre l’exception culturelle. La résolution que nous vous proposons aujourd’hui a été adoptée à l’unanimité par nos deux commissions. De son côté, le Parlement européen a voté, par une majorité écrasante de 381 voix contre 181, la proposition de résolution portée par notre collègue Henri Weber, qui demande également l’exclusion explicite des secteurs audiovisuel et cinématographique du mandat de négociation. En outre, notre ministre de la culture et de la communication, Aurélie Filippetti, a réussi à obtenir le soutien de quatorze ministres de la culture européens.

La convergence politique qui s’exprime, au niveau tant national qu’européen, est suffisamment rare pour être soulignée. Dès lors, elle ne doit pas laisser indifférente la Commission européenne. Son opiniâtreté et son autisme creuseraient encore le fossé toujours plus grand entre les citoyens et une Union européenne qui paraît se détourner d’eux.

Je le redis, notre position n’est en rien défensive ; elle est, à l’inverse, porteuse d’une vision sociale et culturelle de l’Europe qui ne doit pas, qui ne peut pas, se résumer à un grand marché.

« Unis dans la diversité », telle est la devise européenne : c’est dans cet esprit, mes chers collègues, que nous vous proposons, Patrick Bloche et moi, d’adopter la présente proposition de résolution.

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